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18 août 1716. La seconde Dauphine était délicate et même malingre; le docteur Chirac assura jusqu'à la fin qu'elle guérirait, et, en effet, si on ne l'avait laissée se lever pendant qu'elle avait la rougeole et qu'elle était en sueur, et si on ne l'avait saignée au pied, elle vivrait encore. Immédiatement après la saignée, au lieu de rouge comme du feu, elle devint pâle comme une morte et se trouva extrêmement mal. Quand on la fit sortir du lit, je m'écriai qu'il fallait au moins attendre que la sueur fût passée pour la faire saigner. Chirac et Fagon s'obstinèrent et se moquèrent de moi. La vieille guenipe1 vint à moi et me dit: << Voulez-vous être plus habile que tous ces docteurs qui sont là ?» Je répondis: << Non, madame, mais il ne faut pas être fort habile pour savoir qu'il faut suivre la nature, et puisqu'elle incline à la sueur, il serait bien mieux de suivre cette voie que de faire lever une malade en transpiration pour la saigner. » Elle haussa les épaules et sourit ironiquement; j'allai de l'autre côté et je ne dis plus un seul mot.

17 novembre 1716. Il y a bien des années que le bruit courait à Saint-Cloud que l'esprit de feu Madame se montrait auprès d'une fontaine où elle s'était assise dans les grandes chaleurs; car cet endroit est très frais. Un soir, un laquais du maréchal Clérambault étant allé puiser de l'eau à la fontaine, vit quelque chose de blanc sans visage :

1. Mme de Maintenon, l'ennemie personnelle de la Palatine. Elle en parle toujours en termes méprisants: La Vieille, la sorcière, la guenipe.

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MESSIRE PIERRE CHIRAC,

Conseiller d'Etat ord Premier Médecin du Roy ci-devantPremier Médecin de M. le Duc d'Orléans regent Professeur Royal en l'Université de Médecine de Montpellier, Sur-Inten= dant du Jardin Royal des Plantes de Paris, et des Eaux minérales du Royaume, de l'Académie Royale des Sciences. Mort à Marly, le 1 Mars 1732. agé de 80 ans

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ce fantôme, qui était assis, se leva au double de sa hauteur; le pauvre laquais s'enfuit tout saisi d'effroi; il assura, en rentrant, avoir vu Madame, tomba malade et mourut. L'officier qui était alors capitaine du château, s'imaginant bien qu'il y avait quelque chose là-dessous, se rendit quelques jours après à la fontaine, et voyant marcher le fantôme, il le menaça de lui donner cent coups de bâton, s'il n'avouait ce qu'il était. Le fantôme dit: « Ah! monsieur de Lastéra, ne me faites point de mal, je suis la pauvre Philipinette. » C'était une vieille du village, âgée de soixante-dix-sept ans, n'ayant plus une seule dent dans la bouche, les yeux malades et bordés de rouge, une grande bouche, un grand nez; en somme elle était hideuse. On voulut la conduire en prison, j'intercédai pour elle. Comme elle vint pour me remercier, je lui dis : « Quelle rage vous tient de faire le fantôme au lieu de vous aller coucher? » Elle répondit en riant : « Je ne puis avoir regret à ce que j'ai fait; à mon âge on dort peu; il faut bien avoir quelques petites choses pour réveiller l'esprit. Tout ce que j'ai fait dans ma jeunesse ne m'a pas tant réjouie que de faire le fantôme. J'étais bien sûre que ceux qui n'auraient pas peur de mon drap blanc auraient peur de mon visage. Les poltrons faisaient tant de grimaces que j'en mourais de rire. Ce plaisir nocturne me payait de la peine d'avoir porté la hotte toute la journée. »

24 décembre 1716.- Le roi était galant, mais souvent débauché; tout lui était bon, pourvu que ce fussent des femmes ; paysannes, filles de jardiniers,

femmes de chambre, dames de qualité, pourvu qu'elles fissent seulement semblant d'être amoureuses de lui.

25 janvier 1717. - Tant que le roi a été jeune, toutes les femmes ont couru après lui; mais il a renoncé à ce genre de vie quand il s'est imaginé qu'il était devenu dévot. Le véritable motif était que la vieille sorcière le surveillait si bien qu'il n'osait plus regarder personne.

9 février 1717. — Le marquis de Villequier, fils du duc d'Aumont, fit il y a quelques jours une visite à la Marquise de Nesle. Il vint dans la tête de celle-ci de lui demander s'il était vrai qu'il était amoureux de sa femme. Villequier répondit: << Je n'en suis pas amoureux ; je la vois même fort peu ; nos humeurs diffèrent beaucoup : elle est sérieuse, et moi j'aime la gaieté et les plaisirs. Je l'aime d'une amitié fondée sur l'estime, car c'est une des plus honnêtes femmes de France. » Mme de Nesle à laquelle on ne peut donner pareils éloges, crut que le marquis voulait lui faire un affront, et s'en plaignit à M. le Duc, qui lui promit de la venger. Quelques jours après, il invita le jeune Villequier à dîner chez le marquis de Nesle même; il y avait, outre madame de Nesle, le marquis de Gèvres, Mme de Coligny et d'autres. Pendant le dîner, M. le Duc commença tout à coup à dire ainsi : << Bien des gens croient être à couvert du cocuage, mais c'est une erreur. J'ai cru me mettre à l'abri, en épousant un monstre: cela ne m'a servi de rien,

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