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Mme de Pailly à la comtesse de Rochefort.

«< Du Bignon, 12 juillet 1763.

>> Trouvez bon, madame la comtesse, que je commence par vous embrasser de toute mon âme. C'est la meilleure manière que je connaisse pour vous exprimer les sentiments dont je suis remplie, et pour vous remercier de votre bonne lettre du 4. Les gens du Limousin1 nous portent toute sorte de guignon. Pour avoir leurs lettres dont nous ne nous soucions guère, et qui nous soucient pourtant beaucoup, on a arrangé les courriers de façon que nous n'avons de nouvelles de Paris qu'une fois la semaine. Jugez, si vous n'aviez pas eu la bonté de me faire profiter de votre moment de loisir pour me donner des vôtres, où j'en serais? Notre ami en a eu de l'excellence même (du duc de Nivernois), qui nous font juger que vous êtes restée tranquille à Saint-Maur. L'idée que vous reviendriez si brusquement à Paris me faisait déjà griller les pieds.

» Vous, avez vu par la demi-feuille de la grande épître qui vous a été adressée la belle attente où nous sommes. Nous ne saurons que demain si cette ambassadrice d'extravagance est arrivée 2. Après avoir bien ruminé, nous croyons qu'elle ne vient à Paris que pour y être malade et demander que sa fille vienne la soigner. En attendant, les bons conseils seront suivis. Mais, si la dame devenait assez pressante pour déterminer son gendre à l'aller joindre à Paris, il irait seul et nous resterions tous ici pour garder notre maman qui se porte à merveille 3. Elle m'a chargée de vous remercier de votre

1. C'est-à-dire la marquise de Mirabeau et sa mère.

2. Pour expliquer ce passage, il faut dire que le marquis de Mirabeau vient d'apprendre au Bignon que sa belle-mère la marquise do Vassan arrive en personne à Paris pour plaider la cause de sa fille auprès des ministros, contradictoirement avec son gendre.

3. On doit noter l'aplomb avec lequel Mme de Pailly parle à Mie de Rochefort de notre maman, c'est-à-dire de la mère de son ami, absolument comme si elle était la femme légitime de celui-ci.

souvenir et de vous dire tout ce qu'elle sent bien véritablement pour vous, ainsi que la petite comtesse (la belle-sœur du marquis de Mirabeau), qui vous présente ses respects. Elle est du plus aimable caractère du monde. Nous vivons tous ici comme des enfants bien gais, bien unis et bien gâtés. Je laisse au gros Merlou le soin de vous rendre compte de nos travaux et de nos joies champêtres. Il prétend qu'il est importuné de ce qu'il ne peut pas même entrer dans la chambre de sa mère sans y entendre rire comme des fous. Il n'est pourtant pas celui à qui ce régime-là soit le moins nécessaire. Ce n'est que les jours de courrier que nous raisonnons. Vous nous en avez donné une ample matière au sujet de notre pauvre ami Gatti. Est-on bien sûr que c'est la petite vérole qui est venue à cette petite fille? Tous ceux qui sont à portée d'en juger sont bien suspects. Il y a tant de maladies de peau qui peuvent donner occasion à de faux jugements. Je voudrais bien que le docteur eut été assez libre quand il a reçu la terrible lettre de Mme de Roncherolles pour avoir pu prendre la poste dans l'instant et être venu juger lui-même d'un événement qui sera d'une si grande conséquence pour sa réputation, surtout dans la circonstance présente. S'il est abandonné aux discours des médecins comptez qu'il ne passera plus que pour un aventurier et un charlatan. Cette idée le poursuivra partout et le rendra très-malheureux. Voilà ce qui me touche le plus. Le pauvre garçon, si honnête pour les autres, ne recevra que des avanies du public et sera hors de portée de jouir de ses amis qui le dédommageraient du moins. Je n'ai aucune nouvelle de lui. Vous savez qu'il n'écrit point, même aux gens qu'il aime le mieux. Vous serez plutôt instruite que nous de tout ce qui le concerne. Ayez la bonté de continuer à nous en faire part. Malgré son discrédit actuel, ma foi en lui est toujours entière, et, quand je ne lui devrais que le bien qu'il m'a fait en vous, c'en serait assez pour que je lui fusse dévouée éternellement. Il est de toute vérité que les plus grands bienfaits qu'on puisse me procurer sont le contentement des amis de mon cœur. »

On vient de lire, dans cette lettre à propos de l'arrivée de Mme de Vassan à Paris, ces mots : « Les bons conseils seront suivis. » Ces conseils sont ceux du duc de Nivernois, auquel le marquis de Mirabeau a demandé des instructions en lui annonçant l'arrivée de sa bellemère; on ne sera peut-être pas faché, de voir l'ambassadeur qui vient de négocier la paix de 1763, intervenir dans les démélés de l'Ami des hommes avec sa femme et sa belle-mère, et lui prescrire l'attitude diplomatique qu'il convient de garder avec cette dernière.

Le duc de Nivernois au marquis de Mirabeau.

<< Paris, 4 juillet 1763.

