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qui, comme homo suus, lui faisait hommage à raison de son comté (10). Il était encore supérieur féodal d'un certain nombre de moindres seigneurs des environs.

Le COMTE n'avait dans Genève que deux attributions politiques importantes.

1° La fonction d'avoué, ou défenseur civil et armé de l'Église (11).

2o Le droit de faire exécuter les sentences criminelles.Nous venons de voir que l'évêque avait le droit de justice criminelle; c'était donc par lui, ou par ses délégués en son nom, les sentences de condamnation devaient être rendues; mais aux termes du droit canon, l'évêque, en sa qualité d'ecclésiastique, ne pouvait, sous peine d'irrégularité, soit de privation de sa charge, faire verser le sang ou exécuter un criminel (12).

que

(10) Comes Aymo in sacrata manu episcopi, sicut homo suus... osculo se tenere confirmavit. (Acte sans date, entre 1124 et 1134, dans Cibrario et Promis, Documenti, etc., Torino, 1833, p. 40.)- En 1124, hominium et fidelitatem comes Aymo Humberto Genevensi episcopo sic absolute fecit, ut nullius melius esset domini, excepto imperatore. Hoc facto, episcopus ei suum antiquum feodum, quantum ad laicos pertinet, donavit. - Voyez les autres formules d'hommages, et ci-après S V et XVII, et Pièces justif., no XXIX.

(11) Comes est et bonus advocatus sub episcopo esse debet. Accord du 22 février 1156. (Spon, Preuves, n° III.) Les comtes étaient les avoués ou défenseurs d'office des prêtres de leur rossort. Voyez un diplôme de Charlemagne portant institution d'un comte, cité par Du Cange, Glossar., vo Comites provinciales.

(12) His a quibus domini sacramenta tractanda sunt, judicium sanguinis agitare non licet. Et ideo magnopere... prohibendum est ne... quod morte plectendum est, sententia propria judicare presument, aut truncationes quibuslibet personis per se inferant, ant inferendas precipiant. Quod si quisquam... tale aliquid fecerit, concessi ordinis honore privetur et loco. Can. 30, causa 23, quæst. 8, ex Concil. Tolet. XIo, ao 675. Sententiam sanguinis nullus clericus dictet aut proferat, nec sanguinis vindictam exerceat. Cap. 9, Decretal. ne clerici vel monachi (3, 50), ex Concil. Later. IV, ao 1215. - Adde, cap. 6

Cette charge était donc dévolue au dignitaire laïque le plus élevé du ressort, au représentant de l'autorité impériale ou royale, au comte, haut fonctionnaire autrefois désigné sous le nom de judex, tout aussi bien que sous celui de comes (13). Quoique ce ne fût là qu'une partie purement matérielle de la juridiction criminelle, dont l'attribution essentielle résidait en d'autres mains (14), cependant ce ministère d'exécuteur des hautes œu

eod. tit., etc. Dans les lettres-patentes du duc Amédée VIII, du 23 octobre 1430, relatives à la publication des Statuta Sabaudie dans Genève, de la part de l'évêque et des citoyens, on lit la réserve suivante: Publicando penas corporales, videlicet appositionis ad pilorium, verberum et alias, dicat ipsas penas imponi delinquentibus ex parte D. Vicedompni et civium dicte civitatis, et non D. Episcopi, Ad EVITANDUM PERICULUM IRREGULARITATIS. (Archives de Genève, Pièces hist., no 479.)

(13) La loi des Francs Ripuaires, tit. 55, emploie ces expressions : Judicem fiscalem, quem comitem vocant. Du Cange, dans son Glossaire, définit le mot COMES, judex civitatis ac pagi circumjacentis. Dans le diplôme de Charlemagne, cité p. 184, note 11, le comte est institué ad universorum causas audiendas, vel recta judicia terminanda.

