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Mais ils échouent dans ces tentatives, fréquemment renouvelées depuis 1311 jusqu'en 1430.

Enfin ces princes, ayant vu s'accroître leurs états et leur puissance, ne prennent plus la peine de recourir aux tractations légales pour obtenir la souveraineté d'une ville qui, enserrée par eux de toutes parts, semble hors d'état de leur résister; mais ils placent les cadets de leur famille sur le siége épiscopal de Genève, et, confondant ainsi les dominations spirituelle et temporelle, ils y établissent leur autorité d'une manière toujours plus péremptoire et plus absolue. Elle y domine avec des phases et sous des formes diverses, jusqu'au moment où le contraste entre l'indépendance de Genève en droit et son assujettissement en fait, où le mouvement de rénovation de l'esprit humain produit par les lueurs de la Réforme, où l'élan des peuples vers la liberté et vers des destinées nouvelles, secondé à Genève par des circonstances extérieures, viennent produire dans cette cité une réaction salutaire, et lui fournir les moyens de secouer une domination que trois siècles n'avaient pu y naturaliser.

Des recherches étendues m'ayant donné l'occasion de réunir des documents nombreux, et dont plusieurs étaient jusqu'ici demeurés inconnus, me permettent d'éclairer ce sujet d'un jour nouveau et plus complet que ne l'avaient pu faire mes prédé

cesseurs.

Je dois commencer par donner quelques explications préalables pour faire comprendre quelle était la situation politique de Genève, au moment où la maison de Savoie commence à paraître sur la scène de cette antique cité. Leur nécessité fera excuser, j'espère, leur développement.

§ II. Positions respectives de Genève et des seigneurs voisins.A l'époque à laquelle l'histoire spéciale de Genève commence par les plus anciennes chartes conservées dans ses archives, cette ville se trouvait placée, par rapport aux souverainetés voi

sines, dans une situation bien différente de celle où nous la voyons aujourd'hui.

La ville de Genève, ses faubourgs et son étroite banlieue, reconnaissaient leur évêque pour seigneur temporel, dominus, toutefois sous la suzeraineté, la mouvance impériale (2). Nous verrons, au paragraphe suivant, que le comte du district ou comté auquel Genève avait donné son nom, y exerçait aussi quelques droits. - Le prélat était, en outre, seigneur féodal direct de trois terres, protégées par les châteaux ou maisons fortes de Thiez en Salas, Jussy et Peney (3). Ces châtellenies, d'un ressort peu étendu, et enclavées dans les domaines des seigneurs laïques voisins que nous allons nommer, étaient distantes de quelques lieues, soit entre elles, soit du chef-lieu.

En deçà du lac et du Rhône on trouvait d'abord deux petits districts limitrophes, assis sur les deux rives de l'Arve, et connus jusque vers la fin du siècle dernier sous les noms de bailliages de Gaillard et de Ternier (4): ils appartenaient au comte genevois (5). Ce seigneur possédait aussi cette fertile province

(2) Certissimum est quod episcopus Gebennensis ipse solus et in solidum princeps est et verus dominus civitatis, et fuit semper continue,... non habens, nec unquam habuit in dominatu seu principatu ejusdem civitatis aliquem participem vel consortem.... salva tamen in omnibus imperatoria majestate, ac sedis apostolice auctoritate, et metropoleos Viennensis ecclesie dignitate. (Monitions de l'évêque aux citoyens de Genève, du 13 mai 1291; présents Mémoires, t. I, part. 2, p. 68.)Voyez, au surplus, le § 1 et les notes auxquelles il renvoie.

(3) Le plus ancien document qui nous montre l'évêque seigneur de la terre de Salas, appelée aussi de Thiez, du nom de la maison forte qui la défendait, et de Viu, de celui de son principal village, est de l'an 1190; présents Mémoires, t. II, part. 2, p. 45. Quant à celles de Jussy et de Peney, on voit que l'évêque en était seigneur, par l'Enquête contre un évêque de Genève, imprimée dans l'édition de 1730 de l'Histoire de Genève de Spon, document sans date, mais de la première moitié du treizième siècle.

