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habitans des campagnes en France font faits pour être ferfs.

Dans le douzième siècle cette fervitude était répan due dans tout le royaume, elle couvrait les villes comme les campagnes. Depuis long-temps elle ne fubfifte plus que dans quelques provinces; qu'eft-il réfulté de-là ? Les moines font riches dans les provinces où on leur a permis de conferver des ferfs. Dans les autres endroits où la fervitude a été abolie, des cités fe font élevées; le commerce & les arts se font étendus; l'Etat eft devenu plus floriffant; nos rois plus riches, & plus puiffans. Mais les feigneurs châtelains & les gens d'église font devenus plus pauvres; & le peuple devait-il être compté pour quelque chofe?

J'ai l'honneur d'être, &c.

A M. *

Auteur du livre intitulé: Des vrais principes du gouvernement français.

Ferney, 20 juin 1777.

EN paffant tout d'un coup par-deffus les complimens

& les remercîmens que je vous dois, Monfieur, je commence par vous avouer que defpotique & monarchique font tout jufte la même chose dans le cœur de tous les hommes & de tous les êtres fenfibles. Defpote, herus, fignifie maître, & monarque fignifie feul maître,

ce qui eft bien plus fort. Une mouche est, monarque des animalcules imperceptibles qu'elle dévore; l'araignée eft monarque des mouches, puifqu'elle les emprisonne & les mange; l'hirondelle domine fur les araignées; les pigrièches mangent les hirondelles: cela ne finit point. Vous ne difconviendrez pas que les fermiers-généraux ne nous mangent: vous favez que le monde eft ainfi fait depuis qu'il exifte. Cela n'empêche pas que vous n'ayez très-lumineufement raifon contre l'abbé Mably, & je vous en rends, Monfieur, mille actions de grâces. Vous prouvez très-bien que le gouvernement monarchique est le meilleur de tous; mais c'eft pourvu que Marc-Aurèle foit le monarque: car, d'ailleurs, qu'importe à un pauvre homme d'être dévoré par un lion, ou par cent rats? Vous paraiffez, Monfieur, être de l'avis de l'Esprit des lois, en accordant que le principe des monarchies eft l'honneur, & le principe des républiques la vertu ; fi vous n'étiez pas de cette opinion, je ferais de celle de M. le duc d'Orléans régent, qui disait d'un de nos grands feigneurs : c'eft l'homme le plus parfait de la cour, il n'a ni humeur ni honneur; & je dirais au président de Montefquieu, que s'il veut prouver sa thèse en disant que dans un royaume on recherche les honneurs, on les recherche encore plus dans les républiques. On courait après les honneurs de l'ovation, du triomphe, & de toutes les dignités. On veut même être doge à Venife, quoique ce foit vanitas vanitatum. Au refte, Monfieur, vous êtes beaucoup plus méthodique que cet Efprit des lois, & vous ne citez jamais à faux, comme lui; ce qui eft un point bien important: car fi vous voulez vérifier les

fa

citations de Montefquieu, vous n'en trouverez pas quatre de juftes; je m'en fuis donné autrefois le plaifir. Je fuis édifié, Monfieur, de la circonfpection avec laquelle vous vous arrêtez dans le texte au règne de Henri IV; tout ce que vous dites m'inftruit, & je prends la liberté de deviner ce que vous ne dites pas. Je vous remercie furtout de la manière dont vous pensez, & dont vous vous exprimez fur ce gouvernement tartare qu'on appelle féodal; il est perfectionné, dit-on, à la diète de Ratisbonne ; il eft abhorré à une demi-lieue de chez moi, à droite & à gauche: mais par une de nos contradictions françaises, il fubfifte dans toute fon horreur derrière mon potager, dans les vallées du mont Jura; & douze mille efclaves des chanoines de Saint-Claude, qui ont eu l'infolence de ne vouloir être que sujets du roi, & non ferfs & bêtes de fomme appartenans à des moines, viennent de perdre leur procès au parlement de Besançon, attendu que plufieurs confeillers de grand'chambre ont des terres où la main-morte est en vigueur, malgré les édits de nos rois; tant la jurifprudence eft uniforme chez nous. Enfin votre livre m'inftruit & me confole, j'en chéris la méthode & le ftyle. Vous n'écrivez point pour montrer de l'efprit, comme fait l'auteur de l'Efprit des lois & des Lettres perfanes; mais vous vous fervez de votre esprit pour chercher la vérité. Jugez donc, Monfieur, fi je vous ai obligation de l'honneur que vous m'avez fait de m'envoyer votre ouvrage; jugez fi je le lis avec délices, & fi je n'emploie qu'une formule vaine en vous affurant que j'ai l'honneur d'être avec la plus refpectueufe eftime & la plus fenfible reconnaiffance, &c.

