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dis que les tombes supérieures en ont offert plusieurs; en particulier une lame de coutelas [pl. I, fig. 1], une agrafe [fig. 2], et deux boucles en fer [fig. 3 et 4]; puis trois grandes plaques de ceinturon, enrichies d'ornements en argent [fig. 5, 6 et 7] (1); malheureusement ces objets, ainsi qu'on peut en juger par les dessins ci-joints, ont été fortement endommagés par la rouille, qui a soulevé et souvent détaché complétement les incrustations d'argent. Près de la poitrine d'un enfant, et je crois que cette trouvaille est peut-être la plus curieuse, on a découvert un grand nombre de fines lames d'or, roulées en spirales, d'environ deux pouces de longueur, et qui paraissent avoir fait partie d'un ouvrage de parfilure dont la soie a complétement disparu. Quant aux ossements, ils sont dans un remarquable état de conservation, dû sans doute à la sécheresse du sol.

Les arbres qui couvrent le sommet de Nernetçan, bien que très-vieux, sont généralement rabougris, gênés sans doute dans leur croissance par les dalles des tombeaux, qui paraissent occuper toute la partie supérieure de la colline, mine intéressante qui ne tardera pas, je l'espère, à être exploitée par ceux de nos collègues à qui la proximité rend ce travail facile.

Je ne pense pas que les objets trouvés dans ce cimetière soient antérieurs au règne de Charlemagne, ni postérieurs à son école, ce qui fixerait au neuvième ou au dixième siècle l'époque où il était en usage (2); mais bien antérieurement le village de Berolles était déjà une place importante; on connaît les traditions qui relient son nom, ceux de Bière et de Saint

(1) Ces divers objets sont maintenant déposés dans les collections de M. Troyon, à Cheseaux.

(2) Ceci ne se rapporte qu'à la première couche des inhumations; les sépultures inférieures paraissent bien plus anciennes : deux blocs granitiques, orientés suivant une ligne courant du nord au sud et situés au-dessous du sommet de la colline, semblent avoir été placés là. avec une intention qui annonce une époque reculée.

Prex avec l'histoire de Prothais, le saint évêque des Aventiciens, vivant à la fin du cinquième siècle; de nombreux restes de constructions romaines s'étendant de Gratalaou le long du Chemin des Romains et du même lieu jusqu'à la colline de Crédémé (Crêt-des-Morts?), prouvent qu'antérieurement à l'irruption des barbares de vastes constructions s'élevaient dans ces lieux, près desquels on a trouvé, à diverses époques, des débris de poteries ornées de figures, des instruments en fer, des ustensiles en verre, des inscriptions et de nombreuses médailles romaines.

Ce qui me fait présumer que la couche supérieure des sépultures de Nernetçan appartient à l'ère carolingienne, c'est le caractère des ornements décorant les trois principales garnitures de ceinturon qui y ont été retrouvées, ornements dans lesquels on reconnaît l'école impériale fondée par suite du zèle de Charles pour les arts et les sciences. Cette école adopta des principes décoratifs très-différents de ceux de l'école locale; il faudrait une dissertation spéciale pour établir ces différences: j'espère traiter ce point d'une manière étendue dans mon Histoire de l'architecture sacrée en Suisse; je me bornerai donc, pour le moment, à présenter une série d'ornements copiés sur quelques manuscrits de l'époque précitée, ornements dans lesquels on reconnaît les principes de la nouvelle école, et dont l'analogie est remarquable avec ceux qui décorent les riches agrafes découvertes en plusieurs lieux de notre patrie (1).

L'entrelacs no 1 de la planche II est copié sur un Évangé

(1) Le quatre-feuilles tracé sur la pièce no 5 de la planche I mérite une attention particulière comme fixant à lui seul la non-antériorité des objets de Nernetçan à l'époque sus-indiquée; ce motif se trouve, de même que le trèfle, dans les édifices carolingiens; mais je ne l'ai jamais rencontré ni dans les monuments antiques, ni dans les objets gallo-romains ou mérovingiens, dans lesquels cependant l'occasion d'employer la décoration lobaire s'est présentée fréquemment.

PL. II.

liaire manuscrit (1), dont tous les caractères paléographiques. fixent la date au commencement du neuvième siècle. Les vingtdeux autres figures de la même planche proviennent d'une précieuse Bible vulgate (2), écrite dans le courant du même siècle et donnée à l'Église de Genève par l'évêque Frédéric, qui siégeait en 1025 et en 1073.

Tels sont, Monsieur, les points de comparaison qui me semblent fixer l'époque de nos monuments; je sais que bien des objections peuvent être élevées contre cette attribution, qui paraît hasardée vis-à-vis de l'état actuel de la science archéologique; mais, je le répète, plus tard je donnerai les preuves qui me semblent établir la filiation que j'indique; réserve que je dois prendre pour ce qui suit comme pour ce qui précède.

