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sieur Binard (ou Bénard) auquel succéda, vers 1680 semble-t-il, Edme Cottard, seigneur de Valence, conseiller en l'Hôtel-de-Ville de Paris, que nous retrouverons plus loin.

Puis venaient, suivant le même cueilleret, en 1628, << une petite maison couverte de chaume et un grand jardin appartenant à Jacques et Augustin Quesnel et Jean Perruchon à cause de sa femme ». Cette mention collective, concernant vraisemblablement des cohéritiers, a le mérite de nous faire connaître le dernier logis, ou la modeste maison de campagne, d'un grand artiste trop cublié de nos jours, François Quesnel. Les trois copropriétaires indiqués étaient, en effet, deux de ses fils et sa filie Denise, mariée à Jean Perruchon huissier, lesquels avaient hérité de leur père, décédé en 1619 (1).

Les Quesnel forment toute une dynastie de peintres que l'abbé de Marolles a énumérés dans ce quatrain bizarre (2):

Six peintres des Quesnel et tous considérables;
Qui sont sortis de Pierre et de ses trois enfants :
Deux François, Nicolas et Jacques, triomphants,
Augustin et Toussaint, ingénieux, aimables.

Pierre Quesnel, le premier de la dynastie, avait été emmené en Ecosse, en 1538, par Marie de Lorraine, lors de son mariage avec Jacques V. Il y épousa une demoiselle Digby, qui était peut-être de la famille du noble lord retiré en France au temps de Mazarin et connu par ses excentricités. Il en eut trois enfants. L'aîné, François, né en Ecosse vers 1544, rentra en France avec son père et y acquit rapidement comme portraitiste et peintre d'his

(1-2) Dictionnaire de Jal.

toire une grande réputation. Au bas de son portrait peint par lui-même et gravé par Lasne, est la petite notice suivante extraite des Mémoires de Michel de Marolles :

François fut chéri du roy Henry 3 et de toute sa Cour et surtout du Chancelier de Chiverny, qui ne put jamais le faire consentir à son agrandissement. Ses portraits sont souvent confondus avec ceux de Janet, auquel il succéda. Il composait fort bien l'histoire, et donna le premier plan de Paris en douze feuilles. Son désintéressement luy fit également mépriser l'acquisition et la perte des biens de fortune et sa modestie refuser l'ordre de St-Michel sous Henry 4. Il joignit à une vertu vrayment chrestienne beaucoup d'expérience et de lecture et mourut l'an 1619, après avoir reçu ses sacrements qu'il demanda en santé 10 ou 12 heures avant sa mort.

Il convient d'ajouter qu'il eut de deux mariages successifs au moins quatorze enfants, dont deux fils qui sont mentionnés dans divers documents: Jacques, né en 1590, qui s'établit libraire rue Saint-Jacques, eut onze enfants, et fut enterré dans l'église Saint-Benoît, le 29 décembre 1661 (1), et Augustin, né en 1595 (2), qui fut peintre et, en même temps, marchand d'estampes et mourut sept mois et demi avant son frère aîné, le 11 mai 1661, rue de Béthisy sur la paroisse Saint-Germain-l'Auxerrois(3). Ce sont justement ces deux fils Quesnel, avec leur sœur Denise, née en 1588, et mariée à l'huissier Jean Perruchon, que nous rencontrons en 1628, propriétaires indivis d'une maison rue du Cherche-Midi. Il y a, semblet-il, tout lieu de penser qu'ils en avaient hérité de leur père,

(1-2) Dictionnaire de Jal.

(3) Son acte de décès que Jal n'avait pas découvert, a été publié par Eug. Piot dans son recueil intitulé : Etat civil de quelques artistes français.

On possède fort peu des œuvres de François Quesnel, qui, pourtant, dut produire beaucoup. On sait, par l'abbé de Marolles, qu'il fit « de grands tableaux pour les tapisseries », peignit des compositions importantes, comme l'Entrée de la reine Marie de Médicis, le Sacre de Louis XIII à Reims, Henri IV sur son lit de mort, et de nombreux portraits. Or, le Louvre n'a de lui, paraît-il, qu'un dessin (n° 1294 du catalogue Reiset) représentant une femme vue en buste et de trois quarts, en costume du temps de Henri III. La Bibliothèque nationale possède deux dessins aux crayons de couleur portant le nom de François Quesnel, dont l'un serait le portrait de Gabrielle d'Estrées, mais M. Reiset les déclare fort médiocres. Enfin, le musée de Rennes a un portrait d'Eléonore Galligaï, maréchale d'Ancre. D'autre part, on cite, comme ayant été gravés, deux beaux portraits de Henri IV, et des portraits de Marie de Médicis, de la princesse de Conty, d'Henriette de Balsac, de Louise de Lorraine, enfin celui de l'artiste luimême, dont nous donnons la reproduction (1).