» Mon cher ami, j'ai reçu hier en revenant de Versailles votre lettre du 30, dont je vous remercie bien tendrement. Elle est charmante jusqu'aux six dernières lignes; mais ces six-là en gâteraient six mille autres. Je me hâte de vous donner mon avis pour le cas de l'arrivée de cette dame. Je ne crois pas que vous deviez venir à Paris d'abord; il faut attendre et voir venir comme au quadrille, apprendre par elle son arrivée, être retenu chez vous par des affaires ou par la santé de madame votre mère, et écrire à cette dame une lettre bien polie. Voilà quant à la conduite directe vis-à-vis d'elle, et, quant à la conduite à l'occasion d'elle et de ce qu'elle pourra faire et dire, voici ce que je pense. Je voudrais que vous écrivissiez au ministre 1, à Compiègne, que vous lui fissiez le détail de ce qui se passe, que vous le prévinssiez de l'arrivée de la dame, et que vous le prémunissiez d'avance contre ce qui pourra lui être dit et demandé et raconté et représenté de ce côté là. Voilà, mon cher ami, ce que j'imagine que vous pouvez faire qui vous commettra le moins et

1. M. de Saint-Florentin, très-lié avec le duc de Nivernois.

qui vous assurera le plus. Au reste, c'est mon avis tout seul que je vous donne. Notre amie, Mme Merlou est à SaintMaur et je n'y vais que ce soir, encore n'en suis-je pas bien sûr, car Mme de Watteville est malade. J'espère pourtant que j'irai ce soir à Saint-Maur, mais je n'ai pas voulu différer à vous faire réponse, parce qu'en pareille circonstance un jour peut être précieux.

>> Adieu, mon cher ami, je ne réponds point à toutes les choses charmantes dont votre lettre est pleine. Mettez-moi aux pieds de votre hôtesse plus charmante encore1; comptez que nous buvons tout notre lait, notre chocolat et notre vin à vos santés, et assurez-vous que je vous aime, mon tendre ami, comme vous le méritez, c'est-à-dire avec toute la tendresse de mon cœur. »

La situation déjà expliquée restant la même, nous pouvons revenir aux lettres des deux dames qui s'intéressent avec plus de vivacité encore que le duc de Nivernois aux tribulations du marquis de Mirabeau.

Mme de Pailly à la comtesse de Rochefort.

« Du Bignon, 14 juillet 1763.

» Le gros Merlou est dans son cabinet, madame la comtesse, qui écrit à Saint-Maur, à ce qu'il dit, et il prétend en avoir le privilége exclusif les jeudis. Je ne peux pas m'y soumettre. Vos lettres me causent toujours une émotion si douce, une sorte d'inquiétude, ou plutôt de désir si vif de vous aller chercher, qu'en vous écrivant, je me satisfais au moins un peu. Non que je veuille vous entretenir de mes sentiments, je me flatte que ce soin serait superflu; mais il faut bien que je vous dise combien je suis touchée de cette continuité de bonté avec laquelle vous vous occupez sans cesse de mes intérêts. Vous savez bien qui je sous-entends avec

1. Toujours Mme de Pailly.

vous dans mes effusions de la plus vive et de la plus tendre reconnaissance, il n'est pas besoin de le nommer, on ferait une belle énigme des qualités morales dont son nom serait le mot, comme son nom serait le texte d'un beau traité sur les vertus. (Après avoir parlé ici assez longuement de la santé du duc de Nivernois, Mme de Pailly passe au marquis de Mirabeau en disant...) Mais qui est-ce qui est assez heureux pour pouvoir tourner sa vie d'une manière qui lui convienne en tout point? ce n'est pas notre ami Merlou, au moins. Malgré toute la volonté qu'il y met, il ne peut pas se défendre d'être atteint par les peines dont on l'accable 1; il a beau les repousser, l'impression se fait toujours, et le mal demeure. Il étouffe depuis deux jours et les lettres d'hier au soir n'ont pas dégagé sa respiration. S'il était livré à luimême, il y a longtemps que sa malheureuse famille l'aurait perdu. Vous verrez par sa lettre où il en est. Je trouverais bien heureux, s'il était obligé d'aller à Paris, que son voyage se combine avec le vôtre. Pour votre tendre amie, madame la comtesse, vous savez bien de quel côté son affection la porterait. Sa conduite sera matière à conseil quand le temps sera venu. Mon fils aîné 2 se porte à merveille ici, il s'y plaît beaucoup et il y est très-aimable. Ce que vous me dites de mon jeune amant m'a tranquillisée. J'avais un peu d'in

1. C'est-à-dire par les menaces de procès que lui fait sa femme. 2. Mme de Pailly n'a point d'enfants; c'est tout simplement son père qu'elle appelle son fils aîné, parce qu'elle le gouverne, et c'est de lui que Mme de Rochefort demandait des nouvelles dans sa lettre du 4 juillet en l'appelant << votre vieux enfant ».

3. Le jeune amant, c'est le président Hénault, alors âgé de soixantedix-huit ans, et dont la passion déclarée pour Mme de Pailly est un texte inépuisable de plaisanteries entre elle et madame de Rochefort. Voici le passage qui le concerne, et auquel répond Mme de Pailly. « Nous avons eu hier, lui avait écrit madame de Rochefort, votre jeune amant; j'ai été ravie de le trouver un peu moins assoupi; aussi l'avons-nous bien diverti. Nous avions les Montazet, et nous lui avons donné grande musique. Vous croyez bien qu'il n'a pas négligé la sienne, dont il donnait en héros d'une manière si comique, qu'il nous a fait mourir de

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