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dit-il; mais que la fiction se concilie avec la vérité, et s'y mêle si naturellement, qu'on ne s'aperçoive pas du mélange:

Primo ne medium, medio ne discrepet imum.

que le début du poëme soit modeste; que l'action n'en soit pas prise de trop loin; que, sur le théâtre, on ne présente aux yeux rien de révoltant ni rien d'impossible; que la pièce n'ait pas moins de trois actes, ni plus de cinq; qu'il n'y ait jamais en scène plus de trois interlocuteurs; que le choeur s'intéresse à l'action dont il est témoin, ami des bons, ennemi des méchans; qu'on n'emploie jamais de machine postiche; et s'il se mêle dans l'action quelque incident merveilleux, qu'elle en soit digné par son importance: que le style de la tragédie soit grave et sévère; mais que dans le comique, l'aisance et le naturel de la composition fassent dire à chacun que rien au monde n'était plus facile :

Ex noto fictum carmen sequar, ut sibi quivis

Speret idem, sudet multùm, frustràque laboret

Ausus idem.

Après avoir résumé ses préceptes, Horace recommande aux poëtes l'étude de la philosophie et des mœurs : il distingue dans la poésie deux effets, l'agrément et l'utilité, quelquefois séparés, souvent réunis :

Aut prodesse volunt, aut delectare poetæ,
Aut simul et jucunda et idonea dicere vitæ.

Mais l'agrément de la fiction dépend de l'air de vérité qu'on lui donne;

Ficta voluptatis causâ, sint proxima veris.

de la naïveté du récit, et du soin qu'on prend d'en exclure tout ce qui serait superflu:

Omne supervacuum pleno de pectore manat.

Du reste, il pardonne au poëte des négligences, pourvu qu'elles soient en petit nombre, et rachetées par de grandes beautés. Il y a même, en poésie comme en peinture, un genre qui de loin produit son effet, quoiqu'il n'ait pas la correction des détails; mais ce qui est fini a l'avantage de pouvoir être vu de près, toujours avec un plaisir nouveau :

Hæc placuit semel, hæc decies repetita placebit.

La conclusion d'Horace est que la poésie n'admet point de talens médiocres:

Mediocribus esse poetis,

Non homines, non di, non concessere columnæ.

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Encore est-ce peu du talent, ce don précieux de la nature, si le travail ne le développe, si l'étude ne le nourrit, si des amis judicieux et sévères ne le corrigent en l'éclairant; si le poëte enfin ne se donne à lui-même le temps d'oublier, de revoir, de retoucher ses ouvrages avant de les exposer au jour:

Membranis intùs positis, delere licebit

Quod non edideris : nescit vox missa reverti.

On ne saurait donner des préceptes généraux ni plus solides ni plus lumineux; mais cet ouvrage est un résultat d'études élémentaires, par lesquelles il faut avoir passé pour les méditer avec fruit: il les suppose, et n'y peut suppléer.

Despréaux applique à la poésie française les préceptes d'Horace sur la composition et sur le style en général, et il y ajoute en les développant. Il veut que la rime obéisse, et que la raison ne lui cède jamais; qu'on évite les détails inutiles et l'ennuyeuse monotonie, le style bas et le style ampoulé:

Le style le moins noble a pourtant sa noblesse.

...

Soyez simple avec art,

Sublime sans orgueil, agréable sans fard.

Il recommande l'exactitude, la clarté, le respect pour la langue, et la fidélité aux règles de la cadence et de l'harmonie, préceptes dont il donne l'exemple.

Horace a peint en un seul vers la beauté du style poétique;

Vehemens, et liquidus, puroque simillimus amni.

Despréaux, qui ne le considère que par rapport à l'élégance et à la pureté, a pris une image plus humble;

J'aime mieux un ruisseau qui, sur la molle arêne,
Dans un pré plein de fleurs lentement se promène,
Qu'un torrent débordé, qui, d'un cours orageux,
Roule, plein de gravier, sur un terrein fangeux.

Il définit les divers genres de poésie, à commencer par les petits poëmes, et la plupart de ces définitions sont elles-mêmes des modèles du style, du ton, du coloris, qui conviennent à leur objet.