J'ajouterai quelques mots sur l'entrelacs, ornement si habituellement employé comme motif de décoration chez un grand nombre de peuples. Les innombrables variétés de formes qu'affecte cet ornement peuvent toutes se grouper en deux classes distinctes comprenant, la première, l'entrelacs ASIATIQUE OU ANIMÉ, ornement remarquable par ses figures si diverses de monstres qui s'entre-déchirent, symboles mythologiques des peuples anciens et dont l'origine doit probablement être cherchée dans les replis tortueux de la forme matérielle que prit le principe du mal pour tenter notre première mère. Plus tard les prêtres de Jésus surent dépouiller cet ornement des significations païennes qu'il manifestait, et le faire servir, de même que les images des faux dieux, à la glorification de la Vérité; ainsi rénové, ils l'employèrent dans la décoration d'une foule de monuments religieux. élevés sous leurs ordres, ainsi que notre église de Saint-Pierre en offre de remarquables exemples.

La seconde classe embrasse l'entrelacs ORNEMENTAL SOUS

(1) Bibliothèque publique de Genève, Msc. latins, no 6. (2) Ibid., Msc. latins, no 1.

toutes ses formes. Cet entrelacs fut adopté par les peuples dont les croyances religieuses différaient assez de celles des nations plus anciennes pour que les mythes de ces dernières leur aient paru des rébus incompréhensibles; les Grecs, les Romains, et plus tard l'école carolingienne l'employèrent avec profusion, et jamais, que je sache, l'entrelacs animé ne fut mis en usage par ces trois écoles; comme j'estime aussi que presque jamais l'école primitive n'employa l'entrelacs ornemental, si ce n'est dans quelques monuments mixtes et d'une époque comparati-. vement très-moderne (1).

J'ai dit que les membres du clergé chrétien qui, jadis, s'occupaient avec tant de zèle de la construction des édifices sacrés, employèrent, dans la décoration de ces monuments, l'imagerie païenne, après en avoir sanctifié les éléments. L'histoire entière de cette adoption et de cette sanctification est écrite en caractères figurés dans les sculptures qui ornent l'ancienne cathédrale de Genève, l'un des plus admirables monuments sortis des mains de l'école sacerdotale.

Les planches suivantes réunissent plusieurs sujets copiés dans cette église (2), et qui furent sculptés dans le but de perpétuer le souvenir des faits dont l'énoncé précède: on voit d'abord l'ecclésiastique, directeur des travaux, caractérisé par son costume clérical, par sa tonsure, par la clef de l'église et la bourse

(1) Telle est, par exemple, l'église de Saint-Pierre, dans laquelle on trouve, à côté des dernières expressions de l'entrelacs animé, une foule de bandeaux nattés, imités de l'école carolingienne; il ne faut, d'ailleurs, point confondre avec l'entrelacs ancien ces gracieuses arabesques ou des quadrupèdes et des oiseaux engoulent les rinceaux, motif aussi fréquent dans l'antiquité que sous les influences de l'école de Charlemagne, et dont l'autel d'or, découvert dans les cryptes de la cathédrale de Bâle (1019) offre des exemples si remarquables.

(2) Toutes les figures des planches III et IV sont dessinées à l'é

PL. III.

qu'il tient à la main pour la paie des ouvriers [fig. 1]; puis les anciens dieux, de formes bizarres et terribles [fig. 2, 3 b, 6, 7 c, 9, 10, etc. (3)], adorés par les gentils, qui fléchissent le genou devant leurs simulacres [fig. 3 a], ensuite aux prises avec les champions de la foi qui les déchirent [fig. 4], les terrassent par la croix de Jésus [fig. 5 (1)] et les enchaînent à une colonne, image de l'Église qui, suivant la divine Parole (2),

chelle de dix-huit lignes pour un pied, soit au huitième de l'exécution; les objets des planches I et II sont de grandeur réelle.

(1) Il y aurait un travail tout entier à faire sur ces étranges figures, qui semblent indiquer que si le culte primitif des peuples du Nord et les hautes doctrines des druides furent établis soit à Genève soit dans quelques centres de communication du Pays romand et du Faucigny, la mythologie populaire ne fut détruite ni par l'introduction du druidisme, ni par celle des divinités grecques et græco-romaines, et que la foi nationale continua de subsister avec une puissance et une énergie telles, qu'aujourd'hui encore on en retrouve partout des vestiges: ce culte ancien dérivait des croyances asiatiques modifiées en Occident: les génies de la terre, les dragons et les hydres des eaux, les serpents ailés dont parle la Bible et les légendes hyperboréennes, les fantastiques déités qui apparaissent sur les nuées du ciel et qu'Ossian a immortalisées par ses chants, le dieu puissant des glaces éternelles dont le culte se célébrait encore publiquement au moyen âge sur nos montagnes, les filles des flots qui étendaient leur empire sur les eaux limpides de nos lacs, tous les objets de la création qu'un fétichisme motivé par les solennels spectacles de la nature du Nord peut présenter comme surnaturels; telles étaient les divinités que vénéraient les anciennes populations de nos contrées et qu'évoquaient les sorciers et les magiciens, dont la race, réchauffée au contact des hérésies qui ont désolé l'Église et non complétement détruite aujourd'hui, s'occupe encore de l'art de guérir par des moyens occultes et de gouverner le mal par ses charmes et ses maléfices.

(2) Dans cet exemple, le serpent, dont l'ange écrase la tête par le bois du salut, personnifie l'idolâtrie même; ce sujet rappelle les innombrables légendes dans lesquelles certains dragons sont représentés vaincus par des hommes aussi courageux que dévoués, emblèmes de la persévérance et de l'abnégation des missionnaires de Christ.

(3) 1 Epitre de saint Paul à Timothée, chap. III, verset 15.

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