Page images
PDF
EPUB
[graphic][merged small][merged small][merged small][merged small]

SA VIE, SON ŒUVRE, SON TEMPS

D'APRÈS DES DOCUMENTS INÉDITS

Avec un Portrait en héliogravure

PAR

LÉON BÉCLARD

Avant la Révolution

1740-1789

PARIS

H. CHAMPION, LIBRAIRE-ÉDITEUR

LIBRAIRE DE LA VILLE DE PARIS ET DE LA société de L'HISTOIRE DE PARIS

9, Quai Voltaire, 9

1903

THE PENNSYLVANIA STATE

UNIVERSITY LIBRARY

AVANT-PROPOS

Sébastien Mercier nous a laissé deux livres inestimables. Il a composé, à la veille de la révolution, un tableau très vaste, très précis et très fidèle de Paris, ville et habitants, âme et matière, esprit et mœurs. Puis, de cet immense modèle, si soudainement transformé qu'à peine semblait-il être demeuré le même, il a retracé la prodigieuse métamorphose, d'un pinceau qui en conserve et qui en perpétue toute la fièvre. Il n'est pas un curieux de ces deux époques, l'une fin et l'autre génération d'un monde, qui puisse se dispenser de revenir et de recourir sans cesse à tant d'images véridiques, éloquentes, inépuisables. Victor Hugo, Louis Blanc, et surtout les Goncourt y ont beaucoup emprunté.

Pour peu, d'autre part, qu'on étudie les origines du théâtre moderne, aussitôt encore on voit se dresser le nom, la personne et l'œuvre de Sébastien Mercier. Avec plus d'audace, de pénétration et de suite qu'aucun autre, il a prédit et proclamé les idées, les exigences qui devaient au XIXe siècle, renouveler, agrandir, étendre en tous sens, la fonction, le pouvoir et les ambitions de l'art dramatique.

En dépit de ce double titre, et assez appréciable, ce semble, à une information attentive, qu'est-il de cet homme, demeuré dans notre souvenir? Il a été la victime d'un incroyable, d'un inique délaissement. Villemain l'a exclu de ses leçons sur le xvIIIe siècle où Saurin, Malfilâtre et Saint-Lambert ont pourtant trouvé place, et Sainte-Beuve, qui a étudié tant de

moindres figures, ne s'est jamais arrêté à le considérer. Un jour enfin, Ch. Monselet l'a introduit dans la galerie de ses Oubliés et Dédaignés. C'est sous de tels qualificatifs que Mercier a obtenu jusqu'ici sa biographie la plus notoire. Une autre forme l'objet de la notice que Desnoiresterres a mise en tête de son édition abrégée du Tableau de Paris. Encore que, dans l'une et dans l'autre, on relève presque autant d'erreurs que de mots, toutes les deux ne laissent pas, d'ailleurs, de lui faire un tort bien pire. Elles s'appliquent à le dépeindre tout uniment comme un personnage farci de bizarreries et de ridicules. Conçu de la sorte, le portrait, je le veux bien, garde quelque peu l'air de l'original, mais il en néglige le meilleur et le principal. Il est infidèle à force d'être incomplet. Au lieu d'une physionomie authentique, il nous retrace l'aspect qu'elle a pris aux yeux de contemporains négligents, ironiques et prévenus. En nous rapportant moins l'histoire d'une vie que celle d'une réputation trop facilement accueillie, de tels témoignages semblent avoir pour objet, ils ont, en tout cas, pour effet de consacrer les titres suspects qui ont fait de Mercier un dédaigné et auxquels il n'échappe qu'en devenant davantage un oublié. Je sais bien, et je n'aurai garde de le taire, qu'un critique, au moins, a jadis élevé la voix, réclamant de l'ingrate postérité plus d'audience et plus de justice. Mais l'Histoire des idées littéraires en France au XIXe siècle, le livre excellent où M. Alfred Michiels a consigné sa protestation n'a pas eu toute la fortune qu'il méritait, et il est, d'ailleurs, depuis longtemps devenu fort rare.

Conduit par l'attrait des œuvres que j'ai rappelées plus haut à m'enquérir de leur auteur, j'ai cru voir l'harmonie prendre la place de l'incohérence. Ces êtres divers et, l'un à l'autre, si mal ajustés: un magnifique peintre de mœurs, un inventeur de fécondes

« PreviousContinue »