(4) Voyez la Carte des environs de Genève, de Henri Mallet, 1776. (5) Quant à Gaillard, on voit par la petite chronique genevoise du quatorzième siècle, citée par Bonivard (Chroniques de Genève, édition

qui s'étend à partir du versant méridional du mont de Sion et du Vuache, et qu'on nomme encore aujourd'hui le Genevois proprement dit (6). Plus à l'est le Faucigny; à l'ouest, soit au delà du Rhône et du lac, le pays de Gex, obéissaient à des seigneurs particuliers, vassaux de ce comte, qui, ainsi, entourait Genève de toutes parts (7).

Quant à la province à laquelle on réservait alors le nom de Sabaudia, Savoie propre, elle était bien éloignée de Genève, puisqu'elle était en dehors de son diocèse et faisait partie de celui de Grenoble, dont elle constituait l'un des décanats ou subdivisions ecclésiastiques. Envisagée de cette manière ancienne

Dunant, t. II, p. 307), et dont M. Cibrario a donné une vieille traduction française (Storia della monarchia di Savoia, t. II, p. 368), que le château qui commandait ce bailliage avait été bâti par le comte genevois anno 1304, mense Julii, fuit bastitum castrum Galliardi per D. Amedeum comitem Gebenn. - Quant au bailliage de Ternier, diverses chartes du treizième siècle montrent que le comte genevois était seigneur direct de la plupart des terres de ce district, c'est-à-dire de celles sises entre le mont de Sion, l'Arve et le Rhône (présents Mémoires, t. IV, part. 2, p. 28, 34, 44, 59). Le château même de Ternier appartenait à un seigneur vassal de ce comte. (Plait de Seyssel, de 1124, dans les Preuves ajoutées à Spon, n° I: acte de 1201, dans les présents Mémoires, t. II, part. 2, p. 54.)

(6) Sans citer ici tous les actes qui prouvent que le comte avait la seigneurie du Genevois, Gebennesium, il suffira de rappeler qu'Annecy paraît déjà avoir été en 1219, comme aujourd'hui, le chef-lieu du GeBevois et la résidence du comte au centre de cette partie la plus importante de ses domaines. (Preuves de Spon, n° XX.)

(7) La vassalité des seigneurs de Faucigny envers le comte genevois se déduit du Plait de Seyssel de 1124, auquel le comte arriva cum comitatu virorum suorum, entre autres Rodulf de Fulciniaco. (voyez Ménabréa, Alpes historiques, Chambéry, 1841, p. 108, et l'hommage d'Aymon de Faucigny envers W., comte genevois, ciaprès Pièces justificatives, no I.) -- Celle des seigneurs de Gex se déduit du même Plait, où Dalmacius de Gayo figure ex parte comitis. On voit dans l'hommage fait par Amédée, seigneur de Gex, à Pierre de Savoie, en 1234 (Pièces justif., n° VIII), qu'il réserve avant tout la fidélité qu'il doit au comte genevois.

et spéciale, on peut dire qu'elle touchait au nord l'extrémité méridionale du Genevois, et se trouvait ainsi distante d'environ une quinzaine de lieues de la ville de Genève. Son souverain, plus habituellement désigné à cette époque sous le nom de comte de Maurienne, était bien en même temps seigneur du Chablais, province qui baigne la rive gauche du lac; mais l'extrémité la plus méridionale de ce district s'arrêtait encore à plus de trois lieues de Genève (8). Les possessions des comtes de Maurienne et de Savoie n'étaient donc, sur aucun point, limitrophes de notre cité ni des terres épiscopales.

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§ III. L'évêque de Genève et le comte genevois. Comme la première origine du pouvoir que les comtes de Savoie ont exercé à Genève, n'est autre que leur substitution, ou, dans le langage légal, leur subrogation aux droits que le comte genevois y exerçait, il nous faut d'abord rechercher quelles étaient, dans Genève, les prérogatives et attributions respectives de ce comte et du prélat diocésain.

