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LETTRE

A M. L. VULLIEMIN,

Président de la Société d'Histoire de la Suisse Romande,

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(Lue à la Société d'Histoire et d'Archéologie de Genève, dans sa séance du 8 mars 1849.)

Monsieur et très-honoré Président,

L'intérêt qu'ont répandu sur l'histoire de la Patrie Vaudoise les savants ouvrages dont vous avez enrichi notre littérature, et qui sont à la fois des guides indispensables et pour ceux qui font des sciences historiques le but d'études spéciales, et pour TOM. VII.

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les gens du monde qui ne demandent qu'un aperçu sommaire des fastes nationaux, a été la cause de la conservation d'un grand nombre de monuments précieux devenus, sans cet intérêt, la proie d'un vandalisme ignorant, et qui aujourd'hui font le sujet d'études sérieuses de la part des savants qui illustrent le canton de Vaud, études qui leur assurent une large part à la gratitude des amis de la science. Permettez-moi, Monsieur, de vous témoigner ici combien, pour ma part, je suis reconnaissant et de vos travaux et de l'indulgence avec laquelle vous avez bien voulu accueillir mes faibles essais.

Je viens aujourd'hui vous communiquer quelques détails touchant la découverte d'anciennes sépultures, sujet sur lequel notre savant collègue, M. Troyon, a jeté tant de jour par la publication de son ouvrage sur le cimetière de Bel-Air (1).

Au pied du Jura, non loin du village de Berolles, et à une faible distance d'une ancienne voie qui porte encore le nom de Chemin des Romains, se trouve un tertre isolé et circulaire d'une assez grande étendue, et dont le sommet est couvert d'un bois de chênes et de hêtres mélangés de quelques sapins. D'étranges histoires circulent sur cette localité, lieu de rassemblement de la Chette qui, dit-on, à minuit, et aux accents d'une musique enchantée, y fête le sabbat; suivant les récits populaires, on voit alors s'élever du milieu de la colline, qui porte le nom de Nernetçan ou champ Nernier, un dressoir chargé de vaisselle d'or et d'argent et qu'entoure une table couverte de mets délicieux; durant tout le festin, un cheval gris décapité (2)

(1) Description des tombeaux de Bel-Air, près Cheseaux sur Lausanne, par Frédéric Troyon; Lausanne, 1841.

(2) Ce cheval gris se rapporte à plusieurs points de la mythologie scandinave: il rappelle la déesse Freïa, qui allait à cheval partout où il y avait des combats et qui s'attribuait la moitié des morts (a); Gna,

(a) Voy. l'Introduction à l'Histoire du Danemark, de P.-H. Mallet; 1787, 2o part., p. 136.

circule autour de l'assemblée, dont tous les membres s'ajoutant en ronde gigantesque enveloppent la colline; puis, ombres légères, se dispersent comme elles sont apparues. De nos jours encore, ajoute-t-on, ces merveilles s'accomplissent, et les armes à feu sont sans effet contre la fameuse colline, lorsque le bruit des instruments se fait entendre; plusieurs fois la cupidité voulut entr'ouvrir les flancs du monticule qui, au dire des anciens, recèle de grands trésors; mais, parvenu à une certaine profon

la messagère de Frigga, qui avait un cheval courant dans les airs et sur les eaux (a); la merveilleuse monture d'Odin, le cheval Sleipner, le plus excellent de tous ceux que les dieux et les hommes aient possédés (b).

Au delà du Jura, dans la Franche-Comté, l'ancienne Séquanie, on retrouve à chaque pas des légendes sur certains cavaliers aériens assez redoutés de la crédulité villageoise pour que les sachets magiques, contenant du beurre et du sel, soient employés contre leurs projets malveillants (c), pratique qui se retrouve aussi dans la vallée du Léman, où les détails relatifs à la Chette, ont, dans la partie orientale surtout, où elle est plus communément appelée la Synagogue, de grandes analogies avec la chasse d'Odin; car ordinairement ce sont de hardis chasseurs magnifiquement vêtus, sonnant de l'oliphant et environnés de meutes nombreuses qui, au déclin des chaudes journées de l'été passent sur les champs sans que leur course légère fasse seulement onduler les épis de la moisson; ou bien c'est le chasseur noir, suivi des sorciers et des pendus, qui traverse les bois aux yeux du bûcheron effrayé qui travaille solitaire et qui reconnaît, dans le bruit des hautes futaies chargées de frimas et balancées par le vent du nord, la voix des réprouvés qui forment le cortége qui l'épouvante.

On sait d'ailleurs quel rôle joue dans l'histoire de la sorcellerie le pouvoir de parcourir les airs par des moyens magiques, pouvoir contre lequel sévit plusieurs fois la puissance ecclésiastique et séculière, et dont la créance avait probablement sa source dans la foi ancienne.

(a) Ouvrage cité de P.-H. Mallet, p. 165.

(b) Ibid., P. 182.

(c) Voy. Du culte des esprits dans la Séquanie, par M. D. Monnier; 1834,

deur, un oiseau éteint la lampe dont se sert le téméraire mineur, le laissant accablé de frayeurs soudaines (1).

Dans les premiers jours de ce mois (février 1849), le possesseur d'une partie du terrain travaillait à le défricher, quand, m'a-t-il dit, le cri d'un oiseau semblable au glapissement d'un petit chien se fit entendre au-dessus de sa tête; quittant aussitôt son travail, le laboureur parcourut le bois en entier sans apercevoir aucun animal; le bruit avait cessé, mais il recommençait dès que la pioche remuait la terre; le 9 février, l'instrument frappait sur une dalle de grisard (2) qui, levée, laissa voir les débris d'un cadavre; dès lors l'être mystérieux qui avait troublé le travailleur cessa ses lamentations.

Quelques jours après, j'arrivai sur les lieux où la fouille continuée avait mis à découvert sept sépultures; des six premières (3), régulièrement disposées du nord-ouest au sud--est, quelques-unes étaient environnées de pierres plates dont les joints étaient soigneusement garnis de mortier, circonstance peu commune (4); ces tombeaux étaient les uns presque à fleur du sol, les autres à deux ou trois pieds plus bas; le septième, orienté du sud-ouest au nord-est, était placé à cinq pieds et demi environ de profondeur (5), sans aucune trace de sarcophage et sans qu'aucun objet accompagnât les ossements, tan

(1) Les fouilles auxquelles ce trait se rapporte ont été faites il y a une cinquantaine d'années; suivant une vague tradition un couvent aurait jadis occupé l'emplacement de Nernetçan.

(2) Sorte de roche micacée dont on trouve des bancs dans la montagne voisine, où ils sont encore en exploitation.

(3) Une de ces tombes avait servi pour deux cadavres.

(4) Les tombes de Cheseaux ne présentent aucune trace de mortier. (Mémoire cité de M. Troyon, p. 1 et 4.)

(5) Au-dessous de ce squelette se trouve le sol vierge, ce qui prouve que seulement la partie supérieure du monticule, qui est semée de débris de tuiles à rebords, est formée de terrain artificiel ou rapporté.

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