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que Quintilien a dit qu'elle devait être extra fidem, non extra modum. Toutes les fois que l'expression dit plus qu'on ne doit i penser naturellement, elle est fausse; elle est juste toutes les fois qu'elle n'excède pas l'idée qu'on a ou qu'on peut avoir. C'est dans cette vérité relative que consiste la précision de l'hyperbole même; car il n'y a point d'exception à cette règle, que chacun doit parler d'après sa pensée et peindre les choses comme il les voit. Celui qui soupirait de voir Louis XIV trop à l'étroit dans le Louvre, et qui disait pour sa raison,

Une si grande majesté

A trop peu de toute la terre.

le pensait-il? pouvait-il le penser? C'est la pierre de touche de l'hyperbole.

L'un des grands vices de notre ancienne poésie, c'est l'hyperbole démesurée. Malherbe en est plein dans ses odes. Quoi de plus extravagant, par exemple, que ces présages des exploits du dauphin, dont il prédisait à la reine la naissance et les destinées?

O combien lors aura de veuves
La gent qui porte le turban!
Que de sang rougira les fleuves
Qui lavent les pieds du Liban!
Que le Bosphore en ses deux rives
Aura de sultanes captives!
Ft que de mères à Memphis,
En pleurant, diront la vaillance

De son courage et de sa lance,
Aux funérailles de leurs fils!

C'est une maxime bien vraie en fait de goût, qu'on affaiblit toujours ce que l'on exagère; mais exagérer, dans ce sens-là veut dire aller au-delà, non de la vérité absolue, mais de la vérité relative. Celui qui exprime une chose comme il la sent n'exagère point; il rend fidèlement son sentiment ou sa pensée. L'objet qu'il peint n'a pas tous les charmes qu'il lui attribue; le malheur dont il est accablé n'est pas aussi grand qu'il se l'imagine; le danger qui menace son ami, sa maîtresse, ce qu'il a de plus cher, n'est ni aussi terrible, ni aussi pressant qu'il le croit : mais ce n'est pas d'après la réalité même, c'est d'après son imagination qu'il les peint; et pour en juger d'après lui et comme lui, on se met à sa place. Ainsi, dans l'excès de la passion, l'hyperbole la plus insensée est elle-même quelquefois l'expression de la nature et de la vérité.

L'habitude, le préjugé, l'opinion, sont autant de verres diversement colorés, à travers lesquels chacun de nous voit les objets ; la passion est un microscope. Le caractère modifié par tous ces

accidens doit donc modifier le sentiment et la pensée; et c'est l'expression fidèle de ces altérations qui fait la vérité des mœurs. Il ne s'agit donc pas de ce qui est conforme à la droite raison, mais de ce qui est conforme à l'esprit et au caractère de celui qui parle.

Rien de plus commun cependant que d'entendre juger une pensée en elle-même, et décider qu'elle est fausse par cela même qui la rend vraie. Voulez-vous qu'un homme insensé raisonne comme un sage? remettez à sa place ce qui vous paraît faux ; alors vous le trouverez juste.

Voici deux beaux vers de Corneille :

Et qui veut tout pouvoir doit savoir tout oser.

Et qui veut tout pouvoir, ne doit pas tout oser.

Lequel des deux est vrai? Chacun l'est à sa place; et à la place l'un de l'autre, tous les deux seraient faux. Mors summum bonum, diis denegatum, a dit Sénèque; et cette pensée, folle dans la bouche d'un sage, devient naturelle et vraie dans le caractère de Calypso, malheureuse d'étre immortelle.

Si la mort était un bien, dit Sapho, les dieux n'en seraient pas exempts. Ceci est d'un naturel plus commun, mais n'en est pas plus vrai; car la mort, qui serait un mal pour les dieux, pourrait être un bien pour les hommes.

Pline l'ancien a dit: Natura nihil hominibus brevitate vitæ præstitit melius. Cela me semble outré.

Mais que Mérope dise:

Lorsqu'on a tout perdu, lorsqu'on n'a plus d'espoir,
La vie est un opprobre et la mort un devoir.

Mais que Cérès, dans l'opéra de Proserpine, dise,
Infortunée, hélas! le jour m'est odieux ;

Et je suis pour jamais condamnée à la vie!

