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En 1742, Mme du Deffand se console aisément d'être séparée de son patito; elle trouve même qu'il a « l'absence délicieuse, » parce qu'il est un correspondant zélé qui lui donne des nouvelles de ses amis. A propos d'un accès de fièvre dont souffre Mme de Rochefort, elle écrit au président : « Je suis très-inquiète de Mme de Rochefort, je serais réellement au désespoir, s'il lui arrivait le moindre mal. Donnez-moi de ses nouvelles, et voyez-la le plus que vous pourrez. Vingt-cinq ans plus tard, en mars 1767, elle écrivait à Horace Walpole « J'ai aimé deux femmes passionnément. L'une est morte, c'était Mme de Flamarens; l'autre est vivante et a été infidèle, c'est Mme de Rochefort. Comme l'intimité de Mme du Deffand et de Mme de Rochefort pourrait, aux yeux de quelques lecteurs, être une mauvaise note pour la dernière, nous fero ns remarquer que le scepticisme moral de la célèbre correspondante de Walpole et les souvenirs attachés à sa jeunesse très-légère ne l'ont pas empêchée d'être intimement liée avec des femmes d'une rectitude morale généralement reconnue, comme Mme de Flamarens, dont elle parle ici, et plus tard avec la duchesse de Choiseul. Reste à se demander en quoi consiste ce grief d'infidé

cile; puis il se mit à faire le panégyrique de Mme de Castelmoron, et toujours en comparant ses excellentes qualités aux vices de Mme du Deffand. Ce radotage dura une demi-heure en présence de tout le monde, sans qu'il fût possible à Mme du Deffand de faire taire son panégyriste ou de le faire changer de conversation. Ce fut le chant du cygne; il mourut sans savoir à qui il avait adressé un parallèle si véridique. » (Grimm, Correspondance littéraire, 2o partie, t. Ier, p. 353.)

lité qu'elle prétend avoir contre Mme de Rochefort et qu'elle communique à un homme qui, nous l'avons vu, fait beaucoup de cas de celle-ci. On trouve sur ce point quelques indices dans une lettre qui fait partie du recueil publié pour la première fois en 1809, et qui, quoique non datée, est écrite après la mort de Mme de Staal et avant celle de la duchesse du Maine, par conséquent en 1751 ou 1752. Il semble, d'après cette lettre, que c'est vers cette époque que la liaison de Mme du Deffand et de Mme de Rochefort a pris fin, qu'il y a eu entre ces dames des piqûres d'amour-propre plutôt que des offenses graves, et que cependant c'est Mme du Deffand qui a fait une tentative de rapprochement à laquelle Mme de Rochefort ne s'est pas prêtée. La lettre est adressée à Mme du Deffand par ce spirituel Formont, qui fut l'ami de Voltaire. Les personnes dont il s'agit ne sont désignées que par des initiales, mais ces initiales ne peuvent, à notre avis, s'appliquer qu'aux Brancas et à Mme de Rochefort. Il va sans dire aussi que M. de Formont, écrivant à Mme du Deffand, prend parti pour elle.

« Vous vous établissez donc à Sceaux, madame, avec d'Alembert? Je suis faché que Mme de Staal n'y puisse être en tiers vous trois en vaudriez bien d'autres, vos conversations n'auraient sûrement pas le tour de celles des Br... (Brancas). Vons avez grande raison dans le jugement que vous en portez, ils sont toujours occupés à être fins, et les choses les plus rondes, ils les rendent pointues par les paroles, ce qui, comme vous dites, et de très-mauvais goût et, de plus, fort aisé. C'est le tour d'esprit du temps, et sur

tout de leur petite académie, où l'on regarde le siècle passé comme n'étant qu'à l'enfance de l'esprit. Mme de R... (Rochefort) redeviendrait aimable entre vos mains, parce que la nature l'a faite pour l'être, et qu'elle est assez bien née pour suivre de bons guides; mais elle n'a pas d'elle-même assez de lumières pour reconnaître le mauvais. Je conçois que vous vous êtes laissée aller au premier mouvement, mais je ne comprends pas comme elle y a résisté. Il faut que ceci soit la suite de quelque grand système de conduite, car ce sont encore de grands philosophes en fait de conduite, comme il y a assez paru. Quoi qu'il en soit, il faut attendre et très-tranquillement. »>

