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parce que tous les sentiments qui sont la séve morale des individus et des nations aussi bien que des castes s'étaient éteints dans celle-ci, parce qu'elle était plus ravagée que toutes les autres parties de la nation par le scepticisme religieux, le dédain du mariage et de la vie de famille et le déréglement des mœurs. La maladie qui a tué l'aristocratie du dix-huitième siècle n'est plus localisée aujourd'hui, elle n'a plus l'intensité que lui donnait autrefois sa concentration, mais elle répand des germes de mort dans toutes les régions de la grande démocratie française. Les parties saines sont encore assez étendues pour nous permettre de repousser, comme nous l'avons fait, les sinistres prédictions des pessimistes; on ne saurait pourtant se dissimuler que le mal est grand, et les médecins dangereux qui prétendent le guérir en l'aggravant, feraient bien mieux de méditer cette pensée d'un des plus illustres et des plus honnêtes réformateurs du dernier siècle. « Il y a longtemps, écrivait Turgot en 1752, que je pense que notre nation a besoin qu'on lui prêche le mariage et le bon mariage. » Le bon mariage pour Turgot était l'inverse de ce que l'on nomme trop souvent ainsi dans le monde, car c'était le mariage contracté en dehors de toute préoccupation de cupidité ou de vanité, fondé avant tout sur les garanties morales de l'affinité des caractères, de la sympathie des cœurs, de la compatibilité des idées et des goûts. Rien de plus banal que la recette de Turgot; il n'en est pas moins

vrai que, si elle était généralement adoptée, elle aurait plus de vertu pour le salut de la société française que toutes les déclamations vides et ambitieuses. dont se nourrissent aujourd'hui tant de rêveurs et qui procurent à plus d'un charlatan les honneurs et les profits de la popularité.

Pendant que nous nous laissons bercer par des phrases sonores sur nos splendeurs présentes ou futures, la statistique s'accorde avec la morale pour signaler en nous une des nations de l'Europe chez lesquelles la population reste le plus stationnaire, une nation où les mariages se raréfient et se stérilisent de plus en plus sous l'influence du fléau des peuples amollis et raffinés, la terreur de la pauvreté : nimium timemus paupertatem, comme disait un contemporain du premier des Césars. Nous ne prétendons certes pas que l'humanité puisse être ramenée au brouet noir des Spartiates et à la vaisselle de bois de Fabricius. Nous sommes loin de contester que le désir de la richesse ne soit légitime et capable de produire des efforts salutaires pour l'individu et pour la société. Mais on nous accordera peut-être que la passion du lucre, surtout quand elle se combine comme chez nous avec un dégoût du travai! qui fait rechercher avant tout le lucre facile, ne suffit pas pour garantir la consistance matérielle et morale d'un peuple, et que, pour assurer la paix entre le petit nombre des riches et la masse des pauvres, il faut entre eux d'autres liens que celui d'une égale horreur de la pauvreté.

On nous accordera peut-être aussi que l'amour du bien-être qui, pris en lui-même, est un puissant ressort, ne laisse pas que de devenir, dès qu'il est exclusif de toute passion plus noble, une grande cause de faiblesse, de servilité et de paralysie, et qu'enfin il y a quelque chose d'éternellement vrai dans cette explication que donne Bossuet de la grandeur romaine aux beaux temps de la République, quand il dit : « La pauvreté n'était pas un mal pour les Romains; au contraire, ils la regardaient comme un moyen de garder leur liberté plus entière, n'y ayant rien de plus libre, ni de plus indépendant, qu'un homme qui sait vivre de peu, et qui, sans rien attendre de la protection ou de la libéralité d'autrui, ne fonde sa subsistance que sur son industrie et sur son travail. »

FIN.

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J'ai de la peine, monsieur, à vous parler durement, mais j'y suis forcée; je ne donne pas une seule fois à souper que vous ne me fassiez rougir.

GÉRASTE.

Ce début n'est pas mauvais.

AMALASONTE.

Votre esprit est une masse que le goût ne saurait pénétrer; l'à-propos, les usages, les bienséances du moment circulent impunément autour de vous. Vous avez pour itinéraire dans le pays changeant du monde une vieille rubrique d'antiquailles les heures de votre bisaïeul.

GÉRASTE.

Il est certain que le monde d'aujourd'hui m'est fort étranger, et dans ma maison plus qu'ailleurs. Cependant, j'ai passé ma vie à Paris; je n'en suis sorti que pour aller à ma terre qui est à dix lieues, j'ai peut-être dix ans de plus que vous, et néanmoins nous n'avons pas l'air d'être du même siècle ni du même pays.

AMALASONTE.

Eh! vraiment, c'est une révolution de dix ans qui distingue les anciens d'avec les modernes, et à dix lieues de Paris on a déjà passé les frontières des Ostrogoths.

GÉRASTE.

Brisons là. Je voulais vous parler d'affaires.

AMALASONTE.

Je sais de quoi il s'agit; mais croyez-moi, monsieur, au inoral comme au physique, il n'y a de bon ou de mauvais absolu que dans l'air; la maison que vous voulez acheter est auprès de l'Hôtel-Dieu, le gendre que vous voulez choisir est de Falaise je ne veux ni de l'un ni de l'autre.

GÉRASTE.

Quels principes et quel langage! Je m'accoutume aussi peu aux uns qu'à l'autre.

AMALASONTE.

Il est vrai que mes principes sont un peu fins pour vous. A l'égard de mes expressions, comme elles sont souverainement adaptées à mes idées, elles devraient être à la portée du bon sens même.

GÉRASTE.

Votre conversation est si élégante, qu'elle est inintelligible.

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