C'est là ce qui est dans la nature.

Quoi qu'on vous dise, endurez tout, disait un héros à son fils. Quel héros, va-t-on s'écrier, qui donne le conseil d'un lache! Oui ; mais ce lâche était Ulysse, qui allait bientôt lui seul exterminer tous les amans de Pénéloppe, et dont, en attendant, le cœur rugissait au dedans de lui-même, comme un lion rugit autour d'une bergerie où il ne saurait pénétrer : c'est ainsi que le peint Homère.

Les Spartiates, dans leurs prières, demandaient aux dieux de pouvoir supporter l'injure; et du côté de la bravoure, les Spartiates nous valaient bien. Notre point-d'honneur est le vice du héros de l'Iliade; et ce qui parmi nous déshonore un soldat, fut

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admiré dans Thémistocle. La valeur grecque se réduisait à vaincre ou à mourir en combattant pour la patrie; et Homère, qui fait essuyer tant d'injures à ses héros, n'a pas fait voir une seule fois, dans l'Iliade, un grec suppliant dans le combat, ni pris vivant par l'ennemi.

Ce sont ces différences nationales qu'il faut avoir étudiées pour juger les mœurs du théâtre. Que penserions-nous, par exemple, du poëte qui ferait dire par le fier Alexandre; que c'est acte de roi que de souffrir le bláme pour bien faire? Nous renverrions cette maxime à Fabius; et cependant elle est d'Alexandre luimême.

C'est une vérité rare, en fait de mœurs, que celle du caractère d'Achille, dans son entrevue avec Priam; et à le juger par les mœurs actuelles, il paraîtrait bien étrange que le meurtrier d'Hector s'établît le consolateur de son père, et lui tînt ce discours, qui, dans les mœurs antiques et dans l'opinion de la fatalité, est si naturel et si beau. « Ah! malheureux prince, par quelles épreuves avez-vous passé ? Comment avez-vous osé venir seul dans le camp des Grecs, et soutenir la présence d'un homme qui a ôté la vie à un si grand nombre de vos enfans, dont la valeur était l'appui de vos peuples? il faut que vous ayez un cœur d'airain. Mais asseyez-vous sur ce siége, et donnons quelque trève à notre affliction. A quoi servent les regrets et les plaintes ? Les dieux ont voulu que les chagrins et les larmes composassent le tissu de la vie des misérables mortels...... Mon père en est une preuve bien signalée : les dieux l'ont comblé de faveurs depuis sa naissance; sa fortune et ses richesses passent celles des plus grands rois........... Il n'a de fils que moi, qui suis destiné à mourir à la fleur de mon âge, et qui, pendant le peu de jours qui me restent, ne puis être près de lui pour avoir soin de sa vieillesse ; avoir soin de sa vieillesse ; car je suis éloigné de ma patrie, attaché à une cruelle guerre sur ce rivage, et condamné à être le fléau de votre famille et de votre royaume, tandis que je laisse mon père sans consolation et sans secours. Et vousmême n'êtes-vous pas encore un exemple épouvantable de cette vérité?..... Mais supportez courageusement votre sort, et ne vous abandonnez point à un deuil sans bornes : vous n'avancerez rien, quand vous vous désespérerez pour la mort de votre fils, et vous ne le rappellerez point à la vie; mais vous l'irez rejoindre, après avoir achevé de vider ici bas la coupe de la colère des dieux. » C'est là ce qu'on appelle les mœurs locales et la vérité relative.

Le poëte ne nous doit la vérité absolue, que lorsqu'il parle lui-même, ou qu'il donne celui qui parle, pour un homme sage, éclairé, vertueux, comme Burrhus, Alvares, Zopyre : dans tout le reste, il ne répond que de la vérité relative; et il est absurde

de lui faire un crime de la scélératesse d'Atrée, de Narcisse, ou de Mahomet. C'est pourtant là ce que ne manquent jamais de faire les cagots, les délateurs, les calomniateurs des talens, et surtout cette foule d'écrivains faméliques, plus impudens, plus méprisables, plus multipliés que jamais.

