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chantent de grand cœur à l'églife avec la foule des fideles? Que ceux-ci reftent ignorans, pourvu qu'ils foient des acheteurs affidus: n'eft-ce point là le vœu des opulens magafiniers de verfets & d'antiennes ?

L'église n'a point affermé la vente des livres faints, malgré leur produit immense; & le gouvernement a mis en ferme nos autres lectures journalieres, mercures, journaux, gazettes, &c. qui lui rapportent un tribut annuel. La fainte église heureufement n'a point adopté les bureaux de librairie & la race avide des commis qui s'en font un revenu, toujours au détriment des pauvres auteurs.

Une dévote fait relier magnifiquement fon Euchologe, & le fait porter en triomphe à l'églife par fon laquais. Elle veut qu'on remarque la reliure dorée

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CHAPITRE DXIII.

Portes des Spectacles.

EN arrivant devant une falle de spectacle,

vous appercevez une compagnie de gardes, fufil fur l'épaule.

Crifpin & Arlequin ne paroiffent jamais fur les planches, que préalablement des grenadiers, avec leur haut bonnet, n'aient occupé l'enceinte du théatre, où vont paroître les ris & les jeux. Ces foldats, qui accompagnent les productions de Racine & celles de M. Piis- Barré, font à quatre heures des évolutions militaires fur la place, comme s'ils alloient à l'ennemi. On les voit diftinctement mettre la balle dans le fufil: voilà le prélude de la comédie. Cela n'eft pas trop gai, avant une représentation du Bourgeois gentilhomme.

Si la piece eft un peu courue, il faut avoir les côtes fort preffées avant d'obtenir un billet; & tandis que les parterriens fe battent,

les comédiens font fur un balcon & s'amufent du flux & reflux des oppreffés qui leur apportent de quoi fouper.

En-dedans, le fufilier vous range comme des oignons, vous fait affeoir, interpelle l'auditeur ventru, le chicane, veut que telle banquette contienne autant de derrieres, fans en avoir pris les proportions ; il impose filence à ceux qui crient qu'ils étouffent. Il faut écouter le bon Moliere fous la mouftache d'un grenadier. Riez ou fanglottez trop fort: le grenadier qui ne rit point, qui ne pleure point, obferve à quel degré monte votre expanfive fenfibilité.

Un major peu civil & mal coëffé, de feche figure, beaucoup plus ami des comédiens qu'il connoît que du parterre qui s'écoule, fe courrouce quand on fiffle fes amis. Il n'a qu'à faire un gefie, & l'homme de goût, que le mauvais révolte, eft foudain enlevé entre les deux hémistiches d'un vers Cornélien.

Il faut que ce major foit un grand connoiffeur en littérature; car il ne s'éleve pas

un murmure qu'il ne prenne parti chaudement. La sentinelle lettrée, avec des cartouches en poche, eft toujours de l'avis du major.

Le major examine jufqu'à quel point le fiffleur qui paie a manqué de refpe&t au comédien & à l'auteur. Quand il a bien pesé le délit de lefe-comédie, alors il envoie en prifon le criminel. Le commiffaire (ceci eft arrangé ) confirme aveuglément le prononcé du docte major.

Et comment fe fait-il qu'à Londres, fans gardes, fans major, le public s'arrange fi bien au - dehors & au - dedans, obferve un grand filence, n'interrompe point mal-àpropos, & qu'on n'y abuse point de l'extrême liberté ? C'est que la police du fpectacle étant entre les mains du public même, elle n'en eft que plus jufte & plus refpectée.

Mais cela feroit impoffible à Paris; il faut une garde pour les voitures qui accourent audacieusement, les cochers voulant rompre les rangs; il en faut une pour l'ordre extérieur & intérieur. Le caractere du peuple l'exige

l'exige; il eft accoutumé a fentir par-tout İs frein & la bride; il ne fauroit plus s'en paffer.

S'il y a un peu de contrainte, le fpectacle auffi n'eft jamais troublé trop indécemment. L'amateur, curieux d'entendre Corneille, & qui ne veut pas être difirait par les bourraf ques capricieufes de la multitude, jouit tranquillement, & fon plaifir n'eft pas altéré par

des rumeurs défordonnées. L'infolence & l'andace feroient réprimées fur-le-champ. Quand le major de la garde eft honnête & fenfé, tout confidéré, l'on ne peut qu'applaudir à la police des fpectacles; elle eft néceffaire à Paris, autant qu'elle feroit fuperflue à Londres. Il faut favoir facrifier ici une portion de fa liberté, pour jouir plus fûrement de l'autre.

On commence à envifager d'un œil plus tranquille les féditions théatrales, à moins gêner les arrêts du parterre, à lui laiffer cette précieuse liberté, la feule qu'il réclame. Il faudroit lui abandonner pleinement & politiquement le droit d'approuver ou d'improuver à haute voix tel auteur & tel comédien. Tome VI.

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