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entourée de ses amis, une des femmes les plus distinguées du dix-huitième siècle et en même temps une de celles qui jusqu'ici ont le plus échappé aux recherches des écrivains de nos jours.

Pour compléter les renseignements que nous possédions sur Mme de Rochefort, nous avons eu recours à toutes les sources d'information. Nous n'avons pas toujours réussi à éclaircir tous les points de détail qui nous intéressaient, mais nous avons fait de notre mieux, et nous devons des remercîments aux personnes qui ont bien voulu nous aider dans nos investigations1.

Une partie du travail qu'on va lire a déjà paru dans la Revue des Deux Mondes, mais on s'apercevra sans peine que la seconde moitié de cette étude a été complétement refondue et considérablement augmentée.

Nous avons cru devoir publier en supplément deux de ces comédies de société qu'on jouait à l'hôtel de Brancas, et dont nous parlons au chapitre III: Nous espérons qu'elles justifieront l'opinion de Montesquieu sur l'auteur, quand il dit du frère aîné de Mme de Rochefort : « Vous devriez bien me procurer quelques-unes de ces badineries charmantes de M. de Forcalquier, qui sortaient de son esprit comme un éclair. » Nous avons joint à ces deux comédies un recueil de Pensées de Mme de Rochefort, que l'on peut considérer comme inédit, puisqu'il a été imprimé sans être publié, et la

1. Tout le monde sait que les bibliothécaires complaisants sont la providence des travailleurs; on ne s'étonnera donc pas de nous voir éprouver le besoin de remercier plus particulièrement MM. Ravenel, Rathery et Richard de la bibliothèque impériale, M. Barbier, conservateur de la bibliothèque du Louvre, et M. de Caussade, attaché au même établissement.

relation inédite d'un voyage de Douvres à Londres par le duc de Nivernois.

En définitive, l'ouvrage que nous soumettons au public, quoique plus difficile à exécuter qu'il ne le paraîtra peut-être au premier abord, n'a aucune prétention à l'importance historique c'est une série de

portraits et de tableaux de mœurs arrangés pour faire ressortir les habitudes et les goûts d'une société qui n'existe plus. Nous nous sommes attaché surtout à intéresser le lecteur par la variété des figures et des nuances; mais, tout en donnant beaucoup aux détails, nous avons cru devoir cependant terminer cette étude par des considérations d'une portée plus générale, qui s'appliquent à l'ensemble des changements accomplis depuis 1789, dans l'esprit et dans les mœurs de la société française.

Paris, 1er mai 1870.

LA COMTESSE

DE ROCHEFORT

ET SES AMIS

Dans une lettre souvent citée, écrite en 1766 à son ami le poëte Gray, Horace Walpole passe en revue les femmes les plus considérables de la société parisienne, et, après avoir parlé successivement de Mmes Geoffrin, du Deffand, de Mirepoix, de Boufflers, arrivant à Mme de Rochefort, il nous la présente ainsi :

Mme de Rochefort diffère de tout le reste. Son jugement est juste et délicat, avec une finesse d'esprit qui est le résultat de la réflexion; ses manières sont douces et féminines, et, quoique savante, elle n'affiche aucune prétention. Elle est l'amie décente (decent friend) de M. de Nivernois, car vous ne devez pas croire un mot de ce qu'on lit dans leurs nouvelles ; il faut ici la plus grande curiosité ou la plus grande habitude pour découvrir la plus légère liaison entre les personnes de

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sexe différent, aucune familiarité n'est permise que sous le voile de l'amitié, et le dictionnaire de l'amour est aussi prohibé que semblerait l'être à première vue son rituel. Walpole soulève ici une question délicate, sur laquelle nous reviendrons dans le cours de cette étude; contentons-nous pour le moment de faire remarquer qu'à l'époque où il écrivait ces réflexions à propos de Mme de Rochefort, celle ci était âgée de cinquante ans, et que le duc de Nivernois avait exactement le même âge.

Le président Hénault nous a laissé de son côté deux portraits de Mme de Rochefort. L'un date de la jeunesse de cette aimable femme, et, quoiqu'il soit un peu long, il mérite d'être cité presque tout entier.

<< Pour commencer par la figure de Mme la comtesse de Rochefort, dit le président, elle n'a rien de frappant ni qui surprenne, mais elle acquiert á être regardée; c'est l'image du matin, où le soleil ne se lève point encore, et où l'on aperçoit confusément mille objets agréables. Quand elle parle, son visage s'éclaire; quand elle s'anime, sa physionomie se déclare; quand elle rit, tout devient vivant en elle, et on finit par aimer à la regarder, comme on se plaît à parcourir un paysage où rien n'attache séparément, mais dont la composition entière est le charme des yeux.

>> On ne comprend pas comment, en arrivant dans le monde, Mme la comtesse de Rochefort a pu connaître si tôt et ses usages et les hommes qui l'habitent; tout a l'air en elle de la réminiscence; elle n'apprend point, elle se souvient, et tout ce qui la rend malgré cela si agréable aux autres, c'est que sa jeunesse est toujours à côté de sa raison; elle n'a l'air sensé que par ce qu'elle dit, et jamais par le ton qu'elle y donne; elle juge comme une autre personne de son

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