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tion avec Washington réussit à enfermer l'armée anglaise dans la place d'York et à lui imposer la fameuse capitulation du 18 octobre par laquelle fut assurée l'indépendance américaine. Louis XVI écrivit à Rochambeau une lettre de vives félicitations, et le Congrès des États-Unis lui fit cadeau de deux des canon's pris sur les Anglais, ornés de ses armoiries et d'une inscription à sa gloire. En outre, le comte rentrant en France en 1783 reçut à son arrivée le cordon bleu du Saint-Esprit et le brevet de Gouverneur de la Picardie. Enfin, en 1784, Washington ayant fondé son Ordre de Cincinnatus, chargea Rochambeau d'en remettre les insignes à tous les officiers qui avaient combattu sous ses ordres, tandis que La Fayette était chargé de les distribuer aux volontaires américains qu'il avait commandés. L'hôtel de Rochambeau fut à cette occasion le théâtre de deux assemblées intéressantes. Dans la première, tenue le 7 janvier 1784, le comte fit part à ses compagnons d'armes de l'intention de Washington, et leur proposa d'en profiter pour créer entre eux une sorte d'association charitable, assurant des secours aux victimes de la guerre. Cette proposition ayant été acclamée, il s'inscrivit le premier pour une somme de 6.000 livres sur la liste de souscription ouverte par lui. Puis quelque temps après, une deuxième réunion eut lieu pour la remise. des insignes de l'Ordre de Cincinnatus, et Rochambeau offrit, à la suite de cette cérémonie, à tous ses officiers un banquet où l'on porta les santés du général Washington et de l'armée américaine.

En 1788, Rochambeau siégea à l'Assemblée des Notables, et, en 1790, fut chargé du commandement de l'armée du Nord. Enfin, le 28 décembre 1791, il fut nommé maréchal de France, mais, tenu à l'écart par Dumouriez,

ministre de la Guerre, il donna sa démission et se retira en province. Emprisonné pourtant comme suspect, il fut sauvé par le 9 thermidor. En 1803, âgé de soixante-dixhuit ans, il fut présenté à Napoléon qui le reçut avec les plus grands égards et lui dit en lui montrant les généraux qui l'entouraient : Voici vos élèves! Rochambeau lui répliqua Ils ont dépassé leur maître. L'année suivante, Napoléon le nomma grand-officier de la Légion d'honneur et lui alloua la pension entière de maréchal de France.

Le vieux maréchal était revenu demeurer en famille dans son hôtel tandis que son fils, Donatien-Marie-Joseph de Vimeur, vicomte de Rochambeau, nommé en 1792 lieutenant-général, gouverneur de Saint-Domingue, poursuivait une pénible campagne contre les nègres révoltés, avec une poignée de soldats français décimés par la fièvre jaune. En 1804, eurent lieu les mariages des deux filles du vicomte, Augustine-Éléonore née en 1783, qui épousa le comte de La Gorce, et Constance née en 1784, qui épousa M. de Valon du Boucheron d'Ambrugeac. Le contrat de mariage de l'aînée enregistré à Paris (1), mentionne sa demeure chez ses parents et grands-parents rue du Cherche-Midi no 276 (n° 40 actuel) avec cette circonstance que Mme de Rochambeau, mère de la future, se présente seule, munie de la procuration de son mari, capitaine général de Saint-Domingue, retenu à son poste périlleux. La jeune fille recevait en dot 70.000 francs de ses parents et 50.000 francs de ses grands-parents, soit au total 120.000 francs, ce qui maintenant paraîtrait modeste.

Le 10 mai 1807, le maréchal âgé de quatre-vingt-deux ans, mourut en son château de Rochambeau, dans le Ven

(1) Arch. de la Seine. Registre des actes civils, vol. 1106, fo 148, 53 prairial an XII.

dômois. Il avait eu la douleur d'apprendre que son fils, privé de tout secours à Saint-Domingue, bloqué par les troupes anglaises, avait été forcé de capituler et était prisonnier en Angleterre. Ce malheureux général ne put être échangé et revenir en France qu'en 1811. Ayant peut-être alors besoin d'argent, il vendit son hôtel patrimonial, pour 60.000 francs, par acte passé devant Lebrun notaire, le 9 novembre 1811, à M. Pierre-Alexandre Lescellier, vicomte de Chezelles (1). Deux ans après, nommé baron de l'Empire, il fut tué à la bataille de Leipzig, le 18 juillet 1813. Il a laissé un fils qui a été pair de France et n'est mort qu'en 1868.