Les préceptes qui regardent la tragédie sont tracés d'après Aristote et Horace : la règle des trois unités et la défense de laisser jamais la scène vide, sont renfermés dans deux vers admirables:

Qu'en un lieu, qu'en un jour, un seul fait accompli
Tienne, jusqu'à la fin, le théâtre rempli.

On y voit l'unité de lieu prescrite à l'égal de l'unité de temps et d'action règle nouvelle, que les anciens ne nous avaient point

imposée, qu'ils n'ont pas observée inviolablement, et dont il est, je crois, permis de s'écarter comme eux, lorsque le sujet le demande. Voyez Unité.

Après avoir rappelé l'origine et les progrès de la tragédie dans la Grèce, il la reprend au sortir des ténèbres de la barbarie, et telle qu'on la vit paraître sur nos premiers théâtres, sans goût, sans génie et sans art; il la conduit jusqu'aux beaux jours des Corneille et des Racine: il conseille aux poëtes d'y employer l'amour;

De cette passion la sensible peinture

Est, pour aller au coeur, la route la plus sûre.

Ce qui ne doit pas être pris à la lettre : car les sentimens de la nature sont plus touchans encore, plus pénétrans que ceux de l'amour; et il n'y a point sur le théâtre d'amante qui nous intéresse au degré de Mérope.

Il ajoute :

Et que l'amour, souvent de remords combattu,

Y soit une faiblesse, et non une vertu.

règle qui n'est pas générale : car un amour vertueux et sacré, s'il est réduit à l'excès du malheur, peut être aussi très-intéressant ; et le cœur des amans est déchiré de tant de manières, que, pour nous arracher des larmes, ils n'ont pas besoin du secours des remords.

Horace est admirable quand il enseigne à observer les mœurs et à les rendre avec vérité; Despréaux l'imite et l'égale. Il termine les règles de la tragédie par le caractère du génie qui lui

convient.

Qu'il soit aisé, solide, agréable, profond;
Qu'en nobles sentimens il soit toujours fécond.

L'épopée differe de la tragédie par son étendue et par l'usage du merveilleux. Ce poëme, dit Despréaux,

Dans le vaste récit d'une longue action,
Se soutient par la fable et vit de fiction.

Il se moque du vain scrupule de ceux qui auraient voulu bannir la fable de la poésie française; mais il condamne le mélange du merveilleux de la fable et de celui de la religion, et désapprouve l'emploi de celui-ci, quand même il serait sans mélange :

Et, fabuleux chrétiens, n'allons pas dans nos songes
D'un Dieu de vérité faire un Dieu de mensonges.

précepte qui ne doit pas exclure un merveilleux décent, puisé dans la vérité même, et qui n'en est que l'extension. Voyez MER

VEILLEUX.

Despréaux veut pour l'épopée un héros recommandable par sa valeur et par ses vertus : il demande que le sujet ne soit pas trop chargé d'incidens; que la narration soit vive et pressée; que les détails en soient intéressans et nobles, mêlés de grâce et de majesté :

On peut être à la fois et sublime et plaisant,

Et je hais un sublime ennuyeux et pesant.

Il donne Homère pour exemple d'une riche variété ; mais il me semble avoir manqué le trait qui le caractérise :

On dirait que pour plaire, instruit par la nature,
Homère ait à Vénus dérobé sa ceinture.

Cette ceinture, quoique Homère en soit lui-même l'inventeur, ne lui sied pas mieux qu'elle ne siérait à Hercule.

Il préfère la folie enjouée de l'Arioste au caractère de ces poëtes dont la sombre humeur ne s'éclaircit jamais.

Tout cela bien entendu peut contribuer à former le goût; mais pour le bien entendre il faut avoir déjà le goût formé par exemple, il ne faut pas croire, sur l'éloge que Despréaux fait de l'Arioste, que le Roland furieux soit un modèle de poëme épique, ni que le plaisant qu'on peut mêler au sublime de l'épopée, le dulce d'Horace, soit le joyeux badinage que le poëte italien s'est permis:

Quel sciocco, che del fatto non s'accorse,

Per la polve cercando iva la testa.

