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prendre un service actif dans l'état-major du général Moreau, à côté d'un de ses anciens amis, l'adjudant-général Lahorie. Après avoir fait campagne sur le Rhin, il fut nommé au commandement de la place de Besançon, et s'y installa avec sa femme et ses deux enfants. C'est là que naquit, le 26 février 1802, son troisième fils Victor, le grand poète. Durant sept années encore, Léopold Hugo emmena sa famille avec lui en Italie, en Corse, en Espagne. Puis, en 1809, attaché à la cour du roi Joseph avec le grade de général, il crut devoir, pour la santé de ses enfants, les ren-, voyer en France. Mme Hugo vint se fixer à Paris, impasse des Feuillantines, et, n'ayant guère de relations, se lia intimement avec les Foucher, dont les deux enfants, Adèle et Victor, devinrent les camarades inséparables des trois fils Hugo. L'hôtel des Conseils de guerre de la rue du Cherche-Midi fut dès lors l'asile habituel du jeune Victor Hugo.

Justement, en mars 1809, l'attention publique y fut attirée par le dramatique procès du comte Armand de Chateaubriand, cousin très proche et ami du vicomte François-René, le célèbre écrivain. Élevés ensemble, tous deux émigrés en 1790, ils avaient pris du service dans l'armée des princes. Puis, la paix signée, le vicomte était rentré en France, tandis que son cousin, plus intransigeant, s'était fixé à Jersey et s'était chargé de la correspondance secrète des princes avec leurs partisans en France. Avec une hardiesse extrême, pendant plusieurs années, il déjoua la surveillance de la police impériale, et parvint à apporter en Normandie et en Bretagne les messages secrets destinés aux conspirateurs royalistes. Mais, en janvier 1809, après d'émouvantes aventures, jeté par une violente tempête à demi-mort sur la côte normande, il fut reconnu, arrêté, amené à Paris, et déféré à une Commission

militaire siégeant à l'hôtel de la rue du Cherche-Midi, sous l'inculpation d'intelligences avec les ennemis de la France. Le vicomte de Châteaubriand multiplia les démarches en faveur de son malheureux cousin ; la reine Hortense et l'impératrice Joséphine implorèrent en vain l'Empereur : Fouché répondit froidement que le comte Armand avait l'âme haute et saurait mourir courageusement. Le 30 mars 1809, le comte de Chateaubriand fut condamné à mort et, le lendemain matin, fusillé dans la plaine de Grenelle.

Les deux familles Foucher et Hugo, témoins en partie de ce drame, durent en éprouver une vive émotion. Néanmoins, quelques semaines après, Mme Hugo ne craignit pas de se compromettre en donnant asile à l'ami de son mari, le général Lahorie, condamné, par contumace, au bannissement, comme complice de Moreau, et traqué par la police. Elle lui donna, au fond de son jardin de l'impasse des Feuillantines, un petit réduit où il se tint caché pendant dix-huit mois, émerveillant les fils Hugo de son savoir et de sa bonté pour eux. Puis, à la fin de 1810, Savary ayant été nommé ministre de la police à la place de Foucher, Lahorie crut pouvoir invoquer une ancienne camaraderie pour solliciter de lui une audience. La réponse fut un ordre d'arrestation qui s'exécuta chez Me Hugo, et Lahorie fut emprisonné à Vincennes. On verra comment il en sortit.

En 1811, l'ancien hôtel de Brancas fut de nouveau le théâtre d'une dramatique affaire qui ne semblait guère du ressort d'une juridiction militaire. On l'appela l'affaire de la reine d'Etrurie. Dix ans auparavant, en 1801, Napoléon avait enlevé le duché de Toscane à Ferdinand III d'Autriche pour le donner à Louis, duc de Parme, chef des Bourbons d'Espagne, avec le titre de roi d'Étrurie. Mais,

en 1803, ce jeune roi Louis étant mort, sa veuve MarieLouise nommée régente pendant la minorité de son fils, avait montré trop de sympathie pour l'Angleterre. Napoléon fut fort mécontent d'apprendre que le blocus continental décrété par lui contre les Anglais n'était pas observé à Livourne, si bien qu'en 1807, il déclara l'Étrurie annexée à la France et interna l'ex-reine régente dans un château, près de Nice. En 1811, la police impériale apprit que cette princesse, fille de l'ex-roi d'Espagne, désireuse de reprendre sa liberté, avait chargé un homme de confiance, nommé François Sassi della Tosa, de se rendre à Londres pour y négocier les moyens de la faire évader. Cet émissaire fut découvert en Hollande sur le point de passer en Angleterre, et, le 15 avril 1811, des policiers français envahirent l'hôtel du Doelen, à Amsterdam, appréhendèrent le sieur Sassi della Tosa, et saisirent ses papiers prouvant la mission qu'il avait reçue de l'ex-reine d'Étrurie. Quelques jours après, la complicité d'un sieur Chiventi étant établie, celui-ci fut arrêté à Livourne. En même temps, la reine était transférée de Nice dans un couvent près de Rome, où elle fut étroitement emprisonnée pendant que ses quatre principaux officiers étaient expédiés sous bonne garde à Paris. Le 22 juillet 1811, ces six Italiens furent traduits devant une Commission militaire siégeant à l'hôtel de la rue du Cherche-Midi, sous l'inculpation d'intelligences criminelles avec les ennemis de l'État. Trois avocats, Mes Guichard, Falconnet et Lebon opposèrent vainement l'incompétence de la justice militaire à l'égard des accusés qui n'étaient pas militaires ni poursuivis pour espionnage (1). Le Conseil à l'unanimité se

