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un homme qu'elle n'aimoit pas. Cette pauvre fille a donc été la victime de la lâche avarice de ses parens! Qu'il étoit cruel de la forcer à épouser un vieux singe de soixante ans, avec un œil de verre et une jambe de bois! C'étoit renouveller le supplice de ce Mézence, qui lioit les vivans avec les morts. On dit qu'ayant été conduite dans la chambre nuptiale, elle se retira dans un cabinet voisin, tandis que le monstre se deshabilloit, et que là elle prit un verre de poison qui la tua en un quart d'heure de tems. Je n'approuve nullement le suicide j'espère cependant que Dieu lui a fait grâce: c'est plutôt le crime de sa famille que le sien.

A LA MÊME

Il est arrivé cette nuit une aventure qui a causé beaucoup de confusion, et qui est singulière : je m'en vais vous la dire. Un homme a pénétré, je ne sais pas comment, dans l'appartement de Madame, tandis qu'elle étoit couchée et endormie, s'est jeté sur son lit et l'a embrassée. Aussitôt voilà la pauvre Princesse qui se réveille, se débat, et jette les hauts cris. On accourt, et on la trouve qui étoit tombée dans la ruelle, étroitement embrassée par cet homme qui ne vouloit pas lâcher prise. On l'a conduit en prison dans le dessein de le punir de sa témérité mais après quelques recherches on a trouvé que c'étoit un somnambule qui occupe une petite charge à la cour, et qui ne manque jamais de courir toutes les nuits en dormant, à moins qu'on ne l'enferme avec soin. On l'a donc relâché,

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et chacun rit de cette aventure, excepté Madame, qui paroît un peu confuse.

Voilà la nouvelle du jour. Votre Mairan a présenté son livre au Roi, qui l'a bien reçu. Mon Dieu, qu'il a l'air bête ! et cependant tout le monde dit que c'est un grand homme : au reste, tous ces géometres ont l'air sot. On m'a raconté une petite anecdote au sujet de cet homme-là, qui m'a bien fait rire. Le feu avoit pris par hazard à sa maison, et étoit prêt de pénétrer au second étage, où il travailloit tranquillement à ses cercles et à ses triangles. On court lui dire de se sauver sans délai, s'il ne veut pas avoir le plaisir d'être brûlé tout vif, et de donner ses ordres dans ce cas pressant : « Parlez à ma femme, dit-il, je ne me mêle pas de cela. » Sur quoi il se remet à rêver à la Lune comme auparavant. On a été obligé de l'arracher de force de son cabinet, et de l'emporter hors de la maison. Quels animaux!

A LA DUCHESSE D'ESTRÉES

Ce fou de Bâville est revenu de l'isle ténébreuse, et il parle avec enthousiasme des Angloises. Les philosophes de ce païs-là, dit-il, ont éclairé le monde, et les femmes l'embellissent. Mais, lui disoit le Roi, on prétend que les Angloises sont fort pâles? Ah, Sire, reprit cet original, c'est la couleur de la tendresse et de la volupté; et si je n'avois que trente ans, je craindrois plus ces joues pâles que nos visages rouges de Paris. Si le paradis de Mahomet existe, ce sont sûrement des Angloises qui font le bonheur des saints.

A LA COMTESSE DE NOAILLES

1751.—On a joué le soir dans l'appartement du Roi, qui gagna beaucoup : mais il s'est passé une scène qui m'a déplu. Il avoit devant lui un gros monceau d'or: voilà subitement que sa manche fait tomber un Louis d'or, et il se baisse pour le ramasser. Le Prince de *** qui faisoit sa partie, et qui avoit observé son action. en renverse sur le champ une centaine à dessein, et ne daigne pas y faire attention. Le Roi lui dit : « Mon cousin, pourquoi ne ramassez-vous pas ce qui est tombé? Bagatelle, reprit son Altesse, c'est pour les balayeurs. >> Sa Majesté sentit ce trait de satyre, et quitta le jeu1. Cependant ce même Prince sait mieux que personne, que le Roi n'est pas avare, et qu'il ne peut l'être. Il n'y a pas encore quinze jours qu'il a payé toutes ses dettes, qui montoient à plus d'un million, dans un tems qu'il n'avoit plus de crédit que chez son pâtissier mais il ne s'embarrasse pas d'être ingrat, pourvu qu'il dise un mot piquant.

1. On raconte le même trait de Talleyrand, qui alluma à la bougie de la table du jeu un billet de banque de 1.000 francs pour donner de la lumière à Louis XVIII ramassant un louis tombé à terre.

X.

Journal de Barbier,

Avocat au Parlement de Paris

Edmond-Jean-François Barbier naquit à Paris, rue Galande près la place Maubert, le 16 janvier 1689. Fils et petit-fils d'avocats au Parlement, il embrassa la même carrière et fut inscrit au tableau de l'ordre, âgé de moins de vingt ans. Mais il n'avait aucun goût pour les luttes oratoires et demeura toute sa vie avocat consultant. Cette profession était alors une sorte d'agence de conseils et d'affaires qui mettait le titulaire en relations suivies et amicales avec de nombreux clients. C'est ainsi que Barbier vécut familièrement avec les plus grandes familles parisiennes, avec les d'Argenson, les Nicolaï, le maréchal de Saxe.

Nous ne reviendrons pas ici sur le parallèle entre les journaux de Marais et de Barbier dont nous avons parlé à propos du premier (Voir p. 68). Bornons-nous à espérer que nos lecteurs ne trouveront pas les grivoises épices de Barbier trop inférieures à celles de Marais. Ils pourront d'ailleurs rendre un arrêt motivé en comparant le récit fait par l'un et l'autre d'une scène qui

eut pour théâtre les magasins de l'Opéra, rue SaintNicaise (p. 115 et 252).

Un des plus longs morceaux que nous lui ayons emprunté se rapporte à l'arrestation, au jugement et à l'exécution de Damiens. On voit que Barbier était à mème de suivre de près les événements du Palais, et son compte rendu est ici des plus intéressants. Nous avons utilisé le texte du journal publié chez Charpentier, en 1857, par un annotateur qui a conservé l'anonyme. L'éditeur, lui-même anonyme, des Mémoires de d'Argenson (édition Jannet) attribue les annotations du jour

nal de Barbier à M. Chéruel.

1720

Juin. Le cocher du cardinal Dubois se querelloit avec celui de M. l'archevêque de Reims. Chacun d'eux s'échauffoit sur la qualité de son maître; le cocher de l'archevêque de Reims dit que son maître sacroit le Roi : « Voilà grand'chose, dit l'autre cocher; mon maître sacre Dieu tous les jours! »

CHANSONS SUR LE RÉGENT

1721

Philippe, prince de renom,
Disciple d'Epicure,

Grand imitateur de Néron,

Toi qui sais la peinture,

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