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gny et autres héros sérieux, je ne pense pas qu'il y ait meilleur régime pour se conserver la tête fraîche, quand le cœur est foncièrement hors de mesure, et la fortune assaillie de contradictions, que de rire par intervalles de toutes les naïvetés possibles et des bêtises à l'avenant, et d'en jouir comme devraient faire l'incurie et le repos. »

Conformément à cette doctrine, il adresse des histoires de plus en plus égrillardes à Mme de Rochefort, qui s'en amuse de plus en plus, à en juger par cette lettre répondant à une autre du marquis que la décence ne nous permet guère de publier :

La même au même.

« Paris, 1er octobre 1774.

>> Je ne saurais me plaindre de la paresse de notre amie, mon cher marquis, puisqu'elle m'a procuré une si bonne lettre de vous. Après en avoir bien ri, je m'en fis honneur le soir même que je la reçus à une belle et grande compagnie que j'eus, parce que Mme de Maurepas fit une course à Paris et débarqua chez moi.

>> Le conte du montagnard bernois eut le plus grand succès, car vous comprenez bien que j'ai supprimé les contes de famille 1. Je suis ravie de voir que votre belle-fille vous plaît et qu'elle joint à de bonnes qualités celle de la gaieté qui vous est si nécessaire. Je sens que cela m'inspire du goût

1. Cette histoire du montagnard hernois qu'on lit à Mme de Maurepas est d'un genre beaucoup plus vif encore que l'histoire de Braizonne. A cette anecdote le marquis ajoutait d'autres récits non moins saugrenus racontés à sa fille Mme du Saillant par sa jeune belle-fille, la femme du

pour elle par la satisfaction que j'ai de vous voir quelques consolations. Il me semble que vous en trouveriez aussi auprès de vos amis par le tendre intérêt que vous leur inspirez. et que le courant des choses auquel vous vous trouveriez à Paris porterait dans votre âme patriotique des sentiments plus doux que par le passé.

» D'ailleurs, je persiste toujours, d'après l'expérience, à craindre l'air du Bignon pour vous quand la saison s'avance. Voilà pourquoi je voudrais que vous revinssiez avant les autres. Votre tribu est actuellement si nombreuse, qu'un petit détachement qui viendra à Paris le premier ne lui laissera pas les inconvénients de la solitude. Comme je n'ai pas comme vous le talent de conter et que je me pique d'un peu de conversation, c'est là où je vous renvoie pour vous tenir compte de vos bonnes lettres. Je veux me flatter que ce n'est pas vous renvoyer bien loin. Toute la société vous dit mille choses tendres et surtout M. de Nivernois. Pour moi, mon cher marquis, vous savez comme je vous aime.

On remarquera que si, dans les deux lettres qui précédent, Mme de Rochefort accorde à des gaillardises plus ou moins incongrues une dose de sympathie qui peut nous paraître exagérée, elle garde encore la plus forte part de son attention pour les affaires publiques, et qu'en définitive l'entrée de M. Turgot au ministère l'intéresse beaucoup plus vivement que l'histoire de Braizonne ou du montagnard bernois, La dernière lettre d'elle qui figure dans le recueil que nous avons sous les yeux et qui est datée du 18 octobre 1774 écarte les

futur orateur; elle était alors au Bignon tandis que son mari était au château d'If, et c'est son mari même qu'elle met en scène dans des tableaux d'intimité conjugale que Mme de Rochefort juge, avec grande raison, impropres à faire l'objet d'une lecture de société.

gaudrioles du marquis de Mirabeau et insiste plus que jamais sur son retour à Paris en vue des circonstances qui se préparent. « Le séjour de Paris, lui écrit-elle, sera très-intéressant pour un bon patriote comme vous, car on nous annonce de grands événements pour le retour de Fontainebleau. »

IX

LES SOIRÉES DU LUXEMBOURG.

LE SECOND MARIAGE

ET LA MORT DE Mme DE ROCHEFORT.

Nous chercherons maintenant, à l'aide de cette correspondance et de quelques autres documents, à nous faire une idée exacte de l'ensemble des relations de Mme de Rochefort et de la physionomie de son salon. On a vu Walpole nous présenter ce salon comme un petit cercle d'admirateurs à la dévotion du duc de Nivernois. Il était cela à de certains jours, lorsqu'il s'agissait, par exemple, de lire en petit comité quelque nouvelle production du grand seigneur fabuliste. On réunissait alors ce que Mme de Rochefort appelle la petite société intime où figuraient, avec le marquis de Mirabeau, admirateur peu désintéressé mais très-expansif, d'autres amis plus ou moins protégés par le duc de Nivernois. C'est ainsi qu'un autre contemporain de

LA COMTESSE DE ROCHEFORT ET SES AMIS 217

Mm de Rochefort, dont le ton de mauvaise humeur trahit peut-être le dépit de n'être pas de sa société,

peint son salon en forçant encore le caractère étroit et exclusif que Walpole semble parfois lui attribuer. Nous voulons parler d'un abbé économiste, disciple du marquis de Mirabeau, et qui est mort fou, l'abbé Baudeau, duquel on a publié dans la Revue rétrospective un journal où se trouve la note suivante, à la date du 7 juin 1774:

<< On parle plus que jamais du Muy (pour la guerre) et du Vergennes (pour les affaires étrangères). Si le Nivernois avait voulu cette place, il l'aurait; et, si Mme de Rochefort, bégueule spirituelle, mais apathique, ne l'en avait pas détourné, il aurait accepté. Mais cette femme est bien aise de l'avoir le soir au Luxembourg à tenir un cercle de rébus et de nouvelles, prési lé par un prestolet d'abbé de Luzine, ci-devant précepteur du duc de Bourbon. >

Il est probable en effet qu'à cette date, au moment où son beau-frère Maurepas devenait le principal ministre, si le duc de Nivernois eût voulu entrer au ministère, cela lui eût été possible; mais, s'il est vrai que Mme de Rochefort l'en ait détourné, ce ne fut pas assurément par une égoïste indifférence pour les affaires publiques ou une futile préoccupation des agréments de son salon. Ses lettres de cette même. année 1774 que nous venons de publier attestent qu'elle n'était rien moins qu'indifférente aux grandes questions qui s'agitaient alors. Quelle femme d'ailleurs préoccupée de son salon resterait insensible à l'idée

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