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Raymond Sebonde, et son traducteur Michel Montaigne.

La première édition de la traduction faite par Michel Montaigne de la Théologie naturelle de Raymond Sebonde vit le jour à Paris, en 1569; M. Brunet la mentionne dans son admirable « Manuel du libraire », comme imprimée chez Gabriel Buon, mais, ajoute-t-il, « nous ne l'avons pas vue ». Plus heureux que le chef des bibliographes, j'ai sous les yeux un exemplaire de ce volume devenu fort rare. Il est indiqué comme se trouvant chez Gilles Gourlin, demeurant devant le collége de Cambray, rue Saint-Jean-de-Latran, à l'enseigne de l'Espérance ». Il est constaté que, selon un usage assez répandu à cette époque, divers libraires se réunirent en cette circonstance; le privilège énonce que Gourlin, Michel Sonnius et Guillaume Chaudière s'étaient associés pour cette impression; Buon a pu avoir des exemplaires avec son nom sur le frontispice (1).

Voici la description du volume: 2 feuillets pour le titre, l'extrait des priviléges, la dédicace de Montaigne à son père et un sonnet de François d'Amboise, parisien, escolier du roy, sur le livre et Sébonde; feuillets 1 à 496; tables, 30 feuillets non chiffrés. C'est donc en tout un volume de 1,056 pages. Dans l'édition de 1611, Paris, Daniel Guillemot, que je possède également (8 feuillets, 891 p. et 49 p. non chiffrées pour la table), le sonnet a été retranché. Le frontispice annonce un texte revu et corrigé; on s'est borné, dans tous les passages que j'ai comparés, à rectifier quelques fautes d'impression et à rajeunir l'orthographe de quelques mots. Il ne paraît pas d'ailleurs que Montaigne ait revu son travail depuis qu'il le livra, en 1569, aux typographes parisiens.

M. Payen, dont les travaux relatifs à l'illustre auteur des Essais se poursuivent avec une habile et scrupuleuse persévérance, exposera un jour, nous l'espérons, tout ce qui concerne la bibliographie de cet ouvrage de Montaigne, de façon à ce qu'on n'ait plus à y revenir.

Je trouve indiqué dans divers ouvrages, et notamment dans le grand ouvrage en allemand du docteur Graesse sur l'histoire littéraire (t. II, 2 section (1842), p. 585, qu'il existe une traduction de la Théologie naturelle, faite par Madame Léonore, royne de France, Paris, 1551, in-4. Je ne la vois mentionnée ni dans le Manuel, ni dans la Bibliographie universelle (article Sebonde). C'est un point qui mérite d'être éclairci.

Sebonde est un écrivain digne d'attirer les regards des historiens de

(1) Un exemplaire au chiffre de Sully, portant le nom de Michel Sonnius, s'est vendu 101 fr. à la vente des livres du marquis de C. (1847, no 17). Un autre exemplaire au nom de Gourlin, relié en maroquin, 55 fr. vente Ch. G., en 1855, no 123.

la Philosophie; aussi plusieurs d'entre eux en ont parlé avec détail. Voir de Gérando, Histoire des systèmes de philosophie, 2o partie, t. Ier, p. 370; de Caraman, Histoire des révolutions de la philosophie, t. III, p. 342; Buhle, Histoire de la philosophie, t. Ier, p. 735; Tiedemamn, Geist der spec. phil. t. V, p. 290; le Dictionnaire des sciences philosophiques, t. VI, p. 365, etc. (1),

M. Sainte-Beuve s'occupe de Sebonde dans son Histoire de PortRoyal, t. II, p. 453, au sujet d'un des chapitres les plus remarquables des Essais (liv. II, chap. 12), L'ingénieux critique fait habilement ressortir ce que présente d'important cette apologie où Montaigne a le plus nettement développé les doctrines d'un scepticisme hardi (2),

J'ajouterai que l'examen de l'exemplaire chargé de notes et corrections autographes, et conservé à la bibliothèque de la ville de Bordeaux, offrait, pour ce chapitre comme pour tous les autres des Essais, bien des variantes très dignes d'être relevées. En voici deux que je relève à l'ouverture du livre, en comparant avec le texte de l'édition de M. J. V. Leclerc, 1836, Firmin Didot.

Notre police n'est pas si difforme et desreiglée (et si monstrueuse), p. 228, col. 1.

Qui contrevollera de prez ce que nous veoyons ordinairement ez animaulx qui vivent parmy nous, il y a de quoy y trouver (remarquer) des effects (opérations) autant admirables que ceulx qu'en va recueillant ez païs et siècles estrangiers (Nous vivons et eux et nous sous mesme toit et humons un mesme air; il y a sauf le plus et moins, entre nous, une perpétuelle ressemblance) p. 234, col. 1.

