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gothique de Paris, eft de Philippe de Valois, ou de Philippe le Bel.

Ne diffimulons point; nous n'exiftons que depuis environ fix vingts ans : lois, police, discipline militaire, commerce, marine, beaux-arts, magnificence, esprit, goût, tout commence à Louis XIV, & plufieurs avantages fe perfectionnent aujourd'hui. C'est-là ce que j'ai voulu infinuer, en difant que tout était barbare chez nous auparavant, & que la chaire l'était comme tout le refte. Urceus Codrus ne valait pas trop la peine que je vous parlaffe long-temps de lui; mais il m'a fourni des réflexions qui pourront être utiles fi vous avez la bonté de les redreffer.

P. S. Dans l'éloge que je viens de faire de ce fiècle, dont je vois la fin, je ne prétends point du tout comprendre le libraire qui a imprimé l'Appel aux nations, en faveur de Corneille & de Racine, contre Shakespeare & Otwai; & j'avouerai sans peine que Robert Etienne imprimait plus correctement que lui. Il a mis des certitudes pour des attitudes, profane pour ancienne, votre fœur pour ma fœur ; & quelques autres contrefens qui défigurent un peu cette importante brochure, Comme c'est un procès qui doit être jugé à Pétersbourg, à Berlin, à Vienne, à Paris, & à Rome, par les gens qui n'ont rien à faire, il eft bon que les pièces ne foient point altérées,

158 A L'AUTEUR DU MERCURE.

A L'AUTEUR DU MERCUR

1761.

SIC vos, non vobis. Dans le nombre immens tragédies, comédies, opéra comiques, dif moraux, & facéties, au nombre d'environ cinq mille, qui font l'honneur éternel de la France vient d'imprimer une tragédie fous mon nom, inti Zulime; la fcène eft en Afrique: il eft bien vrai q trefois ayant été avec Alzire en Amérique, je f petit tour en Afrique avec Zulime, avant d'aller Idamé à la Chine; mais mon voyage d'Afriqu me réuffit point. Prefque perfonne dans le par ne connaissait la ville d'Arfénie, qui était le lie la fcène; c'eft pourtant une colonie romaine non Arfinaria; & c'eft encore par cette raifon-là qu'o la connaiffait pas.

Trémizène est un nom bien fonore, c'est u petit royaume; mais on n'en avait aucune idé pièce ne donna nulle envie de s'informer du gisse de ces côtes. Je retirai prudemment ma flotte, defperat tractata nitefcere poffe relinquit. Des corfai font enfin faifis de la pièce, & l'ont fait impr mais par droit de conquête, ils ont fupprimé ou trois cents vers de ma façon, & en ont mis a de la leur: je crois qu'ils ont très-bien fait ; je ne point leur voler leur gloire, comme ils m'ont mon ouvrage. J'avoue que le dénouement leur a tient, & qu'il eft auffi mauvais que l'était le

les rieurs auront beau jeu; au lieu d'avoir une pièce à fiffler, ils en auront deux.

Il est vrai que les rieurs feront en petit nombre, car peu de gens pourraient lire les deux pièces; je fuis de ce nombre; & de tous ceux qui prifent ces bagatelles ce qu'elles valent, je fuis peut-être celui qui y met le plus bas prix. Enchanté des chefs-d'œuvre du fiècle paffé, autant que dégoûté du fatras prodigieux de nos médiocrités, je vais expier les miennes en me fefant le commentateur de Pierre Corneille. L'académie a agréé ce travail; je me flatte que le public le fecondera, en faveur des héritiers de ce grand nom.

Il vaut mieux commenter Héraclius que de faire Tancrède, on rifque bien moins. Le premier jour que l'on joua ce Tancrède, beaucoup de fpectateurs étaient venus armés d'un manufcrit qui courait le monde, & qu'on affurait être mon ouvrage : il reffemblait à cette Zulime.

C'eft ainfi qu'un honnête libraire, nommé G...., s'avifa d'imprimer une Hiftoire générale, qu'il affurait être de moi, & il me le foutenait à moi-même; il n'y a pas grand mal à tout cela. Quand on vexe un pauvre auteur, les dix-neuf vingtièmes du monde l'ignorent, le refte en rit, & moi auffi. Il y a trente à quarante ans que je prenais férieusement la chofe. J'étais bien fot! Adieu, je vous embraffe.

A M. L'ABBÉ D'OLIVET,

CHANCELIER DE L'ACADEMIE FRANÇAISE.

Au château de Ferney, ce 20 août 1761.

Vous m'aviez donné, mon cher chancelier, le

confeil de ne commenter que les pièces de Corneille qui font reftées au théâtre. Vous vouliez me foulager ainfi d'une partie de mon fardeau, & j'y avais confenti, moins par pareffe que par le défir de fatisfaire plutôt le public; mais j'ai vu que dans la retraite j'avais plus de temps qu'on ne pense; & ayant déjà commenté toutes les pièces de Corneille qu'on représente, je me vois en état de faire quelques notes utiles fur les

autres.

Il y a plufieurs anecdotes curieufes qu'il eft agréable de favoir. Il y a plus d'une remarque à faire fur la langue. Je trouve, par exemple, plufieurs mots qui ont vieilli parmi nous, qui font même entièrement oubliés, & dont nos voifins les Anglais fe fervent heureusement. Ils ont un terme pour fignifier cette plaifanterie, ce vrai comique, cette gaieté, cette urbanité, ces faillies qui échappent à un homme fans qu'il s'en doute; & ils rendent cette idée par le mot humeur, humour, qu'ils prononcent yumor; & ils croient qu'ils ont feuls cette humeur, que les autres nations n'ont point de terme pour exprimer ce caractère d'efprit. Cependant, c'est un ancien mot de notre

langue,

langue, employé en ce fens dans plufieurs comédies de Corneille. Au refte, quand je dis que cette humeur eft une espèce d'urbanité, je parle à un homme inftruit, qui fait que nous avons appliqué mal-à-propos le mot d'urbanité à la politeffe, & qu'urbanitas fignifiait à Rome précisément ce qu'humour fignifie chez les Anglais. C'eft en ce fens qu'Horace dit: Frontis ad urbana defcendi præmia; & jamais ce mot n'eft employé autrement dans cette fatire que nous avons fous le nom de Pétrone, & que tant d'hommes fans goût ont prise pour l'ouvrage d'un conful Petronius.

Le mot partie fe trouve encore dans les comédies de Corneille pour efprit. Cet homme a des parties. C'est ce que les Anglais appellent parts. Ce terme était excellent; car c'est le propre de l'homme de n'avoir que des parties; on a une forte d'efprit, une forte de talent; mais on ne les a pas tous. Le mot efprit est trop vague; & quand on vous dit, cet homme a de l'efprit, vous avez raifon de demander du quel?

Que d'expreffions nous manquent aujourd'hui, qui étaient énergiques du temps de Corneille; & que de pertes nous avons faites, foit par pure négligence, foit par trop de délicateffe! On affignait, on apointait un temps, un rendez-vous ; celui qui, dans le moment marqué, arrivait au lieu convenu, & qui n'y trouvait pas fon prometteur, était défapointé. Nous n'avons aucun mot pour exprimer aujourd'hui cette fituation d'un homme qui tient fa parole, & à qui on en manque.

Qu'on arrive aux portes d'une ville fermée, on eft, quoi? nous n'avons plus de mot pour exprimer cette fituation : nous disions autrefois forclos; ce mot trèsexpreffif n'eft demeuré qu'au barreau. Les affres de la Mélanges litter. Tome III.

L

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