VI. — Les fastes de Louis XV de ses ministres, maîtresses, généraux et autres notables personnages de son règne 1 COMPLÉMENT D'UNE COMMUNION ROYALE Louis XV étoit encore dans l'âge innocent et aimable. Il comparoit la Princesse sa femme à la Reine Blanche, mère de saint Louis. Dieu avoit déjà béni cette alliance par la naissance de trois Princesses; mais le trône étoit encore sans héritier, et la nation paroissoit ne goûter qu'à demi les douceurs d'une paix que la perte d'une seule tête pouvoit lui ravir. Les moments de la Providence n'étoient pas encore arrivés : le Roi et la Reine les attendoient avec confiance, et les sollicitoient par leurs prières et par leurs bonnes œuvres. 1. Publication anonyme en 2 petits volumes, à Villefranche, chez la veuve Liberté, 1782. D'après les Mémoires secrets, c'est une << rapsodie véritable, sans goût, sans choix, sans méthode ». Bachaumont, ou plutôt son successeur, Pidansat de Mayrobert, avait la dent dure. Le 8 décembre 1728, jour de la Conception de la Sainte-Vierge, tous deux lui offrirent d'une manière spéciale leurs vœux et ceux des peuples; et dans la ferveur d'une communion, ils la conjurèrent de pourvoir à la tranquillité d'une nation qui la reconnoît pour Patronne, en lui obtenant du ciel un Prince qui pût la gouverner un jour. Ils ne s'en tinrent pas là, car au bout de neuf mois la Reine mit au monde le feu Dauphin. LES DÉBUTS DE Mme DE MAILLY Le Roi, la Reine, goûtoient pleinement la douce consolation de voir un héritier au trône. Heureux si la naissance du Dauphin eût resserré de plus en plus les liens d'un si chaste hymen ! mais, hélas ! dès ce temps, d'abominables Séjans, dont les Cours abondent sans cesse, cherchoient à corrompre le cœur du Monarque, à égarer la droiture, et ce qui imprima une tache ineffaçable sur la mémoire du cardinal de Fleury, c'est qu'il fut le premier à céder à leur impulsion. La Reine possédoit en entier le cœur du Roi: mais enfin le Monarque pouvoit s'en dégoûter; la multitude d'enfants qu'elle lui avoit donnés, devoit même accélérer ce moment fatal, et quelle révolution à craindre en pareille circonstance! Le vrai moyen de prévenir les suites étoit de l'opérer soimême, de mettre dans la couche de Sa Majesté une Sirène dont on fût sûr, qui, satisfaite du département des plaisirs, laissât celui de la politique et des affaires à son Eminence. On fit comprendre cela à la Reine, qui l'insinua au Cardinal et l'on ourdit en conséquence une trame où se seroit pris Salomon lui-même. D'une part, on gagne le Confesseur de la Reine: cet imbécile béat fit pieusement entendre à S. M. qu'ayant rempli les devoirs de son état en donnant un héritier au trône, et des princesses pour en être l'édification, elle feroit une chose agréable à Dieu en exerçant désormais la plus excellente des vertus, la chasteté, en se sevrant de temps en temps des voluptés charnelles, toujours trop propres à courber l'âme vers la terre au lieu de l'élever au Ciel, notre véritable patrie. Sans doute, si Marie eût eu pour les plaisirs un attrait bien vif, ces conseils n'eussent pas produit un grand effet; mais le peu de tempérament qu'elle avoit étoit éteint par la dévotion. Un jour que Louis XV, la tête chaude de vin, et conséquemment mal disposé à l'amour, s'étoit introduit dans le lit de la Reine, elle se livra trop indiscrètement à son dégoût, et repoussa les embrassements avec une répugnance affligeante pour l'amour-propre du Monarque. Il jura qu'il ne recevroit pas deux fois un pareil affront et tint parole. Alors les corrupteurs eurent beau jeu ; il ne leur resta plus qu'à vaincre sa pudeur alarmée d'un changement auquel il n'étoit point habitué, augmentée encore par une timidité qui faisoit l'essence de son caractère. La Comtesse de Mailly, dame du Palais de la Reine, fut jugée la plus convenable pour ce rôle. Elle étoit à peu près comme veuve, sans enfants, pleine de probité et dénuée d'ambition, d'ailleurs amie de la Comtesse de Toulouse, incapable d'abuser de sa place et de donner le moindre ombrage au Cardinal, ou plutôt à sa maîtresse; en outre très-aimante, très-caressante, et pourvue du manège nécessaire pour apprivoiser le moderne Hippolyte. Mme de Mailly n'étoit ni jeune, ni belle, ni même jolie. Agée de près de trente-cinq ans, elle n'avoit de remarquable dans le visage que deux grands yeux noirs, assez bien fendus, très-vifs, d'un regard naturellement dur, mais qui, adouci pour le Monarque, ne conservoit que cette hardiesse, indice du tempérament, aiguillon pour provoquer un novice aux combats amoureux. Le son de sa voix dure ne faisoit que confirmer cette annonce, que complétoit encore sa démarche délibérée et lascive. Un tel extérieur, dans la circonstance, étoit infiniment préférable à la gorge la plus appétissente, aux bras les mieux arrondis, à la noblesse, aux grâces, à tous les attraits de cent beautés de la Cour. Elle les surpassait en outre par un talent qui supplée à bien des charmes, par l'art délicat de la toilette qu'elle possédoit au suprême degré, par un goût exquis que ses rivales tâchoient en vain d'imiter. Enfin la nature l'avoit amplement dédommagée de ce qu'elle lui avoit refusé du côté de la figure, par les qualités de l'esprit et du cœur. Elle étoit amusante, enjouée, d'une humeur égale, amie sûre, généreuse, compatissante et cherchant à rendre service. Malheureusement jusque |