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LE QUAI MALAQUAIS : L'ILOT DE LA BUTTE

(suite et fin.)

La petite rue de Nesle. - L'Arche de Noë.

Étant donné le titre général de ce travail, « Le Quai Malaquais », nous pourrions nous arrêter avec la maison précédente, qui est la quatrième et dernière de l'îlot de la Butte faisant face à la Seine. Mais nous avons pensé que cet ilot aujourd'hui disparu formait un tout et que l'étude des cinq maisons de la petite rue de Nesle ne nous entraînerait pas bien loin.

Continuons donc l'étude de l'îlot en en faisant le tour: après la maison Labbé que nous venons d'étudier, nous rencontrons une petite maison ayant pignon sur la rue de Seine, mais son entrée principale sur la petite rue de Nesle. Elle est adossée à la précédente. Si nous nous en remettons à l'ordre d'inscription sur le « Compte du don de trois cens mille livres tz. octroyé par la ville de Paris au feu roy dernier décédé, en l'année M V soixante unze (1) », cet emplacement est occupé par un certain Richard Vian

(1) Bibl. nat. Mss. Fr. 11692, fo 309.

(ou Viau)cotisé pour 40 sols. Cet immeuble de peu d'importance, reconstruit probablement comme tout l'îlot vers 1598 ou 1600, appartenait, avant 1606, à un certain Rollin Roger mentionné sans indication de profession; nous savons toutefois qu'il avait été bâti par Jehan Turpin, maître maçon, le voisin dont nous venons de nous occuper dans le chapitre précédent; nous savons en outre que c'était une maison d'artisan, car dans le décret d'adjudication au Châtelet où nous puisons ces détails (1), la description de l'immeuble indique au rez-de-chaussée une «<< salle ouvrouer », c'est-à-dire un atelier. Rollin Roger avait pour femme Marie Hue; nous ne lui connaissons qu'une seule fille nommée Marie. En 1606, Rollin Roger était mort et sa femme était remariée à Geoffroy Hélot. La maison n'était peut-être pas encore entièrement payée, car nous la voyons mettre en adjudication le 29 avril de la même année, à la requête de Jehan Turpin, le maître maçon, celui-là même qui l'avait construite. Ce fut Nicolas Noël (ou Le Noël), maître cordonnier, qui l'obtint pour 5.006 livres. On voit par ce faible prix le peu d'importance de l'immeuble qui ne payait, du reste, à l'abbaye qu'un droit de cens de 2 deniers. Quoi qu'il en soit, Geoffroy Hélot et sa femme, la veuve Roger, durent céder la place à l'adjudicataire.

Pendant vingt ans, le cordonnier Noël fit des souliers et perçut les loyers de sa petite maison de la rue de Nesle, car il habitait lui-même, au moins en dernier lieu, la rue de La Harpe. Mais il avait un fils nommé Guillaume, qui se qualifiait «< sieur des Cluseaux », dont les

(1) Arch. nat. S. 6499. Décret du 29 avril 1606 en faveur de Nicolas Noël.

visées dépassaient l'horizon paternel: la cordonnerie ne lui suffisait pas et il rêvait d'être homme d'épée. Il se trouva connaître un certain Toussaint Mollin, «escuyer, sieur du Vivier et de La Boissière, lieutenant de la connétablie et maréchaussée de France » qui, pour des raisons que nous ignorons, en avait assez de son état. Le cordonnier Le Noël entra dans les vues de son fils et il fut décidé que Mollin troquerait sa charge de lieutenant contre la maison des Noël qui devaient payer en outre une soulte de 800 livres, et céder encore diverses rentes. Cet acte d'échange fut passé par devant Garnon notaire, le 12 décembre 1626. Toussaint Mollin s'engageait à faire valider en faveur de Guillaume Noël (ou Le Noël) la résignation de sa charge qui valait 800 livres de gages. C'est ainsi que Guillaume Noël ceignit l'épée et devint lieutenant de maréchaussée. Quant à Toussaint Mollin, nous le retrouvons deux ans après établi à Verdun, de passage à Paris, donnant quittance aux Noël et se qualifiant dans l'acte de «< conseiller du roi et son procureur général de Mais (Metz), Toul et Verdun ». Nous savons de plus par cet acte, qu'en 1627, Noël avait encore touché 337 livres des mains des locataires de la maison (1).

