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riche et plus considérable que l'autre. L'amiral étant mort non marié, son frère, George de Brancas obtint en 1652 l'érection de la terre de Villars en duché-pairie. C'est à cette branche cadette qu'appartenait le comte de Brancas, célèbre par ses distractions, et qui a servi de modèle au Ménalque de La Bruyère. Suivant SaintSimon, ce Brancas, qui était le neveu du premier duc de Villars, avait été fort lié avec Mme Scarron, qui s'en souvint toute sa vie. Le neveu de celui-là, troisième duc de Brancas-Villars, ne fut célèbre que par son cynisme spirituel et désordonné. Il fut un de ces compagnons de débauche du régent connus sous le nom de roués. Quant au père de Mme de Rochefort, Louis de Brancas, des comtes de Forcalquier, marquis de Céreste, chef de la branche aînée, il naquit le 19 janvier 1672, et mourut en 1750 lieutenant général de Provence, commandant en chef de la province de Bretagne, grand d'Espagne et maréchal de France. SaintSimon nous a laissé de lui un portrait assez intéressant pour être reproduit.

« Jamais, dit-il, le marquis de Brancas ne négligea aucun des chemins qui pouvaient le conduire à la fortune. Mme de Maintenon fut sa protectrice; il fut très-bien avec M. et Mme du Maine, qu'il cultiva dans tous les temps, et sut n'en être pas moins bien avec M. le duc d'Orléans. Il parvint à manger

1. La pointe de bizarrerie plus ou moins déréglée particulière à cette branche des Brancas s'est perpétuée et reproduite avec éclat à lafin du dix-huitième siècle dans la personne du comte de Lauraguais, l'excentrique amant de Sophie Arnould, mort sous la Restauration duc de Brancas.

également au ratelier de la guerre et à celui de la cour, et les faire servir réciproquement l'un à l'autre. Aussi avait-il de l'esprit, encore plus d'art, d'adresse et de manége, avec une ambition insatiable qui ne lui a jamais laissé de repos.

» C'était un grand homme, fort bien fait,d'une figure avenante avec des manières polies, aisées, entrantes, qui ne faisait jamais rien sans dessein, et qui, aîné de quinze ou seize frères ou sœurs, avec 7, ou 8,000 livres de rente entre eux tous, devenu conseiller d'État d'épée, chevalier du Saint-Esprit et de la Toison, lieutenant général de Provence, gouverneur de Nantes et tenant les états de la Bretagne, grand d'Espagne et maréchal de France, avec un grand mariage pour son fils, l'archevêché d'Aix et l'évêché de Lisieux pour ses frères, se mourait de douleur de n'être pas ministre d'État, duc et pair et gouverneur de monseigneur le dauphin.

>> J'en parle comme d'un homme mort par les apoplexies dont il est accablé 1, qui apparemment ne le laisseront pas vivre longtemps. Il a la main droite toujours gantée, même en mangeant; les doigts en paraissent vides, il n'y a qu'un mouvement léger du pouce : homme vivant ne l'a jamais vue. A la grosseur du dedans, et à tout ce qu'on en voit, il paraît que c'est une patte de crabe ou de homard. Ses façons et sa conversation étaient agréables, et il était fort instruit de tout ce qui se passait au dedans et au dehors. Dévot et constitutionnaire jusqu'au fanatisme, et du petit troupeau de Fénelon qui n'empêche pas l'ambition à pas un des disciples de cette école. >>

Le maréchal de Brancas, marié à une Brancas-Villars sa cousine, avait une famille assez nombreuse, trois fils et quatre filles. Marie-Thérèse, qui était le sixième de ses sept enfants, naquit à Paris le 2 avril 1716.

1. Ce portrait a dû être écrit par Saint-Simon dans les dernières années de la vie du maréchal de Brancas entre 1748 et 1750. Ajoutons que, dans un autre passage de ses Mémoires, il parle du courage et des talents militaires du maréchal.

Elle fut élevée au couvent comme l'étaient alors toutes les jeunes filles de son rang. Quoiqu'elle ait composé, dans sa vieillesse, un sermon en trois points avec des citations latines, l'épithète de savante, que lui donne Walpole, n'est pas rigoureusement exacte; elle n'est méritée que par l'aptitude de son esprit à traiter avec la même facilité les questions les plus sérieuses et les sujets les plus frivoles. Le duc de Nivernois, qui lui avait fourni les citations de ce sermon, nous apprend que non-seulement elle ne savait pas le latin, mais, ce qui était plus rare, qu'elle ne connaissait aucune autre langue que la sienne, et il ajoute savait la sienne que par l'usage ou par instinct. verra pourtant qu'elle la savait très-bien.

