Il est vrai que vous avez peu mangé; vous paraissiez fort occupé d'affaires. Mais, si vous voulez, on vous servira un second poulet; cela ne tardera pas. Le médecin Chirac, qui le voyait tous les soirs, arrive dans ce moment. Les valets le préviennent, le prient de les seconder. « Parbleu! dit-il, voici quelque chose d'étrange: mes gens veulent me persuader que j'ai soupé; je n'en ai pas le moindre souvenir, et, qui plus est, je me sens beaucoup d'appétit. - Tant mieux, répond Chirac; le travail vous a épuisé; les premiers morceaux n'auront que réveillé votre appétit, et vous pourriez sans danger manger encore, mais peu. Faites servir monseigneur, dit-il aux gens; je le verrai achever son souper. » Le poulet fut apporté. Le cardinal regarda comme une marque évidente de santé de souper deux fois, de l'ordonnance de Chirac, l'apôtre de l'abstinence, et fut, en mangeant, de la meilleure humeur du monde. Il n'était pas nécessaire de l'impatienter pour en éprouver des incartades. La marquise de Conflans, gouvernante du régent, étant allée uniquement pour faire une visite au cardinal, dont elle n'était pas connue, et l'ayant pris dans un moment d'humeur, à peine lui eut-elle dit, Monseigneur.... Ho! monseigneur, dit le cardinal en lui coupant la parole, cela ne se peut pas. - Mais monseigneur... Mais, mais; il n'y a point de mais. Quand je vous dis que cela ne se peut pas. La marquise voulut inutilement le dissuader qu'elle eût rien à lui de mander. Le cardinal, sans lui donner le temps de s'expliquer, la prit par les épaules, et la retourna pour la faire sortir. La marquise, effrayée, le crut dans un accès de folie, elle ne se trom pait pas trop, et s'enfuit en criant qu'il fallait l'enfermer. Quelquefois on le calmait en prenant avec lui son ton. Il avait, parmi ses secrétaires de confiance, un bénédictin défroqué, nommé Vernier, homme d'un caractère leste. Le cardinal, en le faisant travailler avec lui, eut besoin d'un papier qu'il ne trouva pas sous sa main à point nommé : le voilà qui s'emporte, jure, crie qu'avec trente commis il n'est pas servi; qu'il en veut prendre cent, et qu'il ne le sera pas mieux. Vernier le regarde tranquillement sans lui répondre, le laisse s'exhaler. La flegme et le silence du secrétaire augmentent la fureur du cardinal, qui, le prenant par le bras, le secoue, et lui crie: « Mais réponds-moi donc, bourreau; cela n'est-il pas vrai? - Monseigneur, dit Vernier sans s'émouvoir, prenez un seul commis de plus, chargé de jurer pour vous; vous aurez du temps de reste, et tout ira bien. » Le cardinal se calma, et finit par rire. Un jour Pierre Ier, en visitant les quartiers de son armée, vint souper chez Menzicow, y vit Catherine, la trouva à son gré, lui dit, en sortant de table, de prendre le flambeau pour le conduire dans sa chambre, et la fit coucher avec lui. Le lendemain, il lui donna, en partant, un ducat; encore pensaitil avoir payé noblement sa nuit; non qu'il fût avare, mais il prétendait que les plaisirs de l'amour étaient comme tous les autres besoins de la vie, dont le prix doit avoir un tarif. Suivant celui qu'il avait fixé, un soldat ne devait qu'un sou de sa paye pour trois accolades. Le bon marché de cette denrée lui avait fait proscrire sévèrement la sodomie parmi les troupes. Il avait sur cet article plus d'indulgence pour les moines. Un de ceux-ci ayant violé un jeune esclave, fut simplement condamné à s'en défaire. Il semblerait par là que le crime ne fût que dans la violence. Féroce jusque dans ses plaisirs, il n'avait pas la moindre idée du respect qu'un prince se doit à luimême. Barbara Arseniow, sœur de la femme de Menzicow, en peut servir d'exemple. « Tu es si laide, lui dit un jour le czar, que personne ne t'a jamais rien demandé : je veux t'en consoler, outre que j'aime les choses extraordinaires.» Il tint parole; et cette galanterie brutale, soutenue de propos assortis, eut pour témoins ceux qui s'y trouvèrent. « Il ne faut pas, dit-il ensuite, se vanter de ses bonnes fortunes; mais celle-ci doit se publier, ne füt-ce que pour inspirer la même charité envers les pareilles de cette pauvre Barbara. » La duchesse de Berri avait sollicité madame de Mouchy de lui céder le comte de Riom. La Mouchy était une femine svelte: madame de Berri avait la taille épaisse. Quoiqu'on ne pût guère les prendre l'une pour l'autre, il fut convenu que madame de Berri serait substituée à la dame d'atour. Celle-ci |