Page images
PDF
EPUB

A la voix de l'amour il s'est évanoui.

Mais mon fils voudra-t-il ceindre le diadème? Il va venir, madame; offrez-le lui vous-même. ( à part.)

S'il l'accepte, il est mort.

SCÈNE II.

ARĖTIE, seule.

Par le crime élevé, cimenté

Il veut quitter ce rang,
par le sang!

A la voix des remords il a paru sensible!
L'amour a-t-il dompté cet orgueil inflexible?
Pour l'âme des tyrans l'amour a-t-il des traits?
Vous, que je méprisais, périssables attraits,
Auriez-vous de ce tigre adouci la furie?
Pourriez-vous me servir à sauver ma patrie?
Ainsi donc la beauté, ce funeste ornement,
Ecueil de nos vertus, en devient l'instrument!
Cependant à son sort il faut que je me lie.
Toi, qui me fus si cher, il faut que je t'oublie.
Va, que le bien public soit l'un de mes bienfaits.
Avec toi fais régner la justice et la paix.
Tu feras des heureux; tu le seras peut-être ;

Je ne m'en plaindrai point : mais, hélas! puis-je l'être!
Quoi! fille de Dion, tu vas penser à toi!

A de plus grands périls réserve ton effroi.
Vois tes concitoyens au bord du précipice,
Marchant à la révolte, ou peut-être au supplice.
Ton père est à leur tête, et tu n'as qu'un instant.

Si le sort les trahit, l'échafaud les attend.

Et qu'importe, après tout, à qui je sois unie,
Si j'étouffe en ses bras l'affreuse tyrannie,

Si je suis la rançon de mes concitoyens?

Brisons, brisons leurs fers; la mort rompra les miens.

Que vois-je?

SCÈNE III.

DENYS le fils, ARÉTIE

ARÉTIE

DENYS le fils, à part.

Le cruel! auprès d'elle il m'envoie!

Pour aigrir mes douleurs, il veut que je la voie.

Quel moment!

ARÉTIE.

DENYS le fils.

Quel destin! quel affreux désespoir ! Je vous perds. Cependant on me force à vous voir, Madame. Votre bouche est-elle condamnée

A m'annoncer l'arrêt d'un fatal hyménée?
Mon père à la contrainte ose-t-il recourir?
Ou bien consentez-vous?...

[blocks in formation]

5.

Peut-on l'être en sauvant son pays:

En sauvant son pays!

DENY S.

ARÉTIE.

Oui, c'est à ma patrie, A ce dieu des grands cœurs que je vous sacrifie. Son sort est en nos mains. Je commence ; achevez. Ce n'est point pour m'aimer, prince, que vous vivez. Vous vous devez au monde, à ce peuple, à la gloire. J'ai partagé vos feux; partagez ma victoire. Libre, allez vous offrir aux yeux de l'univers. Le trône vous attend. Allez briser nos fers.

Le trône m'attend! moi!

DENYS.

ARÉTIE.

Par un effort suprême,
Denys, en m'épousant, y renonce lui-même.
Je me donne à ce prix, et je viens vous offrir
Un sceptre qu'en ses mains on ne peut plus souffrir.

DEN YS.

Que me proposez-vous? qui? moi! que je prétende
Au trône de mon père !

C'est à vous d'y monter.

ARÉTIE.

Il faut qu'il en descende;

DENYS.

C'est à moi d'obéir.

Du rang qui vous est dû, madame, allez jouir.
De nos feux mutuels perdez-y la mémoire,
Et laissez-moi mourir avec toute ma gloire.
ARÉTIE.

Cessez de m'opposer un devoir prétendu.
S'il règne encore un jour, votre père est perdu.

DENYS.

Qu'entends-je ? quel complot! quelle aveugle furie!
ARÉTIE.

Ne nommez point ainsi l'amour de la patrie.
Je ne vous dirai point quelles calamités
Animent contre lui ses sujets révoltés.

Vous devez détourner les yeux de leur misère.
Il est affreux d'apprendre à détester un père.
Mais voyez le péril dont il est menacé.
Sur son trône aujourd'hui si vous n'êtes placé,
D'un peuple furieux il éprouve la rage;
Et son fils peut lui seul conjurer cet orage.

DENYS.

Je mourrai son sujet en défendant ses jours.
De ces complots encore il peut rompre le cours.
Je vais lui découvrir le danger qui s'apprête,
M'armer pour le défendre et pour punir....