La réputation de François Quesnel, attestée par Marolles, est encore confirmée par un fait rapporté dans le Journal de Jean Héroard, à la date du 27 mars 1602. Il y est noté que ce peintre fut amené par l'ambassadeur du duc de Mantoue et le sieur Braccio écuyer ordinaire de la reine, pour faire le portrait du petit Dauphin (le futur Louis XIII), alors âgé juste de six mois. « Il l'a tiré tout de son long, dit le bon Héroard; il avait deux pieds et demi. >>

Enfin une lettre, adressée le 3 novembre 1617, par César Nostradamus, savant historien, fils du célèbre médecin

(1) Dictionnaire de Bellier de la Chavignerie, et Notice, par Fr. Reiset, t. II, p. 411 et suiv.

astrologue, à son ami Hozier, gentilhomme ordinaire du roi, contient ce passage intéressant pour Quesnel :

Permettés que je vous supplie de présenter mes très humbles saluts à M. François Quesnel et l'assurer que s'il m'estime quelque chose, je ne l'honore pas moins. L'honneur de sa fréquentation m'a faict partie honeste homme et vertueux si tant est que je le sois... (1).

François Quesnel étant mort en 1619, ce fut vraisemblablement à cette époque que Jacques, Augustin et la dame Perruchon devinrent copropriétaires de la petite maison avec grand jardin où avait dû se retirer leur père, le vieux peintre, sans fortune, fuyant le monde et les honneurs, d'après le témoignage de Marolles.

Augustin Quesnel seul eut quelque célébrité. Il eut le titre de peintre ordinaire du roi, et laissa

Des portraits qu'il exprimait si bien,

Qu'à leur naïveté l'on ne désirait rien.

Un seul de ses tableaux représentant un Joueur de flûte a été, dit-on, gravé par Ganières. Enfin, on sait qu'il fut, en 1651, l'un des signataires de l'acte de jonction des maîtres peintres et des académiciens.

Quand et comment les trois enfants de François Quesnel cessèrent-ils d'être propriétaires de leur maison? - Ce ne fut peut-être qu'en 1661, à la mort de Jacques et d'Augustin.

Après la chaumière des Quesnel, sur le cueilleret de 1628, on trouve encore une petite maison appartenant à

(1) Bulletin de l'Art français, II, p. 12

un maître maçon, nommé Nicolas Gringot, puis un dernier lot conservé jusqu'alors par De la Planche, vendu ensuite à un sieur Moret et par celui-ci, en 1644, à une dame de Villarceaux.

Vers 1680, les quatre petites propriétés que nous venons d'énumérer avaient été réunies et étaient en la possession du sieur Cottard qui, d'ailleurs, probablement par spéculation, cherchait encore à s'agrandir. En effet, au delà des jardins De la Planche, commençait un grand terrain de sept arpents environ, ayant appartenu à Messire Claude de Montrouge, conseiller au Châtelet. C'était le lieu dit : près les tranchées, ne comprenant que des terres en culture, et borné par les tranchées construites au temps de la Ligue pour la défense de la ville. Au milieu de ce terrain, coulait, peut-être alors à ciel ouvert, le ruisseau de décharge des eaux du Luxembourg, sur le bord duquel était un mauvais chemin appelé le chemin herbu, destiné à devenir la rue du Regard (1).

A la mort de Claude de Montrouge, ses héritiers, MM. de Longueil et autres, par un contrat d'échange passé devant Lemoyne et Langlois, notaires, le 13 juin 1653 (2), cédèrent cette propriété à l'Hôtel-Dieu des Incurables possédant déjà les terres avoisinantes cultivées en marais. Les administrateurs de l'hospice en louèrent la première partie, limitée par le chemin herbu, à Cottard, propriétaire voisin, comme on l'a vu. Mais ce personnage ne paya pas son loyer et, par sentence du 12 mars 1686, le Châtelet prononça la résiliation de son bail. Les administrateurs vendirent alors cette partie de l'ancien terrain de Claude de Montrouge par acte du 6 juillet 1686, passé devant Nor

(1) Arch. nat. S. 3730. Plan manuscrit de 1635. (2) Arch. nat. S. 3730.

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