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Carnavalet et qui ont été reproduites dans le grand ouvrage « Paris à travers les âges ». Nous nous permettrons cependant une critique au point de vue purement documentaire; l'îlot de la Butte ne représente que trois maisons de façade, alors qu'il y en avait quatre. Mais il y a une vue du séjour de Nesle tout à fait curieuse et qui nous donne une idée très vivante de ce que pouvait être jadis ce coin de sol où nos immortels discutent aujourd'hui avec compétence et lenteur les articles de la prochaine édition du dictionnaire de l'Académie.

Léo MOUTON.

DEMEURES DE JEUNESSE D'HENRY MEILHAC

Henry Meilhac, qui fut un maître de la comédie parisienne, eut une jeunesse agitée, qui s'écoula dans notre quartier. Sa vocation d'amuseur fut vivement et longtemps combattue par son père. François Meilhac était dessinateur et gagnait modestement sa vie dans des travaux pour le commerce. Il faisait aussi de la peinture, mais sans grand succès, et sa femme contribuait aux ressources du ménage en faisant de l'enluminure pour l'imagerie religieuse. Ils demeuraient en 1852, rue Racine, no 3, dans une maison démolie aujourd'hui, qui occupait le même emplacement que le n° 3 actuel. Ils firent entrer cette même année Henry Meilhac, alors âgé de 21 ans, chez un avoué M. de Romery, 9, rue de Mulhouse. Le jeune homme fut censé y fréquenter pendant trois ou quatre mois. Mais son père finit par apprendre qu'on ne l'y voyait jamais. Henry dut lui avouer son aversion insurmontable pour la procédure. Il entra alors au Ministère des Finances comme surnuméraire. Mais il s'y montra aussi paresseux et irrégulier. Il passait son temps à faire des caricatures, des saynètes et des articles humoristiques pour les journaux. Il envoyait ces essais à Gavarni, alors fixé à Auteuil, et à Philippon, fon

dateur de la Caricature et du Charivari, qui d'ailleurs le décourageaient tous deux de se consacrer à cette occupation. Philippon lui prouva qu'il ne savait pas dessiner. Son père était de plus en plus monté contre lui. Enfin la crise éclata. Ils eurent une scène fort vive le 10 février 1853, et le jour même, Henry écrivit à sa belle-mère pour lui annoncer qu'il quittait la maison paternelle « ayant pour travailler, absolument besoin de cette séparation ». Il ajoutait « Vous devez comprendre qu'il m'est impossible de m'occuper soit d'un article, soit d'une pièce, impossible d'écrire rien de gai, en songeant que matin et soir je me trouverai nécessairement face à face avec quelqu'un qui guette mon entrée pour s'élancer sur moi et m'accabler de reproches et d'invectives ». Son père lui promit une petite pension de 100 francs par mois, pour 3 mois seulement, car il devait bientôt recevoir des appointements du Ministère.

C'est alors qu'Henry Meilhac va s'installer, 104, rue de la Harpe, dans une maison depuis supprimée par le percement du boulevard Saint-Michel. C'était à droite en montant la rue de la Harpe, un peu plus haut que le Lycée Saint-Louis, qui portait le n° 94, et un peu avant d'arriver à la place Saint-Michel. Cette maison étroite et haute était occupée par un teinturier qui sous-louait quelques chambres et mansardes à des jeunes gens. Son emplacement correspond à peu près au 48 actuel du boulevard Saint-Michel. Henry Meilhac resta là trois années au moins, peut-être davantage. Il quitta le Ministère durant ce laps de temps, son chef l'ayant mis en demeure d'opter entre sa place et ses travaux extérieurs. Il connut des heures difficiles, ayant recours plus d'une fois au Montde-Piété, menant la vie de bohême, mais toujours

confiant dans l'avenir. C'est le temps où il collabore au Journal pour rire, sous le pseudonyme de Thalin, et envoie des légendes, genre Gavarni, à une petite publication de la maison Henri Plon, les Petits albums pour rire. Il présente aussi, mais en vain, à des directeurs de théâtre quelques actes joyeux et débridés.

François Meilhac, de son côté, quitte le n° 3 de la rue Racine (qu'habite alors George Sand) et s'installe rue Monsieur-le-Prince, n° 58, dans une maison d'assez bel air, qui existe encore sous le même numéro, et n'a pas changé depuis cette époque. C'est là qu'il vient à mourir le 17 juillet 1855, à demi réconcilié avec son fils, le recevant à sa table tous les dimanches dans les derniers mois de sa vie, mais lui prêchant constamment le travail et l'économie, le suppliant de renoncer à ses idées de théâtre, allant jusqu'à prédire, dans une lettre que j'ai sous les yeux, « que par son inconduite il se prépare une vie de misères et de chutes qui le mènera à l'infamie ». Que n'a-t-il assez vécu, ce père raisonnable, pour constater la fausseté de sa prophétie, qui avait tant de chances d'être vraie, et pour voir l'enfant prodigue, devenu roi du théâtre léger, décrochant presque le million avec la Belle-Hélène, puis membre de l'Académie française, officier de la Légion d'honneur, partout triomphant, soit seul, soit sous la fameuse raison sociale Meilhac et Halévy, comblé de gloire et d'argent, et de son luxueux appartement de la Place de la Madeleine dominant le boulevard conquis, et regardant à ses pieds passer tout Paris.

Quoi qu'il en soit, c'est de la mansarde de la rue de la Harpe que partit Henry Meilhac. Ce fut son premier domicile personnel, après les années d'enfance passées au Lycée Saint-Louis et au no 3 de la rue Racine. C'est

là qu'il commença à étudier librement la Flore parisienne un peu spéciale, qui fut son sujet de prédilection. C'est de là que s'envolèrent les premiers essais de cet esprit mousseux, sceptique, ailé, qui devait un jour conquérir tout Paris. Je le signale, en passant, à ses futurs biographes.

F. FOIRET.

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