[blocks in formation]

Je n'écoute plus rien: mon père est en danger.

ARÉTIE

Cher prince, où courez-vous?

DENYS.

Me perdre, ou le venger.

ARÉTIE.

Eh bien, cruel! eh bien, ordonne mon supplice.

[blocks in formation]

Moi. Ce n'est pas tout: ce vertueux ami, Qui des malheurs du peuple en secret a gémi, Ce Dion, dont les soins ont formé ta jeunesse, Et qui pour toi d'un père a toute la tendresse,

Dion, de la révolte est le chef et l'auteur.
Va, tu sais mon secret; sois son accusateur.

DENYS.

Chaque mot me confond; et mon âme égarée
Est, par d'affreux éclairs, sur l'abîme éclairée.
Seul ami de ton roi, Dion, tu le trahis!

ARÉTIE.

Il s'expose pour vous, pour moi, pour son pays;
Trop long-temps sourd aux cris d'un peuple qui l'implore,
Il s'y rend à la fin.

[blocks in formation]

Cruel; tourne les yeux sur une infortunée,
A t'aimer, à te perdre, à mourir condamnée.
Vois tes plus chers amis dévoués au trépas;
Vois ta triste patrie: elle te tend les bras.
N'a-t-elle pas ses droits ainsi que la nature?
C'est à toi d'adoucir les peines qu'elle endure;
C'est à toi d'essuyer les pleurs qu'elle a versés.
Combien de vœux au ciel pour toi sont adressés!
« S'il règne, disent-ils, si le ciel moins sévère
» Le fait monter un jour au trône de son père;
>> Que nous serons heureux sous de si justes lois!
» Il sera notre père, et l'exemple des rois. >>
Peux-tu ne pas sentir le prix d'une couronne
Que l'amour, que la paix, que la gloire environne;
Et combien il est doux, pour un cœur généreux,

De n'avoir qu'à parler pour faire des heureux?

Cher prince, au nom des dieux, de ma tendresse extrême,
De Dion, de ce peuple, et de ton père même,

Préviens, en acceptant un héritage offert,
Une rebellion qui l'accable, ou nous perd.
SCÈNE IV.

DENYS le père, DENYS le fils, ARÉTIE, Gardes.
DENYS le père.

Prince, je viens savoir quelle est votre réponse.
Il est temps qu'aux grandeurs votre père renonce:
Heureux qu'en vous le ciel ait voulu lui donner
Un fils, par ses vertus, digne de gouverner!

DENYS le fils.

Du destin des mortels il est beau d'être arbitre,

Quand on a les vertus que demande ce titre,
Et qu'on peut s'assurer, n'ayant plus qu'à vouloir,
De remplir dignement un immense devoir.

Mais ces vertus, seigneur, les a-t-on à mon âge?
Des dieux, maîtres des rois, si, pour être l'image,
Il ne fallait qu'un cœur exempt d'ambition,
Ennemi de l'injure et de l'oppression,

Et, pour le bien public, détaché de lui-même,
Je pourrais sans rougir porter le diadème.
Mais quand je considère où s'étend le devoir
De ceux à qui le ciel a remis son pouvoir;
Quand je vois quel péril sans cesse les assiége,
Qu'ils ont, à chaque pas, à craindre quelque piége;
Qu'au milieu des flatteurs dont la dexterité
D'un voile séduisant masque la vérité,

Un roi doit être exempt d'erreur et de faiblesse,
S'observer, se combattre et şe vaincre sans cesse;
Craindre tous ses penchans comme autant d'ennemis
Sous le frein du devoir les tenir tous soumis;
Savoir que rien de lui n'est léger ni frivole,

Qu'il répond d'un regard, et d'un mot qui s'envole;
Que ce mot dangereux, échappé sans dessein,
Porte à celui qu'il frappe un poignard dans le sein;
Et qu'un peuple attentif, qui de loin le contemple,
Du vice ou des vertus attend de lui l'exemple;
Je sens qu'un diadème est trop pesant pour moi.
Mais mon père aujourd'hui m'en impose la loi ;
J'obéis; et toujours sous votre dépendance,
Je porterai le sceptre, et vous seul la balance.
DENYS le père ( aux Gardes).

[blocks in formation]

DENYS le père.

Obéissez.

Il m'est connu, madame, c'est assez.

J'ai voulu m'assurer de votre intelligence,
Et voir sur qui devait éclater ma vengeance.

« PreviousContinue »