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à midi, par petits groupes, est on ne peut plus tranquille, pressés qu'ils sont d'aller prendre leur repas, que souvent le père ou la mère, absents, leur ont laissé tout prêt, où qu'ils préparent eux-mêmes; puis, ils retournent à la classe, pour le restant de la journée, avec la même régularité et le même bon ordre.

Ces enfants adorent tous la concierge, la mère Berger, comme ils l'appellent familièrement, tronquant ainsi son vrai nom, Heinschberger, dont le mari est d'origine alsacienne, et chez laquelle ils se précipitent, la plupart, pour y prendre ou y déposer la clé du logement, en l'absence des parents.

Mme Heinschberger, ce qui est à son éloge, est préposée à la garde de l'immeuble dont il s'agit, depuis 28 ans déjà. Elle habitait dans la Cour avant son mariage et succéda à une de ses parentes dans la fonction de concierge : elle a élevé là quatre enfants, tous bien casés actuellement. C'est une concierge d'un genre à part jamais elle n'eut à tirer le cordon traditionnel, par la seule raison qu'il n'en existe pas. Une vaste porte-cochère en bois et recouverte de gros boulons de fer, se trouve bien à chaque extrémité de la Cour, mais ces deux portes sont censées être fermées, la nuit, dans ce passage qui est une voie privée. En effet, celle de la rue du Dragon est fermée, chaque soir, à 9 heures, en toute saison, ce qui oblige les locataires à pénétrer chez eux, à partir de cette heure, par la porte de la rue de Rennes. Celle-ci n'est fermée qu'à minuit, mais pas complètement, car une deuxième porte très étroite y a été ménagée et reste entr'ouverte toute la nuit, ne laissant toutefois passer qu'assez difficilement une personne, et pour cause : le propriétaire s'évitant ainsi les désagréables surprises d'un déménagement à la cloche de bois. sté Hque DU VIa. — 1913.

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La concierge ne quitte jamais sa petite loge, très bien éclairée, et de sa fenêtre, bien qu'à moitié couverte de plantes grimpantes, ainsi que de sa porte vitrée, elle voit tout ce qui se passe dans la Cour. Elle sait si les locataires sont ou non sortis; et, sans avoir à consulter le registre où sont inscrits les nombreux habitants de l'endroit, elle n'est jamais embarrassée pour indiquer le logement, le numéro de l'escalier, l'étage et la porte: « Voyez numéro 11, au troisième, la deuxième porte à gauche... » Cependant, la vie sédentaire qu'elle mène là, depuis 28 années, lui a occasionné un certain embonpoint qui peut la gêner, certes, un peu, mais la rend encore plus respectable.

Sur les deux battants de la grande porte située rue de Rennes, sont cloués deux vieux écriteaux; le premier est ainsi conçu « Le public est prévenu que l'on ne passe plus dans la Cour après 9 heures du soir, » et sur le second, on lit : « Il est défendu de faire stationner des petites et des grandes voitures sous cette porte, sous peine d'amende. »

Deux grosses bornes en pierre sont posées à droite et à gauche de cette porte, extérieurement; mais elles sont modernes. Sous la voûte également, près de cette porte et contre le mur, de chaque côté, on remarque encore de larges bandes de fer, placées à une certaine hauteur, destinées à éviter le frottement, contre la muraille, des jantes des roues des grosses voitures qui passaient par là.

En dehors, à gauche de cette même porte de Rennes, une petite porte étroite, aujourd'hui inutilisée, mais très

bien conservée, devait servir primitivement de porte d'entrée au débit de vins existant là et dont l'installation actuelle, au goût du jour, a exigé une autre entrée. Depuis de nombreuses années, on voit à la terrasse de ce négociant en vin, hiver comme été, un grand éventaire de marchande de fleurs, qui rompt agréablement l'aspect quelque peu sévère de l'entrée de la Cour avec son Dragon, et sur la petite porte en question, il existe une belle enseigne, en fer forgé, commune à beaucoup de débits de vins de l'époque, composée d'une couronne de pampres entremêlés de grappes de raisin et en supportant une grosse, au centre. Deux petites flèches en fer s'entrecroisent sous cette couronne et servent à la maintenir ainsi au-dessus de la porte.

Sur la marquise de ce magasin on lit l'inscription suivante Au Dragon. En effet, au-dessus de la marquise, mais sur le mur, a été reproduit en peinture noire, à peine visible actuellement, un dragon pour servir d'enseigne.

Si l'on se reporte à la gravure de Martial dont nous avons déjà parlé, on peut voir qu'en 1865, sur le mur, là même où a été peint ce Dragon, on lisait deux inscriptions, l'une en assez gros caractères, sans doute le nom du commerçant d'alors « Regimbal », et l'autre, placée au-dessous de ce nom et tenant lieu d'enseigne Au Dragon de la Reine Blanche.

Etait-ce là une sorte de jeu de mot, par allusion au dragon voisin ?

Quoi qu'il en soit, on trouve encore de nos jours, sur le boulevard Saint-Germain (1), non loin de la Cour du Dragon, un établissement, renommé pour ses glaces et dîners, ayant pour enseigne: A la Dame Blanche. Ceci

demandait une explication, car ces deux anciennes enseignes semblaient attester une même origine.

Or, il ne saurait exister, d'après nos recherches, aucune corrélation entre elles. Ce dernier établissement a été ouvert en 1820 par M. et Mme Blanche pour la vente des fruits; ils y ajoutèrent, en 1825, la fabrication de crèmes et glaces qui furent renommées dans le faubourg SaintGermain. On nous assure que, dans un dîner, une certaine glace vanillée ayant été très appréciée, la comtesse de P... s'exclama : « Vraiment, cette dame Blanche vend d'excellents produits ». Le propos, rapporté au commerçant, celui-ci s'empressa de donner son nom à cette spécialité, qui ne fut plus connue que sous l'appellation: Glace de la Dame Blanche, qui devint ainsi, en même temps, l'enseigne de cette importante maison.

Ajoutons que, devant le succès obtenu par les époux Blanche, un autre commerçant vint, quelques années plus tard, ouvrir presque en face, un magasin de glaces et confiserie, qui prit comme enseigne: A la Reine Blanche. Il y eut procès; la nouvelle enseigne fut modifiée ainsi A la Reine de Castille; puis, le malencontreux concurrent dut s'en aller, faute de clients.

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L'eau-forte du graveur Martial montre également une excavation dans le mur de face, à la gauche du Dragon. Est-ce une petite niche ayant abrité une statue, une sainte Marguerite probablement? Mais cet enfoncement a disparu depuis et aucune trace n'en est restée dans la façade

(1) C'était avant le percement du boulevard Saint-Germain, en 1866, le no 10 de la rue Saint-Dominique.

Il en est tout autrement dans la Cour du Dragon. En effet, vers le milieu de cette Cour et à gauche, au-dessus même d'un des puits signalés, il existe dans le mur,

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entre deux fenêtres de l'entresol, une niche, qui d'ordinaire n'attirerait pas les regards des passants, mais qui, en ce moment (1), et pendant le mois de mai seulement, est gracieusement garnie de bouquets de lilas et autres

(1) Mai 1913.

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