pas Morceaux choisis, mais Morceaux exclus; c'est le fond du panier des mémoires du dixhuitième siècle; c'est aussi le mille-unième de ces vieux anas qui, se copiant les uns les autres, ont amusé tant de générations. J'ai spécifié que j'avais compilé ad usum Medici, je ne pense donc pas avoir à m'excuser d'avoir fait aux anecdotes libertines la part trop large aux dépens des curiosités historiques. M'excuserai-je même de n'avoir pas rejeté ce qui a trait à l'amour socratique, aux pratiques des non-conformistes, comme on disait au dix-huitième siècle? Non pas, et cela pour la raison que ces pratiques intéressent le médecin au titre pathologique, et surtout qu'on ne peut se faire une idée juste des mœurs d'une époque si, par pudibonderie, on fait abstraction de ce qui paraît trop à charge pour ces mœurs. Une question restait pour moi assez embarrassante à trancher. Si l'on met à part les publications délibérément licencieuses, qui demeurent cachées dans l'enfer des bibliothèques d'amateurs, la plupart des ouvrages du dixhuitième siècle ne désignent les organes génitaux, leur usage, leurs maladies que par des initiales suivies de points. On se promène ainsi dans des allées de c.... de v..., de b....., de c... p..., etc. C'est un peu fatigant à la longue, et bien inutile souvent1. En effet, ou bien le lecteur complète immédiatement le mot, il était alors enfantin d'abréger; ou bien il ne complète pas, et l'historiette est ridicule. Allais-je donc appeler un chat, un chat, et inversement? Grosse affaire! dirai-je. Je l'avoue, j'ai eu le trac. La crainte du robin est le commencement de la sagesse. En principe j'ai donc respecté la typographie première, allongeant parfois l'initiale d'une ou deux lettres quand l'abréviation m'apparaissait par trop bête. 1. J'emprunte au Menagiana (Paris, 1693, p. 211), dont les extraits forment le début de cet opuscule, un exemple de cette transformation d'une historiette en énigme par des points. << Un ecclésiastique de Poitou achetoit un J... 7 francs chez Petit, et trouvant qu'il étoit cher, il disoit : Mais est-il bien entier ? Le garçon de Petit dit: Il s'en faut peu. Et quoy! dit le Poitevin, les c.... P...... n'y sont pas ? Ah! vraiment si elles y étoient, répondit le garçon, vous ne l'auriez pas pour 200 francs. » Le prix de la vente me permet de supposer que J... représente ici un jars, que vend un garçon rôtisseur. S'effrayer d'écrire un jars n'est pas d'une pudibonderie banale; Molière n'eût pas terni la réputation de son Agnès en lui faisant dire « Le petit jars est mort. » Quant aux c.... p...., il s'agit sans doute de ce qui était appendu, ce dit-on, au nom patronymique du cardinal de Bonnec.......e avant qu'il l'émasculât pour ne pas surexciter la curiosité de ses pénitentes. Le jars de Petit eût été bien phénoménal, à la vérité s'il eût laissé voir ce que le Poitevin disait lui manquer. J'ai cherché à conserver à ces extraits un ordre vaguement chronologique, bien que les originaux dont ils sont tirés se chevauchent souvent les uns les autres. Cette première série correspond à peu près à la première moitié du XVIIIe siècle. Une seconde pourra comprendre la fin du règne de Louis XV après la mort de la Pompadour et la période pré-révolutionnaire à laquelle se rapportent les Mémoires de Bachaumont, cause première de cet opuscule. Bien que les personnages dont il s'agit soient presque tous bien connus, j'ai cru bon d'illustrer ces Heures de gravures autant que possible contemporaines des personnages représentés. Cette illustration eût été sans limites, si je ne m'étais imposé de ne reproduire que des documents m'appartenant. Quelques-uns de ceux-ci (le Grand Dauphin, le Régent) ont subi une mutilation qui n'en a pas diminué l'intérêt. Un amateur éclairé a fait sauter d'un coup de canif les fleurs de lys du cartouche et le privilège du Roy, jaloux sans doute d'avoir sa part du pompeux hexamètre composé par un enthousiaste en l'honneur de Franklin : Eripuit cœlo fulmen, sceptrumque tyrannis. L'insertion de certains portraits se justifie plutôt par leur valeur de curiosité que par leur rapport direct avec le texte ; celui du Maréchal de La Meilleraye doit sa présence à une ligne banale (p. 91) consacrée à son arrière petit-fils, Guy-Paul, l'oncle des quatre sœurs de Nesle; celui d'Henri IV, d'allure quelque peu caricaturale, est peut-être plus ressemblant que la statue du Pont-Neuf. Le venin que l'on rencontre dans la queue de tout bon préambule sera ici avantageusement remplacé par le miel périgourdin de Montaigne. « Je m'en vois escornifflant, par cy par là, des livres, les sentences qui me plaisent, non pour les garder, (car je n'ay point de gardoire) mais pour les transporter en cettuy cy, où à vray dire, elles ne sont plus miennes qu'en leur première place. » (Essais, livre I, ch. XXIV.) |