Virgile est plein de grâces, et n'est jamais plaisant; Homère veut l'être quelquefois, et c'est alors qu'il n'est plus Homère. Despréaux finit par la comédie; et les préceptes qu'il en donne sont à peu près les mêmes qu'Horace nous avait tracés:

Il faut que ses acteurs badinent noblement ;

Que son noeud, bien formé, se dénoue aisément.

Il exclut de la comédie des sujets tristes, n'y admet point de scènes vides, et lui interdit les plaisanteries qui choquent le bon sens, ou qui blessent l'honnêteté.

Après avoir parcouru ainsi tous les genres de poésie, il en revient aux qualités personnelles du poëte, le génie et les bonnes mœurs. C'est à propos de l'élévation d'âme et du noble désintéressement qu'exige le commerce des muses, que, remontant à l'origine de la poésie, il la fait voir pure et sublime dans sa naissance, et dégradée dans la suite par l'avarice et la vénalité. Tout ce morceau est habilement imité d'une idylle de Saint-Geniez, comme tout ce qui regarde le choix d'un critique judicieux et sévère est imité d'Horace.

Voilà ce qui reste à peu près de la lecture de ces trois excellens ouvrages.

Aristote et Horace avaient vu l'art dans la nature; Despréaux me semble ne l'avoir vu que dans l'art même, et ne s'être appliqué qu'à bien dire ce que l'on savait avant lui. Mais il l'a dit le mieux possible; et à ce mérite se joint celui de l'avoir appris à un siecle qui l'aurait peut-être ignoré sans lui : je parle de la mul-. titude.

Quand le goût du public a été formé, la plupart des leçons de Despréaux nous ont dû paraître inutiles; mais c'est grâce à luimême et à l'attrait qu'il leur a donné, que ses idées sont aujourd'hui communes. Elles ne l'étaient pas du temps que Sarrasin disait de l'Amour tyrannique de Scudéri, que si Aristote eût vécu alors, ce philosophe eût réglé une partie de sa poétique sur cette excellente tragédie: elles ne l'étaient pas du temps que Segrais écrivait: On verra si dans quarante ans on lira les vers de Racine comme on lit ceux de Corneille...., le poëme de la Pucelle a des endroits inimitables ; je n'y trouve autre chose à redire, sinon que M. Chapelain épuise ses matières, et n'y laisse rien à imaginer au lecteur : elles ne l'étaient pas encore assez, lorsque Saint-Evremont, cet arbitre du goût, disait à l'abbé de Chaulieu : Vous mettre au-dessus de Voiture et de Sarrasin, dans les choses galantes et ingénieuses, c'est vous mettre au-dessus de tous les an

ciens.

Dans l'article AFFECTATION, j'ai donné une idée du style de Voiture. Sarrasin avait, comme lui, plus d'esprit que de goût : il appelait un cygne expirant, un cygne abandonné des médecins. Dans ses vers, la Seine menace de ses batons flottés la fontaine de Forges, pour lui avoir enlevé deux nymphes. Ce n'est pas ainsi qu'ont été galans Voltaire, Bernard, M. de Saint-Lambert; et . dans notre siècle, le tour d'esprit de Voiture et de Sarrasin n'aurait pas fait fortune; au contraire, jamais Corneille, Racine, Molière, La Fontaine, n'ont été mieux appréciés, plus sincèrement admirés. Mais si le goût de la nation s'est perfectionné, peut-être en est-elle redevable en partie au bon esprit de Despréaux : son Art poétique est, depuis un siècle, dans les mains des enfans; et pour des raisons que j'ai dites ailleurs, il est plus nécessaire que jamais à la génération nouvelle.

POINTE. Jeu de mots. Quoique Cicéron n'ait pas exclu ce badinage du langage oratoire, je le croirais déplacé dans des ouvrages sérieux; mais dans un ouvrage badin, ou dans la conversation familière, la saillie en peut être heureuse.

M. Orri, contrôleur général, disait à quelqu'un : Savez-vous

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