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/ Le théâtre représente un atelier de sculpteur. Sur les côtés on voit des blocs de marbre, des groupes, des statues ébauchées. Dans le fond est une autre statue cachée sous un pavillon d'une étoffe légère et brillante, orné de crépines et de guirlandes. Pygmalion, assis et accoudé, rêye dans l'attitude d'un homme inquiet et triste; puis, se levant tout à coup, il prend sur une table les outils de son art, va donner par intervalles quelques coups de ciseau sur quelques-unes de ses ébauches, se recule, et regarde d'un air mécontent et découragé.

PYGMALION.

Il n'y a point là d'âme ni de vie; ce n'est que de la pierre. Je ne ferai jamais rien de tout cela.

O mon génie! où es-tu? mon talent, qu'es-tu devenu? Tout mon feu s'est éteint, mon imagination s'est glacée; le marbre sort froid de mes mains.

Pygmalion, ne fais plus des dieux, tu n'es qu'un vulgaire artiste.... Vils instrumens qui n'êtes plus ceux de ma gloire, allez, ne déshonorez point mes mains.

(Il jette avec dédain ses outils, puis se promène quelque temps en rêvant, les bras croisés.)

Que suis-je devenu! quelle étrange révolution s'est faite en moi?....

Tyr, ville opulente et superbe, les monumens des arts dont tu brilles ne m'attirent plus, j'ai perdu le

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goût que je prenois à les admirer le commerce des artistes et des philosophes me devient insipide; l'entretien des peintres et des poètes est sans attrait pour moi, la louange et la gloire n'élèvent plus mon âme; les éloges de ceux qui en recevront de la postérité ne me touchent plus, l'amitié même a perdu pour moi ses charmes.

Et vous, jeunes objets, chefs-d'œuvre de la nature, que mon art osoit imiter, et sur les pas desquels les plaisirs m'attiroient sans cesse, vous, mes charmans modèles, qui m'embrasiez à la fois des feux de l'amour et du génie, depuis que je vous ai surpassés, vous m'êtes tous indifférens.

(Il s'assied, et contemple tout autour de lui.)

Retenu dans cet atelier par un charme inconcevable, je n'y sais rien faire, et je ne puis m'en éloigner. J'erre de groupe en groupe, de figure en figure; mon ciseau, foible, incertain, ne reconnoît plus son guide: ces ouvrages grossiers, restés à leur timide ébauche, ne sentent plus la main qui jadis les eût animés....

(Il se lève impétueusement.)

C'en est fait, c'en est fait ; j'ai perdu mon génie.... si jeune encore, je survis à mon talent.

Mais quelle est donc cette ardeur interne qui me dévore? qu'ai-je en moi qui semble m'embraser? Quoi! dans la langueur d'un génie éteint, sent-on ces émotions, sent-on ces élans des passions impétueuses, cette inquiétude insurmontable, cette agitation secrète qui me tourmente et dont je ne puis démêler la cause ?

J'ai craint que l'admiration de mon propre ouvrage

ne causât la distraction que j'apportois à mes travaux; je l'ai caché sous ce voile.... mes profanes mains ont osé couvrir ce monument de leur gloire. Depuis que je ne le vois plus, je suis plus triste, et ne suis pas plus attentif.

Qu'il va m'être cher, qu'il va m'être précieux, cet immortel ouvrage! Quand mon esprit éteint ne produira plus rien de grand, de beau, de digne de moi, je montrerai ma Galathée, et je dirai : Voilà mon ouvrage. O ma Galathée ! quand j'aurai tout perdu, tu me resteras, et je serai consolé.

(Il s'approche du pavillon, puis se retire; va, vient, et s'arrête quelquefois à le regarder en soupirant.)

Mais pourquoi la cacher? Qu'est-ce que j'y gagne? Réduit à l'oisiveté, pourquoi m'ôter le plaisir de contempler la plus belle de mes œuvres ?.... Peut-être y reste-t-il quelque défaut que je n'ai pas remarqué; peut-être pourrai-je encore ajouter quelque ornement à sa parure: aucune grâce imaginable ne doit manquer à un objet si charmant.... peut-être cet objet ranimera-t-il mon imagination languissante. Il la faut revoir, l'examiner de nouveau. Que dis-je? Eh! je ne l'ai point encore examinée: je n'ai fait jusqu'ici que l'admirer.

(Il va pour lever le voile, et le laisse retomber comme effrayé.)

Je ne sais quelle émotion j'éprouve en touchant ce voile ; une frayeur me saisit; je crois toucher au sanctuaire de quelque divinité. Pygmalion, c'est une pierre, c'est ton ouvrage.... Qu'importe? on sert des dieux

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