Je terminerai en remarquant qu'il faut aussi ranger parmi les livres rares, un abrégé de la Théologie naturelle, composé par J. Amos Comenius, et intitulé: Oculus (ou Ocellus fidei). Il existe une édition d'Amsterdam, 1661, in-8. Il y a déjà longtemps que M. Payen signale cet ouvrage parmi ceux qu'il désire acquérir pour compléter ses collections relatives à Montaigne, collections qui n'ont certes de rivale dans aucune autre bibliothèque, publique ou particulière.

B.

(1) Avant Giordano Bruno (brule à Rome en 1600), Sebonde avait professé à Toulouse des doctrines plus hardies peut-être, en soutenant que l'un des livres de Dieu, la nature, était souvent plus intelligible que l'autre, savoir les saintes écritures (Bartholomess, G. Bruno, 1847, 2 vol. in-8. t. 1a, p. 70.)

(2) Dugald Stewart observe qu'en lisant ce chapitre avec attention, on y trouvera tous les germes de la philosophie téméraire du dix-huitième siècle et qu'on sera frappé de l'adresse extrême avec laquelle l'auteur laisse entrevoir des principes développés plus tard dans les écrits de Bayle, d'Helvétius et de Hume. Voir aussi M. Droz (Eloge de Montaigne, note 4), qui regarde ce chapitre comme un ouvrage à part, composé avant que Montaigne entreprît les Essais, et qu'il intercala dans son livre.

Variations de prix de quelques livres dans les ventes publiques,

Les bibliophiles savent fort bien à quels prix très élevés sont montés à la vente Ch. G. des livres d'une grande rareté ou d'une beauté extraordinaire. La liste de ces prix ayant été imprimée, nous croyons qu'il serait fort inutile de citer ici quelques-unes de ces adjudications, mais, afin de montrer que les ouvrages d'élite vont toujours en progressant de valeur, nous mettrons à côté de quelques-uns des volumes qui ont figuré chez M. Ch. G., l'indication des prix que ces mêmes exemplaires avaient obtenus dans d'autres ventes faites à Paris et qui sont encore présentes à la mémoire de tous les amateurs :

La Nef des folz du monde, par S. Brant, 1497, in-fol., 265 fr.; 199 fr. à la vente Cailhava.

Les Vigiles de la mort de Charles septiesme, par Martial d'Auvergne, Paris, vers 1500, in-fol., 405 fr.; 245 fr. de Coislin en 1847.

Ciceronis de natura Deorum, Venise, 1471, in-4, 350 fr.; 201 fr. Mac Carthy,

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Le grant testament Villon, s. d. in-8; 405 fr.; 150 fr. de Coislin. Les Paraboles Alain Chartier, 1492, in-fol., 300 fr.; 260 fr. vente du prince d'Essling.

Hystoire de Griselidis, s. 1. ni d. in-fol., 395 fr.; 350 fr. même vente.

Doolin de Mayence, s. d., in-4, 195 fr.; 141 fr. même vente. Maugist d'Aigremont, Paris, s. d.. in-4, 250 fr.; 200 fr. même

vente.

Mubrion, Paris, 1530, in-fol., 330 fr.; 250 fr. même vente.

Milles et Amys, Paris, s. d., in-4, 370 fr.; 290 fr. même vente. Jehan de Saintré, Paris, 1517, in-fol, 550 fr.; 480 fr. même vente. Jean de Paris, Lyon, 1554, in-4, 279 fr.; 205 fr. même vente. Godefroy de Bouillon, 340 fr.; 181 fr. vente Aimé Martin.

Le Requiescant in pace de Purgatoire, par Viret, 1552, in-8, 60 fr. ; 19 fr. vente Nodier.

OEuvres de Boileau, la Haye, 1722, 4 vol. in-12, 70 fr.; 199 fr. même vente.

Testament politique du cardinal de Richelieu, 1688, in-12, 161 fr.; 49 fr. vente Pixérécourt.

Nous pourrions multiplier ces rapprochements, mais il faut savoir se borner.

L'Arbre des batailles, Lyon, Arnoullet, s. d. in-4, s'est payé 195 fr. Le « Manuel » n'en cite qu'une adjudication; 6 fr. chez le duc de la Vallière. A la même yente on paya 36 fr. la Politique d'Aristote, traduite par N. Oresme, 1489, in-fol. qui vient d'être adjugée à 420 fr.

Gérard de Nevers, 1520, in-4, 249 fr.; Paris et Vienne (Paris, J.

Temporal, s. d. in-4) 125 fr. ; sont des livres qui se montrent pour la première fois en vente publique à Paris, du moins le « Manuel »> ne signale aucun prix à leur égard.

Les exemplaires du catalogue Ch. G. avec les prix mis à la main à côté de chaque article, mériteront d'autant plus d'être conservés chez les amateurs, que ce catalogue signale des éditions inconnues à tous les bibliographes. Nous mentionnerons les Fais Maistre Alain Charetier, Paris, s. d. in-fol. (n. 1200) et Ordinaire des Crestiens, Paris, 1490, in-4; l'un et l'autre de ces volumes ont été imprimés chez Antoine Vérard ; ils n'échapperont sans doute pas à l'attention de M. Francisque Michel qui s'occupe depuis longtemps de dresser la liste raisonnée de toutes les productions de ce célèbre typographe. Dom CATALOGUS.