La rupture entre Mme de Rochefort et Mme du Deffand, déjà indiquée dans cette lettre, ressort plus visiblement encore d'une lettre de d'Alembert écrite en 1753; mais, quelles que soient les causes et la date de cette rupture, il est certain qu'en juillet 1742 Mme du Deffand manifeste beaucoup d'amitié pour Mme de Rochefort, qu'elle appelle, sans doute à cause de la différence de leur âge, du sobriquet de petit chat ou minet, et, comme elle est éloignée de son amie, le président l'informe de tout ce qui concerne celle-ci. Parmi les détails qu'il donne sur elle, il en est un auquel il faut s'arrêter d'abord, car il semblerait indiquer que le cœur de la jeune veuve du comte de Rochefort serait à cette époque engagé dans un attachement qui n'a pas pour objet celui qu'elle épousera quarante ans plus tard, quoique le duc de Nivernois fasse déjà partie de sa société habituelle (1). La pre

(1) Il est absent de Paris à cette date, mais on parle assez souvent de lui dans la correspondance de 1742, et nous voyons dans nos docu

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mière lettre du président Hénault à Mme du Deffand, datée du 2 juillet 1742, contient les passages suivants :

« Nous partîmes pour Meudon, d'Ussé et moi, sur les six heures... Nous trouvâmes en arrivant cour plénière: Mme de Maurepas, Mme de la Vallière, Mme de Brancas, Céreste (frère du maréchal de Brancas), l'abbé de Sade, la Boissière, l'évêque de Saint-Brieuc, l'intendant de Rennes, M. de Menou, etc.; mais tout cela ne resta pas, et les quatre derniers s'en allèrent... Les dames arrivèrent de la promenade... Je m'approchai de Mme de Rochefort, à qui je fis de grands reproches de ne m'avoir rien fait dire par vous grandes amitiés de sa part, et puis ensuite grandes confidences. Je lui dis que d'Ussé commençait à prendre quelque ombrage de l'abbé de Sade. Je demandai où en était l'italien il ne me parut pas que le précepteur ni la langue eussent fait de grands progrès. L'abbé relaye un peu le chevalier, et, excepté qu'il n'a point d'habit d'ordonnance, cela est assez de même ton. »

:

Cette dernière phrase signifie que le chevalier relayé ou suppléé par l'abbé de Sade est le chevalier de Brancas, alors colonel de cavalerie, second frère de Mme de Rochefort, qui lui donne des leçons d'italien 1.

ments particuliers que, dès 1738, il jouait avec Mme de Rochefort dans les comédies représentées à l'hôtel de Brancas. En 1742, on pourrait croire qu'il est, pour employer un mot du temps, embarqué avec Mme de la Vallière, car Mme du Deffand écrit en parlant d'elle, à la date du 20 juillet 1742, cette phrase: « Le Nivernois ne la hait pas, et je crois qu'il n'en aime pas d'autres. »

1. Quant à l'assertion du président que l'italien ne fait pas de progrès, elle est confirmée, non-seulement par le témoignage déjà cité de M. de Nivernois, mais aussi par une lettre de Mlle Pitt, grande amie de Mme de Rochefort dans la dernière moitié de sa vie, et qui constate que celle-ci ne comprenait pas l'italien.

La situation indiquée dans la lettre du 2 juillet est dessinée plus nettement dans celle du 14, où le président annonce qu'après avoir soupé de nouveau au château de Meudon, il a eu une longue conversation avec Mme de Rochefort.

<< Nous avons raisonné, dit-il, de toutes ses affaires, des terreurs de d'Ussé, de leurs fondements. J'ai fait de la morale très-sévère, et d'elle-même elle m'a dit qu'elle avait eu tort de laisser trop durer une fantaisie, et de ne l'avoir pas dit d'abord à la personne intéressée. On ne peut être plus vraie qu'elle l'est, ni plus candide. J'ai parlé sur cela comme Ruyter aurait parlé d'une aventure arrivée sur la rivière de Seine en se souvenant de ses combats sur mer, car ce n'est, à dire vrai qu'une aventure d'eau douce, et il n'y a pas de matière à douter. J'ai parlé aussi des langues étrangères (c'est-à-dire de l'abbé de Sade): on m'a dit de bout en bout tout ce qui en était. Pour de celui-là (l'abbé de Sade), le grand chat (le frère aîné, M. de Forcalquier) s'en est avisé, tant il est fin. C'est une ressource très-grande à la campagne: on s'en amuse, on s'en moque, et, comme je crois vous l'avoir mandé, il est le chevalier de votre minet 1. >>

De ces lettres du président Hénault, il résulterait que Mme de Rochefort aurait été en juillet 1742 engagée de cœur avec le marquis d'Ussé, que celui-ci s'inquiétait des assiduités de l'abbé de Sade, trèssuspect de galanterie, et qui, sous prétexte d'apprendre l'italien à la jeune dame, aurait manifesté pour elle des sentiments qu'elle se reproche d'avoir un peu encouragės; le frère de la dame, M. de Forcal

1. C'est-à-dire il remplace le chevalier de Brancas dans ses fonctions de maître d'italien.

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