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(8) Voyez le tracé de ces diverses provinces dans la Carta corografica des États du duc de Savoie, publiée en 1683 par Borgonio. - Cependant leurs limites n'étaient plus alors tout à fait les mêmes qu'au moyen âge. Ainsi cette carte attribue à la Savoie propre des terres qui étaient bien, d'ancienneté, possédées par les comtes de Maurienne, comme les Bauges, mais faisaient partie du diocèse de Genève, et ainsi ne devaient pas appartenir originairement à la Sabaudia, décanat du Idiocèse de Grenoble. Le Chablais n'avait pas, au moyen âge, la même configuration que dans la carte de Borgonio: il s'avançait davantage au nord-est, puisque le Bas-Valais actuel, jusqu'au delà de Saint-Maurice, en faisait partie; mais aussi il ne descendait pas autant au sud-ouest, puisque Hermance appartenait au seigneur de Faucigny, et Baleison au comte genevois, etc. - - On aurait une meilleure idée des anciennes limites des pays qui environnaient Genève, en ayant sous les yeux une carte de l'ancien diocèse genevois, subdivisé en ses décanats: j'en ai réuni les éléments, et j'espère pouvoir la publier plus tard. Voyez encore, sur ce sujet, le cháp. ш, liv. Ier, de l'excellente Histoire de Chambéry, de M. Léon Ménabréa, maintenant en cours de publication.

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Au douzième siècle, deux pouvoirs principaux se partageaient dans Genève l'exercice de la puissance publique : l'évêque de Genève, et le comte de Genève ou de Genevois; mais leurs positions respectives étaient fort inégales dans la cité épiscopale.

L'ÉVÊQUE y avait seul le ban, la justice (y compris le mère et mixte empire ou justice criminelle, et l'omnimode juridiction), la seigneurie sur tous les habitants, même sur les aubains ou étrangers après l'an et jour de résidence; les droits de gite, de plait général, de forage du vin, de rivage, de corvée, de mutation d'immeubles après décès, de marché, de péage, de monnaie, de confiscation des biens des criminels, en un mot, tout ce que l'on désignait sous le nom de régales (9).

Il était, en outre, le supérieur féodal du comte genevois,

(9) Le Plait de Seyssel, intervenu en 1124 entre l'évêque et le comte, acte fondamental de la constitution de Genève au douzième siècle, porte que le comte totas Gebennas episcopo in pace dimisit.... Bannum tocius Geneve in omnibus et per omnia solius episcopi esse. Justiciam et dominium, cujuscumque sit homo, ad episcopum solum pertinere. Adventicios quoque, ex quo per annum et diem Gebennis moram fecerint, solius episcopi esse.... Hospitalitatem, placitum generale, forationes vini, et totum ripale, coroadam, et mutationes domorum si dominus mortuus fuerit, debet ut dominus possidere. Forum tocius ville, et justiciam fori, similiter solius episcopi esse. Pedagium et pascua solius episcopi similiter.... Monetam in manu solius episcopi esse.... Si quis latro captus fuerit, ipsum et omnia ejus episcopus habere debet. -Voyez aussi les actes qui sont aux Preuves de Spon, sous les nos II à VI, VIII à XVIII, et XX. Et dans Muratori (Antiq. Ital. medii ævi, t. VI, p. 62), la Petitio episcopi Gebenn., qu'il rapporte à l'année 1183, où on lit quod ad episcopum solum spectant in diocesi Gebenn. regalia, sub quibus specialiter continentur fodine metallorum, salinarie, vie publice, cursus aquarum et fluminum publicorum, alpes, jures nigre, et alia sub regalibus comprehensa. Et plus bas : quod ad eum spectat in solidum, et ad nullum alium, merum et mixtum imperium, et omnimoda jurisdictio in civitate et suburbio gebennensi, et infra banna ipsius civitatis.

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