VERS. Le sentiment du rhythme nous est si naturel, que, chez les peuples même les plus sauvages, la danse et le chant sont cadencés. Or la poésie ancienne, dans sa naissance, était chantée : Illud quidem certum omnem poesin olim cantatam fuisse. (ISAAG VOSSIUS. ) La parole, accommodée au chant, fut donc aussi soumise à la mesure et à la cadence. Telle fut l'origine du vers métrique des anciens.

en valait -; le

Tout vers métrique n'est pourtant pas régulièrement mesuré. Rappelons-nous d'abord que ce vers était composé de pieds; et le pied, de syllabes, dont chacune était brève ou longue : la brève, , ne faisait qu'un temps dans la mesure; la longue, deux. La mesure à trois temps était donc l'ïambe, chorée, - ~; et le tribrache, . Les mesures à quatre temps, les plus en usage, étaient le spondée, --; le dactyle,; et l'anapeste,-. Avec l'intelligence de ces figures, on verra d'un coup d'œil quelle était la forme des vers.

L'hexamètre était régulier et plein d'un bout à l'autre ; et en même temps il était susceptible d'une variété continuelle, par la liberté qu'on avait d'y employer, dans les quatre premières mesures, ou le dactyle ou le spondée. Le cinquième pied seulement exigeait le dactyle, et le sixième le spondée : encore, si le caractère de l'expression ou l'harmonie imitative le demandait, pouvait-on mettre au cinquième pied le spondée au lieu du dactyle, qu'on plaçait au quatrième, et le vers alors s'appelait spondaïque.

Vers hexamètre.

--.

Vers spondaïque.

-ཅཔ,

C'est l'égalité de ces deux mesures et la liberté qu'avait le poëte de les combiner à son gré, c'est là, dis-je, ce qui faisait de l'hexamètre le plus harmonieux de tous les vers; aussi était-il consacré à la poésie héroïque.

Les pieds du pentamètre et de l'asclépiade sont tous, comme ceux de l'hexamètre, des mesures à quatre temps; mais dans l'un

et l'autre il y avait une césure à l'hémistiche, et à la fin du pentamètre une autre syllabe en suspens.

Pentamètre.

Asclepiade.

·, -པ, -; -པཔ, -པ་

Le vers ïambique, tout composé de mesures inégales, était le plus irrégulier et le plus approchant de la prose: car non-seulement il était entremêlé de spondées et d'iambes,

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mais à ses pieds impairs il recevait le dactyle, ou l'anapeste, ou les trois brèves à la place de l'ïambe; et cette marche libre et va— riée l'avait fait préférer pour la poésie dramatique.

Mais ce qui est une énigme pour notre oreille, c'est que les vers employés dans l'ode, et qu'on appelait vers lyriques, étaient aussi presque tous composés de mesures inégales, comme les vers de Sapho et d'Alcée. Voyez STROPHE.

Dans la basse latinité, lorsqu'on abandonna le vers métrique, c'est-à-dire le vers mesuré prosodiquement, pour le vers rhythmique, beaucoup plus facile, parce que la prosodie n'y était plus observée, et qu'il suffisait d'en compter les syllabes sans nul égard à leur valeur; les poëtes sentirent que des vers privés du nombre avaient besoin d'être relevés par l'agrément des consonnances: de là l'usage de la rime, introduit dans les langues modernes, adopté par les Provençaux, les Italiens, les Français, et par tout le reste de l'Europe.

On vient de voir que dans le vers métrique régulier la mesure est constamment la même, tandis que le nombre des syllabes varie. Un hexamètre, composé de cinq dactyles et d'un spondée, est un vers de dix-sept syllabes, tandis qu'un hexamètre, composé de cinq spondées et d'un dactyle, n'en a que treize.

On peut voir de même que, quel que fût le nombre des syllabes et le mélange des deux pieds, la mesure du vers était inalté– rable.

Panditur interea domus omnipotentis olimpi.
Lūctantēs vēntõs tēmpēstātēsqué sõnōrās.
Silvestrēm tënŭi mūsām mēdītāris avēnā.

Illa vel intactae segětis pēr summă võlārēt.

Au contraire, nos vers rhythmiques ont tous, à l'élision près,

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