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Le 21 août 1759, par acte passé devant Le Comte, notaire, la veuve de Michel Martin, et sa fille mariée au sieur Desniés, receveur des tailles à Mantes, vendirent leur propriété au marquis d'Asfeld et à la marquise née Pajot de Villepérot qui vinrent s'y installer en y faisant d'importants travaux d'amélioration (1). C'était encore un grand nom militaire que celui d'Asfeld. Claude-Étienne, né en 1719, était fils de Claude-François Bidal, marquis d'Asfeld, maréchal de France, chevalier de la Toison d'or, gouverneur de Strasbourg, Directeur des fortifications du royaume, ingénieur militaire remarquable, successeur de Vauban, disait-on, mort à soixante-dix-sept ans, en 1743. L'origine de la fortune des d'Asfeld était curieuse. Le grand-père du maréchal, nommé François Bidal tout court, était un ancien marchand de soieries qui avait fait banqueroute, raconte le marquis de Sourches dans ses Mémoires (2), pour avoir fait trop de crédit aux gens de qualité. Il passa en Suède où il reçut asile de la reine Christine qui était sa débitrice et qui lui donna en paiement plusieurs terres en Poméranie, puis il fut nommé résident du roi à Hambourg, et, pendant longues années, entretint une correspondance active avec les ministres de Louis XIV au sujet des relations de la France avec les princes allemands du Nord. Son fils, qui prit le titre de baron d'Asfeld, rentra en France, embrassa la carrière militaire et devint maréchal de camp. Ce fut son arrière-petitfils, Claude-Étienne, qui épousa en 1755 Louise-Charlotte Pajot de Villepérot et acheta en 1759 l'hôtel occupé précédemment par le comte de Bavière. Il avait, en même temps, recueilli dans la succession de son père, le château

(1) Arch. nat. T. 435.

(2) Mémoires du marquis de Sourches, t. I, p. 22. Note.

de Colombes, près d'Argenteuil, où il voisinait avec le comte Dufort de Cheverny, propriétaire aussi d'une maison de campagne à Colombes (1). Le marquis d'Asfeld était colonel de dragons dès 1744, à vingt-cinq ans, et maréchal de camp en 1748, mais il avait peut-être quelques habitudes de dissipation car, en 1763, un arrêt du Parlement prononça contre lui la séparation de biens au profit de sa femme, et, vers 1772, son nom est mentionné dans certains rapports de police, puis l'on ne sait plus rien de lui. La maison du Cherche-Midi avait été abandonnée en entier à la marquise en déduction de ses reprises. Celleci étant décédée en 1778, la propriété passa à ses deux filles mineures, Anne-Charlotte-Louise et CharlotteLouise-Élisabeth, pensionnaires au couvent des Dames du Saint-Sacrement de la rue Cassette, sous la surveillance de leur oncle maternel Maximilien Pajot de Villepérot, capitaine de dragons nommé leur curateur. Il fut décidé qu'ily avait lieu de vendre l'hôtel d'Asfeld. On nomma à cet effet pour tuteur ad hoc le Procureur général honoraire, Pierre Terray, et, par contrat passé devant Bevière notaire, le 23 août 1779, la maison fut vendue, moyennant 90.000 livres, à Jean-Baptiste Donatien de Vimeur, comte de Rochambeau, maréchal de camp, Grand-Croix de SaintLouis, et Jeanne-Thérèse Tellez da Costa sa femme (2).

Le comte de Rochambeau, né en 1725, n'avait pas quitté l'armée depuis l'àge de seize ans. Il avait fait toutes les campagnes d'Allemagne, était colonel du régiment de La Marche à vingt-deux ans, avait été blessé à la bataille de Raucoux et avait été nommé maréchal de camp et inspecteur général de l'infanterie. Marié en 1754, il avait un

(1) Mémoires du comte Dufort de Cheverny, t. I, p. 9, et t. II, p. 18. (2) Arch. de la Seine. s. Ratification, Série A, no 9-963.

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fils qui lui avait succédé comme colonel du régiment d'Auvergne, célèbre par le trait héroïque du chevalier d'Assas. Le jeune vicomte de Rochambeau venait de se marier, en mars 1779, avec Mile de Traisnel lorsqu'en août suivant, son père acheta l'hôtel d'Asfeld, et dès lors, les almanachs d'adresses mentionnèrent la demeure du comte et de la comtesse, ainsi que du vicomte et de la vicomtesse au no 60 (actuellement n° 40) de la rue du Cherche-Midi, dans la maison qui fut appelée l'hôtel de Rochambeau.

Justement à la fin de cette même année 1779, le roi Louis XVI s'était décidé, sur les instances de La Fayette, à envoyer un corps d'armée en Amérique pour venir au secours de Washington et l'aider à secouer le joug de l'Angleterre. Six mille hommes environ avaient été rassemblés à Brest, prêts à s'embarquer. La Fayette aurait bien désiré être mis à la tête de cette petite armée, mais le roi le trouvait trop jeune et trop ardent, et voulant un chef prudent et expérimenté, il s'adressa à Rochambeau, âgé alors de cinquante-quatre ans et vétéran des grandes guerres. En mars 1780, la nomination du comte fut officielle, et La Fayette partit seul rejoindre Washington. Dans la nuit du 1er mai suivant, Rochambeau embarqué avec un nombreux état-major sur le vaisseau Le duc de Bourgogne, quittait Brest à son tour, suivi d'une escadre de sept vaisseaux, portant cinq mille hommes. Son fils partait avec lui. La comtesse et la vicomtesse restaient seules dans l'hôtel où elles venaient de s'installer six mois auparavant. Après une traversée de deux mois et demi, la petite armée française débarquait à Newport, et Rochambeau, seul chef responsable, était forcé de résister aux sollicitations de La Fayette qui aurait voulu lui faire prendre une offensive dangereuse. Ce ne fut qu'en 1781 que Rochambeau ayant fait sa jonc

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