(1) Procès célèbres de la Révolution, par Guichard (Paris, 1814).

déclara compétent et condamna à mort Sassi della Tosa et Chiventi en acquittant les quatre autres. Le lendemain matin, Chiventi était fusillé, et quelques jours après, Sassi déjà mourant expirait en prison.

Quelques mois après ce triste procès, en 1812, l'hôtel des Conseils de guerre devint presque le logis des enfants Hugo. Le major Léopold Hugo, promu au grade de général par le roi Joseph, était toujours à Madrid, tandis que Mme Hugo, pour la santé de ses enfants, restait à Paris, rue des Feuillantines. Bien que Pierre Foucher ne fût plus greffier, il avait continué de demeurer avec son beau-frère qui lui avait succédé, dans l'hôtel de la rue du Cherche-Midi. Les enfants Hugo ne quittaient plus les enfants Foucher et y firent connaissance en outre avec le fils du capitaine Delon, rapporteur du Conseil. C'était un jeune polytechnicien qui fut le boute-en-train de cette bande joyeuse, et les trois familles Hugo, Foucher et Delon se trouvèrent ainsi intimement liées.

En octobre 1812, eut lieu l'étrange conspiration du général Malet, dans laquelle fut compromis le malheureux Lahorie, l'ami de la famille Hugo. On sait comment Malet s'évadant de la prison où il était enfermé, fabriqua un faux Sénatus-Consulte annonçant la mort de l'Empereur et la nomination d'un Gouvernement provisoire. Ayant connu en prison le général Lahorie il le fit mettre en liberté, le nomma son chef d'État-major, et le chargea de l'arrestation du ministre de la police Savary. En quelques heures l'entreprise de Malet fut déjouée, et lui-même emprisonné à l'Abbaye avec vingt-trois de ses complices, y compris Lahorie. L'instruction ne fut pas longue; quatre jours après l'attentat, les vingt-quatre accusés étaient assignés à comparaître devant le Conseil présidé par le

général comte Dejean. Mme Hugo, convaincue de la bonne foi de Lahorie qui avait cru aux affirmations de Malet, implora vainement l'indulgence du capitaine-rapporteur Delon. Le 28 octobre, la rue du Cherche-Midi était barrée par de la cavalerie, et la cour de l'hôtel remplie de troupes. Mme Hugo était chez Me Foucher épiant avec anxiété les nouvelles de l'audience qui se prolongea durant une partie de la nuit. Enfin la sentence fut rendue: Malet, Lahorie et douze autres furent condamnés à mort; et, dès le lendemain matin, 29 octobre, les quatorze condamnés étaient fusillés dans la plaine de Grenelle.

Mme Hugo, très émue de ce tragique événement, cessa de voir la famille Delon. Mais, plus attachée que jamais aux Foucher, elle quitta la rue des Feuillantines pour venir se loger, presque en face du Conseil de guerre, dans la maison portant actuellement le n° 44 de la rue du Cherche-Midi (1). Le jeune Victor Hugo ne quitta plus le vieil hôtel de Toulouse que pour suivre les cours de la pension Cordier, rue Sainte-Marguerite. Son père s'était retiré seul en province. Mme Hugo, réduite à une très maigre pension, se résigna en 1818 à chercher un petit logis d'un loyer encore plus modeste que celui de la rue du ChercheMidi, et elle alla demeurer rue des Petits-Augustins, puis rue Mézières, no 10. Mais, chaque soir, elle allait avec ses enfants passer quelques heures chez les Foucher. Victor Hugo avait dix-sept ans, il avait déjà obtenu de l'Académie une mention dans un concours de poésie, c'était un poète! Il s'éprit d'amour pour Adèle Foucher, et lui jura de l'épouser. M. et Mme Foucher s'inquiétèrent un peu de

(1) Ce numéro qui n'est pas indiqué par les biographes de Victor Hugo, a été parfaitement identifié par M. Henri Masson à l'aide de cette circonstance que dans la même maison demeurait le général Lucotte.

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