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17.395
R864,
1819

V.11

J. J. ROUSSEAU,

CITOYEN DE GENÈVE,

A M. D'ALEMBERT,

de l'académie Françoise, de L'ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES de Paris, de celle de pruSSE, DE LA SOCIÉTÉ ROYALE de lonDRES, DE L'ACADÉMIE ROYALe des belles-lettres de suÈDE, ET DE L'INSTITUT de bologne;

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J'AI tort si j'ai pris en cette occasion la plume sans nécessité. Il ne peut m'être ni avantageux ni agréable de m'attaquer à M. d'Alembert. Je considère sa personne; j'admire ses talens; j'aime ses ouvrages; je suis sensible au bien qu'il a dit de mon pays : honoré moimême de ses éloges, un juste retour d'honnêteté m'oblige à toutes sortes d'égards envers lui; mais les égards ne l'emportent sur les devoirs que pour ceux dont toute la morale consiste en apparences. Justice et vérité, voilà les premiers devoirs de l'homme. Humanité, patrie, voilà ses premières affections. Toutes les fois que des ménagemens particuliers lui font changer cet ordre, il est coupable. Puis-je l'être en faisant ce que j'ai dû? Pour me répondre il faut avoir une patrie à servir, et plus d'amour pour ses devoirs que de crainte de déplaire aux hommes.

Comme tout le monde n'a pas sous les yeux l'Encyclopédie, je vais transcrire ici de l'article Genève le passage qui m'a mis la plume à la main. Il auroit dû l'en faire tomber, si j'aspirois à l'honneur de bien écrire ; mais j'ose en rechercher un autre, dans lequel je ne crains la concurrence de personne. En lisant ce passage isolé, plus d'un lecteur sera surpris du zèle qui pu dicter: en le lisant dans son article, on trouvera que la comédie, qui n'est pas à Genève, et qui pourroit y être, tient la huitième partie de la place qu'occupent les choses qui y sont.

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« On ne souffre point de comédie à Genève : ce n'est pas qu'on y désapprouve les spectacles en eux-mêmes; mais on craint, dit-on, le goût de

parure,

de dissi

pation et de libertinage que les troupes de comédiens répandent parmi la jeunesse. Cependant ne seroit-il > pas possible de remédier à cet inconvénient par des >> lois sévères et bien exécutées sur la conduite des >> comédiens? Par ce moyen Genève auroit des spec>> tacles et des mœurs, et jouiroit de l'avantage des uns >> et des autres; les représentations théâtrales forme>> roient le goût des citoyens, et leur donneroient une » finesse de tact, une délicatesse de sentiment qu'il est » très-difficile d'acquérir sans ce secours : la littérature « en profiteroit sans que le libertinage fit des progrès; » et Genève réuniroit la sagesse de Lacédémone à la politesse d'Athènes. Une autre considération, digne » d'une république si sage et si éclairée, devroit peut» être l'engager à permettre les spectacles. Le préjugé >> barbare contre la profession de comédien, l'espèce d'avilissement où nous avons mis ces hommes si né>> cessaires au progrès et au soutien des arts, est cer» tainement une des principales causes qui contribuent » au déréglement que nous leur reprochons : ils cher» chent à se dédommager, par les plaisirs, de l'estime » que leur état ne peut obtenir. Parmi nous, un comé>> dien qui a des mœurs est doublement respectable; >> mais à peine lui en sait-on gré. Le traitant qui insulte » à l'indigence publique et qui s'en nourrit, le courti>> san qui rampe et qui ne paye point ses dettes; voilà » l'espèce d'hommes que nous honorons le plus. Si les >> comédiens étoient non-seulement soufferts à Genève,

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