(14) Le Plait de Seyssel dit que: Si episcopus latronem dampnare decreverit, comiti reddat, ut justiciam faciat. Et en parlant des faux monnayeurs Nonnisi jussu episcopi, comes justiciam faciat. Le comte n'avait pas même le droit d'arrestation: Comes in tota Geneva nullos homines capere debet. L'hommage de 1219 (Spon, Preuves, no XX) porte que le comte ne peut punir les malfaiteurs, nisi mandato episcopi officialium, nisi ab officialibus episcopi puniendi tradantur. Ce partage d'attributions entre l'Eglise et le pouvoir civil, la première ayant haute justice et faisant prononcer, par le ministère de ses officiers laïques, de ses sujets, la sentence de mort, ou, ce qui revient au même, que le coupable sera livré au bras séculier pour en faire justice; le second réduit au rôle d'exécuteur de la sentence qui lui est transmise, se voit nettement dans un accord entre le prieur de Saint-Victor et le comte de Genevois, de 1220, que j'ai publié dans les présents Mémoires, t. IV, part. 2, p. 28. On y lit que le coupable qui aura été jugé par l'officier institué par le prieur de Saint-Victor out par les habitants du lieu, et condamné à mort, nudus solummodo comiti Gebenn. tradatur ad justiciam faciendam. Cette remise du

vres, image symbolique, bien qu'affaiblie, du droit de vie et de mort, du jus gladi, paraissait au moyen âge être encore une prérogative réelle, avoir une véritable importance.

3o Enfin le comte avait la propriété d'un château-fort situé à l'angle méridional de la ville, joignant ce passage voûté que nous avons tous connu, jusqu'en 1840, sous le nom d'Arcade du Bourg-de-Four, et qui, il y a un siècle, se nommait encore la Porte du château (15). Il ne pouvait, sans l'aveu de l'évêque, établir dans la ville aucune autre maison forte, ni même augmenter les fortifications et ouvrages de son château (16).

Ces droits, vestiges d'attributions qui avaient probablement été autrefois plus importantes, étaient tenus par le comte à titre de fief relevant de l'évêque (17).

coupable au bras séculier, faite par le prélat en vertu de la maxime, Ecclesia abhorret a sanguine, rappelle le droit primitif des Romains, où la peine capitale était déguisée sous la formule symbolique qui dévouait le coupable aux dieux, sacer esto, diis devotus, furiis consignatus. (Voyez Essai sur la symbolique du droit, par Chassan, Paris, 1847, p. 195.) Mais ici les rôles sont diamétralement changés : le législateur laïque païen livrait le coupable aux dieux vengeurs; le législateur religieux chrétien l'abandonne à la punition de l'autorité temporelle.

(15) Castrum comitis Gebennensis, situm in angulo ipsius civitatis, porte une charte de 1291 (présents Mémoires, t. I, part. 2, p. 101). Ce château s'appelait le château de Genève : la charte de 1220, citée dans la note précédente, l'appelle castrum gebennense, retro domum que dicitur Herluyn. Voyez ma Notice sur l'inscription de Gondebaud (mêmes Mémoires, t. IV, p. 305).

(16) Statio comitis Gebennis in cognitione episcopi sit, porte le Plait de Seyssel, ce que Bonivard (Chroniques, t. I, p. 224, note marginale) interprète en disant: Comte ne doit avoir forteresse à Genève.Prohibitum est (comiti) ne extra murum veterem castri, aliquis usquam murus construeretur, et constructus extrà veterem demoliretur. (Sentence d'Aix, de 1184; Spon, Preuves, no XII.)

(17) Comes totius civitatis dominium ad gebennensem Ecclesiam confessus est, et quod ibidem habet, ab episcopo tenere. (Même sentence.)

Comme l'évêque, le comte était désigné par la qualification adjective de gebennensis, genevois. On pourrait donc grammaticalement, et par similitude d'origine, l'appeler comte de Genève ce nom aurait même en sa faveur l'autorité de la tradition, car c'est celui que prenaient autrefois ces comtes; c'est celui sous lequel ils ont été désignés par plusieurs auteurs.— Mais si l'on considère qu'il résulte du parallèle ci-dessus établi entre les attributions des autorités spirituelle et temporelle dans Genève, que l'évêque y avait seul la seigneurie féodale et la juridiction, et que le comte n'était réellement seigneur et souverain qu'au dehors, spécialement dans la province de Genevois, on en conclura que ce n'est pas sans raison que nos magistrats et nos historiens ont refusé à ce comte le titre formel de comte de Genève, et lui ont donné celui de comte de Genevois (18). C'est ainsi qu'il sera désigné dans le reste de ce mémoire.

