COMÉDIE EN UN ACTE, MÊLÉE DE CHANT; Représentée, pour la première fois, par les comédiens italiens ordinaires du roi, le 19 février 1770. MUSIQUE DE GRÉTRY. DOLMON, père. ACTEURS. DOLMON, fils aîné, sous le nom de Silvain. DOLMON, fils cadet. HÉLÈNE, femme de Silvain. PAULINE et LUCETTE, filles de Silvain et d'Hélène. BAZILE, jeune villageois. L'action se passe devant une maison de paysan, vis-à-vis de laquelle est un petit bois. SCÈNE PREMIÈRE. SILVAIN, en paysan chasseur, un fusil à la main, HELENE. HÉLÈNE. DIS-MOI donc, mon ami, dis-moi ce qui t'afflige. ΜΟΙ Tu te caches de moi : tu crains que je n'exige Un aveu que ton cœur laisserait échapper. SILVAIN. Ma femme, ce n'est rien. Non, ce n'est rien, te dis-je. HÉLÈNE. Au moment de donner ta fille Ta naissance, et les biens dont jouit ta famille. Je t'ai coûté bien cher ! SILVAIN. J'ai fait ce que j'ai dû. Laissé tomber dans la misère; D'indissolubles nœuds avec toi m'ont uni, Quant à ce mariage entre nous résolu, Je suis loin d'en rougir ! Et que fait la naissance? Je dois tout à ces bonnes gens. Quand mes mains au travail n'étaient point endurcies, Mais la pitié sans honte, et si noble, et si tendre, Que mon cœur a pu s'y méprendre. HÉLÈNE. Non, pour eux, mon ami, tu ne peux faire assez. Je l'ai depuis quinze ans passés. AIR. Nos cœurs cessent de s'entendre: SILVAIN. Non, ma confiance est la même ; Mais il est si cruel d'affliger ce qu'on aime! HÉLÈNE. Afflige-moi plutôt; mais ne me cache rien. SILVAIN. Il faut t'obéir. Tu sais bien Quel était le seigneur de la terrre où nous sommes ? Juste et bon, il aimait les hommes; Du pauvre laboureur il était le soutien. << Mes enfans, disait-il, je veux que, dans ma terre, » L'homme recueille en paix les fruits qu'il a semiés. >> Les animaux vous font la guerre; » Vous ne serez point désarmés. Que chacun dans son champ se garde et se défende : » Je cède à tous les mêmes droits : » Je veux qu'ici l'on ne dépende » Que de Dieu, du prince et des lois. » C'est ainsi que pensait cet homme respectable. C'en est un, chère Hélène, oui, c'en est un pour moi. Dans sa terre aujourd'hui sais-tu qui lui succède? C'est à lui qu'il la cède : Mon frère en sera possesseur. Je ne l'ai vu qu'en son bas âge; Mais des bontés d'un père indigne ravisseur, Qu'allons-nous devenir ! HÉLÈNE. SILVAIN. Nous nous aimons toujours. Quel que soit notre asile, avec un peu de peine, Marions notre fille, et surtout n'allons pas Tu reviendras bientôt? HÉLÈNE. SILVAIN. Je ne vais qu'à deux pas. (Elle rentre dans la maison.) SCÈNE II. SILVAIN seul, la suivant des yeux. Je serais découvert; et je veux m'épargner Je puis braver les AIR. coups du sort, Mais non pas les regards d'un père. Bois naissans, que je plantai, Quoi! vous quitter pour jamais ! Je puis, etc. SCÈNE III. HÉLÈNE, PAULINE, LUCETTE. Lucette porte deux chaises, l'une pour sa mère, et l'autre pour sa soeur elle les place à l'ombre du bocage.) HÉLÈNE, à Pauline. Te voilà fort bien mise. LUCETTE. Et moi, ma mère? HÉLÈNE, à Lucette. (à Pauline.) Ton futur va venir; asseyons-nous ici : Aussi. En l'attendant, parlons de lui, ma fille. (Hélène et Pauline s'asseyent, et Lucette se tient debout.) (à Lucette.) Tu dois savoir.... Ceci pourrait vous ennuyer; Laissez-nous. LUCETTE. Ah! maman, pourquoi me renvoyer? Ce qu'elle doit savoir, il faut que je l'apprenne: Et la même leçon servira pour nous deux. Eh bien, demeure; tu le peux. Ton père a fait, Pauline, un choix bien estimable! Tout cela te promet le sort le plus heureux. A ce bonheur, souvent fragile et passager : AIR. Ne crois pas qu'un bon ménage L'homme est fier, il est sauvage; Il renonce à son empire. Douce humeur et doux langage LUCETTE. Je retiens vos leçons, maman; je les suivrai : Et lorsque mon mari sera bien en colère, Au lieu de me facher, je le caresserai. Je crains bien que ma sœur ne soit pas si docile! |