Elle ne

On

A l'âge de vingt ans, Mlle de Brancas fut mariée, le 13 février 1736, à Jean-Anne-Vincent de Larlan de Kercadio, comte de Rochefort, que nos documents indiquent comme étant né le 2 novembre 1717, et qui par conséquent aurait eu un an et demi de moins que sa femme. C'était le fils d'un président à mortier du parlement de Bretagne. Avant son mariage, il est qualifié cornette des chevau-légers, et, après son mariage, mousquetaire de la première compagnie. Saint-Simon nous parle du président de Rochefort, son père, comme d'un des principaux moteurs de la résistance du parlement de Bretagne aux opérations de Law. Mandé à Paris par lettre de cachet, puis exilé à Auch, et finalement compromis plus ou moins dans la conspiration de Cellamare, il reçut ordre en

1720 de vendre sa charge. Ces Larlan de Kercadio ne paraissent appartenir ni aux anciens Rochefort-Rieux de Bretagne, ni aux Rohan-Rochefort ni à la famille du maréchal de ce nom sous Louis XIV, car il s'appelait d'Aloigny. Du reste, ce nom de Rochefort se rencontre au dix-buitième siècle porté par un assez grand nombre de personnes plus ou moins distinguées, originaires de provinces très-diverses et qui n'ont entre elles aucun lien de parenté. Il ne faut donc pas confondre la comtesse de Rochefort-Brancas, dont il s'agit ici, avec cette comtesse de Rochefort dont il est souvent question dans la correspondance de Voltaire, qui était liée avec d'Alembert, et que le patriarche de Ferney appelle en 1770 Mme dix-neuf ans. Notre comtesse de Rochefort était de beaucoup l'aînée de celle-là.

Est-ce par inclination que Mlle de Brancas épousa ce gentilhomme breton âgé de dix-huit ans et demi? Cela paraît fort douteux, car, dans les lettres assez nombreuses que nous avons d'elle, et qui appartiennent, il est vrai, à la dernière moitié de sa vie, il n'y a pas le plus léger souvenir de son mari. Était-ce un mariage d'intérêt que le marquis de Brancas, commandant de la province de Bretagne, mais plus riche de ses places que de sa fortune personnelle, avait arrangé pour sa fille? S'il en est ainsi, ce calcul ne réussit guère, puisque Mme de Rochefort, restée bientôt veuve et sans enfants, fut un instant assez pauvre pour que le marquis de Mirabeau lui écrive bien longtemps après, en 1764, faisant allusion à une période de sa

jeunesse « Je vous ai ouï dire qu'un jour ou qu'une année où vous n'aviez que deux mille livres de rente, vous riiez ni plus ni moins. » Nous n'avons pas pu déterminer au juste à quelle date Mme de Rochefort perdit son mari. L'énorme journal de cour que l'on vient de publier en dix-sept volumes sous le titre de Mémoires du duc de Luynes, ce journal qui continue Dangeau pour le règne de Louis XV, nous apprend que le jeune comte de Rochefort existait encore deux ans et demi après sonmariage, en octobre 1738, car il y est question de lui à l'occasion d'un fait qui met en relief la bonne grâce de sa femme.

Mme de Rochefort, remplaçant sa mère malade, avait accompagné et même devancé son père, qui se rendait à Rennes pour présider l'assemblée des états de Bretagne comme commandant de la province. Les dames de Rennes ne voulurent pas accorder à la fille du commandant l'honneur de la première visite, qui, suivant elles, n'était dû qu'à sa femme, « d'autant, dit le duc de Luynes, que le mari de Mme de Rochefort est Breton, et qu'en qualité de membre des états il ne lui est point dû d'honneurs ». Pour éviter l'embarras d'un conflit, elles partirent toutes pour la campagne; mais Mme de Rochefort, au lieu de se fâcher, prit sur elle, en l'absence de son père, de passer à la porte de toutes ces dames. Cette attention de sa part, dit le duc de Luynes, réussit au mieux; toutes revinrent chez elles avec empressement. On envoya même à Mme de Rochefort une députation du parlement en consé

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