D'un livre rare et curieux: les Statuts de l'Inquisition.

Dans un précédent numéro du « Quérard; » (p. 195), nous avons dit quelques mots d'un livre excessivement curieux et très rare, que possède la bibliothèque du Corps législatif, des Statuts de l'Inquisition. Nous devions ce que nous en avons dit à des renseignements qui nous avaient été donnés de mémoire par un de nos amis, qui depuis, a eu l'obligeance de nous décrire plus exactement cet exemplaire de la bibliothèque du Corps législatif, ainsi que de mieux préciser les vissiciudes de ce volume. Nous en faisons aujourd'hui profiter nos lecteurs. Le volume en question a pour titre :

Orden que comunmente se guarda en el Santo Oficio de la Inquisicion, acerca del processar en las causas que en èl se tratan; conforme à lo que est a proveido por las instruciones antiguas y nuevas. Valencia, 1736, in-4.

Ce volume est composé de 88 feuillets, y compris le titre et la table, et de 16 autres feuillets de même impression, contenant des formules et des prières mises à la fin; on a placé en tête deux instructions, l'une pour les gardes, l'autre pour les règles à observer, qui sont d'un format moins grand, quoique in-4, ayant ensemble 12 feuillets et les armoiries de l'Inquisition imprimées à la première page. Le volume est relié en velours rouge (couleur tristement de circonstance), et a appartenu au grand inquisiteur. Cet exemplaire, qui contient quelques notes marginales et des endroits remplis à la main, fut saisi dans le cabinet du grand inquisiteur, le 13 décembre 1808, par ordre de Napoléon, et envoyé immédiatement en France: il était accompagné de la lettre qui suit:

I

Madame,

Madrid, le 25 décembre 1808.

• A sa Majesté l'Impératrice et Reine.

• Pendant plusieurs siècles, l'Inquisition a été la terreur et l'effroi de beau

coup de pouples et de bien des rois! Un seul mot de l'Empereur et Roi, Napoléon, a suffi pour l'anéantir.

» Sa Majesté ayant daigné me confier le commandement de Madrid, lorsque son armée victorieuse est entrée dans cette ville, j'ai été chargé de l'exécution de ses ordres, relativement au décret d'abolition de l'Inquisition.

J'ai pénétré dans l'intérieur terrible (et naguère inaccessible à tout mortel) de ce tribunal, et je me suis emparé du livre particulier d'ordre du grand inquisiteur, qui était renfermé sous une forte clef, dans le tiroir de la table sur laquelle il signait officiellement ses arrêts.

» J'ai l'honneur, Madame, de présenter ce livre à votre Majesté, non comme une curiosité typographique, mais comme un monument extraordinaire de la puissance de l'Empereur, de la valeur de son armée, car il a fallu l'une et l'autre pour arriver jusqu'à ce livre, et pour foudroyer du même coup l'Inquisition et l'écrit.

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J'ai pensé, Madame, que votre Majesté daignerait agréer l'hommage de ce trophée, de cette victoire sur l'opinion, et de ce nouveau témoin irrécusable du fort et vaste génie de l'Empereur.

» Je suis avec respect,

» Madame,

» de votre Majesté Impériale et Royale,

le très humble et très obéissant serviteur.
» Le général de brigade,

» Baron de LAUberdière,
» Commandant de Madrid.

P. S. Dans le même tiroir où se trouvait le livre que j'ai l'honneur d'envoyer à Votre Majesté, se trouvait le bonnet ou toque noire dont se couvrait le grand inquisiteur. Je l'ai donné à M. l'archevêque de Malines, mon plus ancien ami.

La mitre de ce prélat fait oublier l'effroi qu'a longtemps causé ce petit bonnet noir.... Je connais assez ses principes pour assurer qu'il ne se servira jamais de son ministère que pour faire aimer et respecter la morale, et chérir et bénir l'Empereur et l'Impératrice!!! Il ne tourmentera jamais les consciences.

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» La comédie du Diable Prédicateur et les autres papiers que je joins au livre, étaient, ainsi que le bonnet noir, les seuls objets renfermés dans le tiroir du grand inquisiteur. Du reste, tous leurs papiers ont été saisis; leurs différentes bibliothèques, ou plutôt magasins de livres confisqués et défendus par l'Inquisition, renfermant une immense quantité de livres français.

L.

Ainsi que nous l'avons dit précédemment, l'exemplaire de ce si curieux ouvrage fut, après la mort de l'impératrice Joséphine, vendu avec les livres de la bibliothèque de la Malmaison.

Il y a une dizaine d'années, un libraire de Paris (Mongie aîné), son dernier acquéreur, se trouvant avoir besoin d'argent, en fit proposer l'acquisition (1) à la bibliothèque de la chambre des députés. Après s'être enquis près du grand inquisiteur, qui vivait à Paris sous un nom

(1) Par l'ami auquel nous devons les matériaux de cet article.

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