Toussaint Mollin mourut laissant deux fils, Nicolas et Toussaint qui portait le même prénom que son père. Ce fut ce dernier à qui échut l'Arche de Noë. Il ne l'habita pas plus que son père, car nous connaissons son adresse rue Saint-Martin; par contre, nous trouvons mention de baux de l'Arche de Noë consentis par lui à un certain Deville, à ses enfants et à sa veuve, le 13 novembre 1647 (devant

(1) Echange Mollin-Le Noël du 12 décembre 1626. Minute obligeamment communiquée par M Brisset, notaire à Paris.

Ste Hque DU VI". 1913.

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Gallois et Le Caron, notaires) et le 16 septembre 1651 (devant Muret et Marreau, notaires). Mais le propriétaire de la maison voisine, un certain Antoine Tournaire, maître sellier, lormier, carrossier et sa femme Guillemette Viet, eurent envie de « l'Arche de Noë ». Par acte du 23 mai 1654, devant Pierre Muret, notaire, Toussaint Mollin fils la leur vendait pour 7.000 livres tournois, à la charge d'entretenir de bail en cours de Geneviève Vallier, veuve de feu Laurent Deville, dont nous avons déjà parlé et qui maître sellier, comme Tournaire, lui faisait concurrence porte à porte. Il est peu probable qu'à l'expiration du bail, Tournaire l'ait renouvelé, si la veuve Deville continuait le métier de son mari (1).

Mais Antoine Tournaire, comme nous l'avons vu, avant d'acheter « l'Arche de Noë », possédait déjà la maison attenante de la petite rue de Nesle. Elle avait pour enseigne << L'Image Sainte-Anne ». D'après le « Compte du don de trois cens mil livres tz. octroyé par la ville de Paris » déjà cité, il y aurait eu là, en 1571, une certaine veuve Estienne Conscience qui est mentionnée comme ne payant point de cotisation. Au commencement du XVII° siècle, vers l'époque où l'on reconstruisit la butte, la maison en question appartenait à un maître menuisier nommé Guillaume Marie ou Maryé. Quand il mourut sans enfants, sa veuve, Magdeleine Collet, la racheta aux héritiers du défunt. Elle mourut elle-même probablement vers 1639 et ce fut à cette époque que ses propres héritiers la mirent en vente et que Tournaire l'acheta. Il ne la paya pas cher 6.000 livres tournois; elle n'avait que 12 toises 1/2 de superficie. L'acte fut passé le 22 septembre 163

(1) Arch. nat. S. 6500.

devant Me Dauvergne notaire. Signalons qu'au moment de cette vente, la minuscule courette était transformée en écurie et qu'il n'y avait que trois étages, le troisième lambrissé et un petit grenier au-dessus. Mais par contre, une particularité donnait à la maison une légère plus-value : c'était un droit de passage par une allée commune au travers de l'immeuble contre lequel elle était adossée, avec issue sur le quai même. L'immeuble du quai ainsi assujetti au droit de passage était « Le Petit Louvre », plus tard « l'Image Saint-André », dont nous avons parlé précé demment. Les héritiers de Magdeleine Collet touchèrent donc chacun bien peu de chose. C'étaient de petites gens Pierre Marchand, demeurant aux Ternes, Jean du Mur, sergent au bailliage de Saint-Victor et Jeanne Fétran, sa femme, André Laisné, maître menuisier et sa femme, Jeanne Besnart, et enfin Pierre Blanchard, maître tailleur et sa femme, Agnès du Mur, demeurant à Crécy-en-Brie (1).

Ce fut dans cette petite maison que vécut pendant quinze ans Antoine Tournaire, au milieu de ses cuirs, de ses sacs de crin, de ses arçons et de ses courroies suspen. dues aux poutrelles du plafond, jusqu'à ce qu'il eût gagné assez d'argent pour acheter « l'Arche de Noë», où le fâcheux concurrent Deville exerçait porte à porte le même métier que lui.

Nous avons vu qu'en 1654, il en fut enfin débarrassé. Il semble, du reste, que les deux selliers aient vécu en bonne intelligence car, l'acte de vente de l'Image SainteAnne mentionnant l'obligation de faire décréter l'immeuble par adjudication, ce fut Deville qui présenta la requête; il fallait que quelqu'un remplit cette formalité.

(1) Arch. nat. S. 6500.

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