Le vicomte de Chezelles ne paraît pas avoir habité cette maison, car plusieurs locataires importants y sont alors signalés en 1814 et 1815, ce fut le comte de Saur, d'une vieille famille du Palatinat, ancien Président du Conseil de l'Électeur de Trèves en 1789, puis, en 1803, 1804 et 1808, député du département Rhin-et-Moselle, sénateur et comte de l'Empire, mort à Paris en 1828; - de 1814 à 1823, le comte d'Haubersart, ancien Premier Président de la Cour de Douai, sénateur de l'Empire en 1813, pair de France en 1814, mort à Douai en 1828;

-de 1816 à 1823, le chevalier Ollivier député de l'Isère de 1815 à 1823, Conseiller à la Cour de Cassation depuis 1815, mort en 1839;

- en 1826, le fondateur d'une agence devenue célèbre par ses dépêches reçues du monde entier, Charles Havas né en 1785.

Le 19 mai 1836, le vicomte de Chezelles mourut, laissant sa propriété (portant dès lors le n° 40 à sa fille mariée

(1) Dossier communiqué par l'Administration du Domaine.

au marquis de Lubersac. Les almanachs d'adresses indiquent dans cette maison, en 1838 et 1839, la demeure de M. et Mme de Lubersac. On y remarque aussi parmi les locataires le marquis de Laroche-Dragon, grand-officier de la Légion d'honneur.

Puis, par acte du 22 août 1843 passé devant Outrebon notaire, la maison fut vendue, moyennant 150.000 francs, par Mme de Lubersac à M. Louis Oudot et à sa femme née Marie-Geneviève-Esther Farjas. M. Oudot était un riche négociant en tissus dont la maison de commerce, très importante, se trouvait rue Malebranche n° 2 et 4. Il eut son habitation personnelle dans sa propriété de la rue du Cherche-Midi où il occupa l'appartement du premier étage. Il fut membre du Conseil municipal de Paris et du Conseil général de la Seine, de 1850 à 1870. Après lui, Mme veuve Oudot conserva la même demeure et y mourut seulement en 1896, l'ayant habitée pendant près de soixante ans. La valeur locative de son appartement était estimée à 7.000 francs depuis 1882, au moins par l'Administration des contributions.

Durant le temps, écoulé depuis l'époque où M. et Mme de Lubersac semblent avoir cessé d'habiter la maison, vers 1840, un certain nombre de noms connus apparaissent parmi les habitants mentionnés sur les almanachs d'adresses et ailleurs : le 6 novembre 1842, est décédée là une fille du grand peintre Greuze, Mlle Anne-Geneviève Greuze, artiste peintre elle-même; - de 1838 à 1844, est indiqué au même no 40 le domicile du marquis de Valory rencontré précédemment au no 36;

-

-de 1849 à 1852, ce fut la demeure du statuaire AlexisFrançois Thomas dont les œuvres figuraient chaque année au Salon;

de 1855 à 1869, habitèrent dans cette même maison MM. de Baudreuil colonel en retraite, Gabourd, chef de bureau au Ministère de l'Intérieur, auteur d'une histoire de Paris en cinq volumes, et le marquis de Galard-Terraube;

— enfin, de 1882 à 1895, on y signale M. Glasson, éminent jurisconsulte, professeur-doyen de la Faculté de droit, auteur d'excellents ouvrages juridiques.

En 1896, Mme veuve Oudot étant décédée sans laisser d'enfants, sa propriété échut à ses neveux et nièces parmi lesquels on remarque les noms de MM. Fernand Labour conseiller à la Cour, Farjas ingénieur, Graeff, chef d'escadron, Gay-Lussac, qui la mirent en vente devant la Chambre des notaires. Elle fut adjugée le 29 juin 1897, moyennant 391.000 francs à M. Armand-Marie-Joseph de Séguier, prêtre de la Congrégation des Jésuites. Dans le contrat de vente qui fut dressé par Me Segond, notaire, l'adjudicataire déclara que cette acquisition était faite pour son compte personnel et qu'il n'était ni le représentant ni le prête-nom d'un tiers. Cependant on pouvait remarquer que l'immeuble en question attenait par le fond au grand établissement des Jésuites donnant sur la rue de Sèvres, et qu'une communication directe semblait exister entre les deux propriétés. En outre, la maison de la rue du Cherche-Midi fut alors surtout occupée par des prêtres et par un grand bureau de placement catholique. Aussi, lorsqu'en exécution de la loi de 1901 les Jésuites furent dépossédés de leur couvent, M. Ménage nommé liquidateur de leurs biens s'empara-t-il de l'immeuble du no 40 en vertu de la présomption faisant de M. de Séguier le prête-nom de sa communauté. Celui-ci fit un procès en revendication, mais le Tribunal de la Seine, par jugement

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