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trois heures d'une véritable torture, de deux heures et demie à cinq heures et demie, finalement assassinés. On eut quelque peine à découvrir les meurtriers, mais certains d'entre eux se vantèrent de ce qu'ils avaient fait, d'autres vendirent leurs complices, et, le 15 janvier 1849, vingt-cinq individus accusés d'avoir participé à cet horrible guet-apens comparaissaient devant le Conseil de guerre. La salle étant trop petite pour contenir tout le personnel de ce grand procès, il avait été construit une sorte de tribune en charpente où les accusés furent placés, tandis que leurs avocats étaient au-dessous d'eux, ce qui rendait les communications entre eux assez difficiles. Les débats durèrent trois semaines, la sentence ne fut rendue que le 7 février sur les vingt-cinq accusés, cinq furent condamnés à mort, dix-sept condamnés aux travaux forcés, et trois acquittés. Deux seulement des condamnés à mort furent exécutés.

Tels sont les derniers souvenirs à rappeler de l'hôtel des Conseils de guerre en laissant de côté des événements encore trop récents. En 1907, le boulevard Raspail est venu triomphalement s'ouvrir un passage sur ce no 37 de la rue du Cherche-Midi en anéantissant complètement ce qui avait été d'abord l'hôtel de Brancas de 1743 à 1753, puis l'hôtel de la comtesse de Toulouse jusqu'en 1766, ensuite l'ambassade de Sardaigne jusqu'en 1791, et, en dernier lieu, le siège de la justice militaire, pendant plus d'un siècle, de 1800 à 1907.

Ainsi se termine, du côté des numéros impairs, au coin de la rue du Regard, l'ancienne rue du Cherche-Midi.

N° 40 (anciennement nos 60, 276 et 38).

Lejeune. - Dury. - Saffray. - Michel Martin. - Le chevalier de Bavière. Le marquis d'Asfeld.

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Le ma

réchal de Rochambeau. Le vicomte de Chezelles. Marquis et marquise de Lubersac. M. et Mme Ou- Le liquidateur Ménage.

dot. L'abbé de Séguier.

Le Ministère du Travail.

Grande maison de noble apparence, avec porte cochère au-dessus de laquelle flotte le drapeau tricolore dont la présence est expliquée par cette inscription sur une plaque de marbre noir: Ministère du Travail, Retraites ouvrières.

Deux étages très élevés, ayant six grandes fenêtres, sont surmontés d'un troisième très bas qui paraît avoir été ajouté après coup et nuit à l'aspect d'hôtel particulier que devait avoir l'immeuble primitivement. Pénétrant sous la large voûte d'entrée, on trouve au fond, à droite, un vaste escalier orné d'une belle rampe en fer du xvIIe siècle. Au bas de cet escalier, on voyait encore, il y a quelques mois, deux superbes bustes en marbre et une grande statue allégorique portant un écusson sur lequel était sculpté un lion héraldique. Au delà de ce premier corps de bâtiment donnant sur la rue, sont deux cours séparées par un bâtiment moderne très ordinaire, puis, au fond de la deuxième cour, d'anciennes écuries et remises.

Au xvi° siècle, rien de tout cela n'existait; il n'y avait là que des terres en culture appartenant à l'hôtel-Dieu.

En 1628, pour la première fois, le cueilleret de l'Abbaye mentionne à cette place une maison et un jardin apparte

nant à dame Ciprianne Rousseau, femme du sieur Lejeune. Puis, dans les divers titres, plans et documents de 1675, 1689, 1692 et 1696, on trouve ici l'indication de deux petites maisons jumelles appartenant à un sieur Dury. Enfin on apprend, par une déclaration authentique de propriété, que, suivant acte passé devant Bonhomme, notaire, le 24 juillet 1705, la demoiselle Hélène Dury et autres héritiers Dury ont vendu les deux susdites maisons à Guillaume Saffray, salpêtrier ordinaire du roi, déjà propriétaire, depuis 1687 au moins, de plusieurs maisons rue du Cherche-Midi. Peut-être ce Saffray avait-il succédé à Richard Tardif, qualifié aussi de salpêtrier du roi, que nous avons vu en 1670 propriétaire de l'immeuble du n° 34. Le 25 mai 1707, par acte passé devant Lorry notaire, Saffray cède son bien à sa femme, née Marguerite Le Roy, laquelle fait démolir les deux petites maisons jumelles et construire à la place une seule grande maison qui paraît être celle qui existe actuellement. La dame Saffray, devenue veuve en 1723, vend cette propriété, par acte du 25 octobre passé devant Doyen, moyennant 63.000 livres, à Michel Martin, notaire au Châtelet, conseiller du roi, qui vient y prendre sa retraite.

En 1735, la maison appartient à la veuve et aux deux filles de Michel Martin décédé qui en font la déclaration (1), et elle est occupée par le chevalier de Bavière, personnage princier qui mérite d'être connu. Il était fils naturel de l'Électeur de Bavière et d'une jolie Française appelée d'après Dangeau, Me Popuel, et d'après une note de M. de Boislisle, Agnès Lelouchier, native de Tournay (2). L'Électeur avait, paraît-il, rencontré cette jeune fille alors

(1) Arch. nat. S. 2859.

(2) Mémoires de Saint-Simon, t., IV, p. 314. Note 6 de M. de Boislisle.

qu'il était, en 1694, vicaire général du roi d'Espagne dans les Pays-Bas, et, le 28 mai 1695, elle avait donné le jour à un fils qui reçut d'abord les seuls noms d'EmmanuelFrançois-Joseph, puis fut reconnu le 20 novembre suivant par l'Électeur qui lui donna le titre de chevalier de Bavière. La mère de ce petit chevalier fut mariée à un certain comte d'Arco qui la laissa bientôt veuve. Pourvue d'une belle fortune, elle vint alors se fixer à Paris, rue Saint-Dominique. En 1705, le marquis de Sourches écrivit sur son Journal que «< le petit chevalier de Bavière fut présenté au roi et que toute la Cour le trouva d'une figure charmante (1) ». Quatre ans après, à quinze ans, il entra au service de la France, et fit preuve d'une telle intrépidité qu'en 1715, s'étant querellé à Chantilly avec le duc de Richelieu, celui-ci craignit de se battre avec lui et fit prévenir le duc d'Orléans d'avoir à empêcher un duel, ce que celuici ne manqua pas de faire d'après ce que raconte Dangeau (2). En 1717, le chevalier de Bavière hérita de la fortune de sa mère; il fut nommé en 1719 colonel du régiment allemand Royal et Bavière, puis se fit naturaliser français, prit le titre de comte et, après une brillante carrière militaire, devint lieutenant-général et Grand d'Espagne. Il se trouvait être le frère naturel de l'empereur Charles VII, ce qui contribua sans doute à le faire choisir par le roi, en 1744, pour être envoyé comme ambassadeur à Vienne. Mais il ne tarda pas à rentrer dans l'armée car, en mai 1745, il commandait une division à la bataille de Fontenoy et s'y distingua. Il fut tué malheureusement à cinquantedeux ans, en 1747, à la bataille de Lawfeld. Tel était l'hôte illustre qui occupait en 1735 la maison du n° 40 actuel.

(1) Mémoires du marquis de Sourches, t. XI p. 138, 31 mars 1705. (2) Journal de Dangeau t. XVI, p. 252,26 décembre 1715.

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