Les comtes de Genevois, seigneurs puissants et bien possessionnés hors de Genève, se trouvaient gênés et mal à l'aise en n'ayant que des attributions si restreintes dans une ville qui avait donné son nom à leur comté et à leur maison, et qui semblait destinée par la nature à être la capitale de leurs états. Aussi les voit-on, de père en fils, lutter sans cesse et par tous

(18) Voyez Protestation des Syndics et Conseils contre la qualification de comte de Genève prise par le duc de Savoie dans le traité soit Mode de vivre du 5 mai 1570. (Arch. de Genève, Pièces hist., no 1890.) — Décision du Petit Conseil, du 16 novembre 1601, dans les Fragm. hist. et biogr. sur Genève, p. 81. — Voyez aussi Lévrier, Chronol. hist. des comtes de Genevois, t. I, p. xj, etc.- De même, tandis que l'archevêque de Vienne était seigneur de la ville de ce nom (Charvet, Hist. de la sainte Eglise de Vienne, p. 338 et suiv., 724 et suiv.), le dauphin était seigneur de la province environnante: on l'appelait dauphin du Viennois; tandis que l'archevêque d'Embrun et l'évêque de Gap étaient seigneurs de leurs cités épiscopales, les comtés d'Embrunois et de Gapençois appartenaient à des seigneurs laïques. (Valbonnais, Hist. du Dauphiné, Genève, 1722, t. I, p. 247 et 251.)

les moyens pour accroître leur pouvoir dans cette ville au préjudice de celui du prélat. Au douzième siècle, ils s'efforcent d'obtenir les droits régaliens sur Genève; de là naquirent de longs débats entre eux et les évêques Humbert de Grandmont, Arducius de Faucigny, et Nantelme. Obligés à la fin, par les décisions de leur commun supérieur, l'empereur, de renoncer à cette prétention, on les retrouve au siècle suivant se servant de leur château de Genève pour opprimer les hommes de l'évêque, les dépouiller de leurs biens, attenter même à leur liberté (19). Mais les châteaux de l'Ile et de Marval (20), le premier bâti, le second reconstruit par l'évêque Aymon de Grandson, mirent les sujets de l'Église à l'abri de ces coups de main; et vers la même époque, en 1219, les démêlés cessèrent par l'hommage que Willelme de Genevois fit à l'évêque de Genève. Il lui jura fidélité, en reçut l'investiture du fief du comté, et l'acte qui fut dressé à cette occasion reproduisit et confirma les droits respectifs du prélat et du comte, tels qu'ils avaient été fixés par le traité de Seyssel et les accords postérieurs (21).

Pendant toute cette période, on ne voit point le comte de Savoie jouer un rôle quelconque sur la scène politique de Genève. Il figure seulement dans quelques documents en même temps que l'évêque, mais c'est simplement comme avoué d'un

(19) Voyez, pour les débats entre l'évêque et le comte au douzième siècle, les actes nos III et suivants, aux Preuves de Spon. Pour le commencement du treizième, on lit dans l'Enquête contre un évêque de Genève (Spon, édit. in-4°, t. II, p. 420): Solebant per homines comitis rapere mulieres, et opprimere, et bona hominum episcopi auferre. L'enquête ajoute que cela n'eut plus lieu depuis la construction des châteaux de l'Ile et de Marval.

(20) L'île dont il s'agit ici est celle située dans le Rhône, à Genève, entre l'ancienne ville et le faubourg de Saint-Gervais; elle a 660 pieds de longueur. (H. Mallet, Description de Genève, 1807, p. 117.) — Marval ou Malval est un village situé sur la rive droite de l'Alondon, à trois lieues ouest de Genève.

(21) L'acte est dans les Preuves de Spon, no XX.

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