AUX

AUTEURS

DE LA BIBLIOTHEQUE FRANÇAISE.

A Cirey, ce 20 septembre 1736.

MESSIEURS,

Un homme de bien, nommé Rousseau, a fait impri

mer dans votre journal une longue lettre fur mon compte, où par bonheur pour moi il n'y a que des calomnies, & par malheur pour lui il n'y a point du tout d'efprit. Ce qui fait que cet ouvrage eft fi mauvais, c'eft, Meffieurs, qu'il eft entièrement de lui; Marot, ni Rabelais, ni d'Ouville, ne lui ont rien fourni; c'eft la feconde fois de fa vie qu'il a eu de l'imagination. Il ne réuffit pas quand il invente. Son procès avec M. Saurin aurait dû le rendre plus attentif. Mais on a déjà dit de lui, que quoiqu'il travaille beaucoup fes ouvrages, cependant ce n'eft pas encore un auteur affez châtié.

Il a été retranché de la fociété depuis long-temps, & il travaille tous les jours à fe retrancher du nombre des poëtes par fes nouveaux vers. A l'égard des faits qu'il avance contre moi, on fait bien que fon témoignage n'eft plus recevable nulle part; à l'égard de fes vers, je fouhaite aux honnêtes gens qu'il attaque, qu'il continue à écrire de ce ftyle. Il vous a fait, ( * ) Extrait du tome XXIV, pag. 152 & fuiv.

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Meffieurs, un fort infipide roman de la manière dont il dit m'avoir connu. Pour moi, je vais vous en faire une petite hiftoire très-vraie.

que

Il commence par dire des dames de fa connaissance le menèrent un jour au collège des jéfuites où j'étais penfionnaire, & qu'il fut curieux de m'y voir, parce que j'y avais remporté quelques prix. Mais il aurait dû ajouter qu'il me fit cette vifite, parce que fon père avait chauffé le mien pendant vingt ans, & que mon père avait pris soin de le placer chez un procureur, où il eût été à fouhaiter pour lui qu'il eût demeuré, mais dont il fut chaffé pour avoir défavoué fa naiffance. Il pouvait ajouter encore que mon père, tous mes parens, & ceux fous qui j'étudiais, me défendirent alors de le voir; & que telle était fa réputation, que quand un écolier fefait une faute d'un certain genre, on lui difait, vous ferez un vrai Rouffeau.

Je ne fais pas pourquoi il dit que ma phyfionomie lui déplut; c'eft apparemment parce que j'ai des cheveux bruns, & que je n'ai pas la bouche de

travers.

Il parle enfuite d'une ode que je fis à l'âge de dix-huit ans, pour le prix de l'académie française. Il eft vrai que ce fut M. l'abbé du Jarry qui remporta le prix; je ne crois pas que mon ode fût trop bonne, mais le public ne foufcrivit pas au jugement de l'académie. Je me fouviens qu'entr'autres fautes affez fingulières dont le petit poëme couronné était plein il y avait ce vers,

Et des pôles brûlans, jusqu'aux pôles glacés.

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