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lière, d'après un procédé un peu barbare, que je n'ai point vu employé antérieurement, mais qui, chose singulière, semble avoir été adopté plus tard par certains enlumineurs français et flamands de second ordre à l'époque de la décadence. Ce sont des enroulements faits d'un seul trait au pinceau ou à la plume et sans lever la main. Il y a plusieurs produits de cet art breton dans les vitrines de la rue Vivienne (1). Le portrait de Pierre d'Aubusson, grand maître de l'ordre de SaintJean de Jérusalem, recevant des mains de l'auteur, Guillaume Caoursin, la Relation du siège de Rhodes, n'est point non plus l'œuvre d'un grand artiste, mais il est curieux et les physionomies des personnages figurés dans cette scène ne sont pas banales (2). C'est, en revanche, une jolie peinture qui, sur le frontispice du Défenseur de la Conception immaculée, représente Jeanne de France, femme de Jean II, duc de Bourbon (3).

Du roi Charles VIII, l'Exposition nous montre plusieurs portraits, mais de valeur très inégale. J'en citerai deux seulement. Le premier se trouve à l'intérieur de la couverture d'un volume d'Oraisons, dans laquelle on a ménagé une coulisse pour recouvrir la peinture le portrait de Charles VIII est sur le premier plat, celui d'Anne de Bretagne sur le second (4). Ce sont des œuvres du plus grand intérêt et qui nous offrent un exemple très curieux des « tableaux ouvrans

(1) Notamment une Bible historiale, copiée à Châteaubriant en 1417, Bibl. nat., ms. fr. 163 (Cat. des P. F., 2 partie, no 105), et le Livre d'Heures du Père de La Chaise, Bibl. de l'Arsenal, ms. 616 (Cat. des P. F., 2 partie, no 237).

(2) Bibl. nat., ms. lat. 6067 (Cat. des P. F., 2° partie, no 155).

(3) Bibl. nat., ms. fr. 989 (Cat. des P. F., 2o partie, no 159).

(4) Bibl. nat., ms. lat. 1190 (Cat. des P. F., 2e partie, no 170). C'est à M. Henri Bouchot que revient l'honneur d'avoir découvert ces deux portraits voir Gazette archéologique, année 1888.

et fermans fort en vogue pendant tout le moyen àge: il paraît évident que ces portraits ont été placés à l'intérieur des deux ais d'une reliure par imitation des <<< tableaux cloans ». On n'a pas lieu de s'étonner de voir si généralement adoptée cette disposition pour les tableaux : les œuvres de nos anciens peintres n'étaient point toutes destinées à être pendues au chevet du lit, encore moins à être accrochées à poste fixe dans un musée; le prince qui les possédait les emportait généralement avec lui dans ses continuelles pérégrinations à travers le royaume. Cet ingénieux arrangement était à coup sûr celui qui devait les protéger le plus efficacement. On les traitait exactement comme les grandes miniatures des livres, on les couvrait de deux ais qui se dépliaient et se fermaient comme les plats d'une reliure. Il est à remarquer, du reste, que les tableaux ainsi disposés, ceux principalement qui contenaient des portraits, étaient aussi appelés des « livrets » et non pas, comme nous disons aujourd'hui, des diptyques, triptyques ou polyptyques. Enfin, ces « tableaux cloans », nommés encore quelquefois « tablettes historiée », sont construits sur le même plan que les tables ou tablettes à écrire, dont l'usage ne s'est, pour ainsi dire, jamais perdu.

L'autre portrait de Charles VIII est exécuté d'après la méthode ordinaire. Il figure en tête d'une copie des Statuts de l'Ordre de Saint-Michel exécutée vers 1494 (1). M. le comte Paul Durrieu a reconnu dans les personnages de cette peinture: en avant Charles VIII, derrière lui Pierre de Beaujeu, puis, tout à fait en arrière, probablement Étienne de Veres, membre des conseils du roi et son homme de confiance (2). La physionomie de Pierre II,

(1) Bibl. nat., ms. fr. 14363 (Cat. des P. F., 2o partie, no 175). (2) Voir: Le Manuscrit, t. I, p. 19, et la Revue de l'art ancien et moderne, t. XV, p. 177.

duc de Bourbon et sire de Beaujeu, nous est familière, et l'on ne saurait douter que c'est bien là son portrait : il suffit de le comparer avec ceux qu'on voit dans le célèbre triptyque de Moulins (1) et sur les deux volets du Musée du Louvre (2). Dans ces deux dernières œuvres, Pierre de Beaujeu est accompagné de sa femme, Anne de France, fille aînée de Louis XI.

Le portrait d'Anne de Bretagne qu'on admire en tête de son livre d'Heures (3) est trop connu et a été trop souvent décrit, publié et étudié pour qu'on s'y arrête une fois encore. Attribuée naguère, et pendant nombre d'années, au peintre Jean Poyet, cette œuvre remarquable a été, grâce à la découverte d'un fragment de comptes de la reine Anne (4), définitivement restituée à son véritable auteur Jean Bourdichon; il y a lieu d'espérer qu'une nouvelle trouvaille ne viendra pas déposséder le grand artiste de la glorieuse auréole qui entoure aujourd'hui son nom. C'est encore à Jean Bourdichon qu'a été hypothétiquement attribué le délicieux portrait du petit Charles Orlant, fils de Louis XII et d'Anne de Bretagne (5).

A l'époque où nous sommes arrivés, fin du XVe siècle. ou commencement du XVIe, les enlumineurs de talent sont presque tous devenus des peintres, comme j'ai eu l'occasion de le constater, et c'est en peintres qu'ils décorent les manuscrits. Bientôt aussi apparaîtront ces merveilleux portraits au crayon, qui vont être la plus

(1) Cathédrale de Moulins (Cat. des P. F., 1r partie, no 112).

(2) Cat. des P. F., 1r partie, nos 104 et 105.

(3) Bibl. nat., ms. lat. 9474 (Cat. des P. F., 2° partie, no 178).

(4) L'honneur de cette découverte revient à M. André Steyert. Voir Nouvelles archives de l'art français, 2o série, t. II (1880-1881), p. 1-11.

(5) Ce tableau appartient à M. Ayr, de Londres (Cat. des P. F., 1" partie, no 110).

haute expression artistique du siècle des Valois-Angoulême. Il n'entre pas évidemment dans le plan de cette étude de parler des admirables productions de cet art nouveau; mais la tradition ne fut point si brusquement interrompue qu'il ne restàt des artistes fidèles aux anciennes méthodes. J'ai donc encore à signaler quelques portraits qui sont bien des œuvres de miniaturistes.

Un volume, exécuté à Rouen en 1503, une traduction d'un ouvrage de Pétrarque, contient un bon portrait de Louis XII, accompagné du cardinal d'Amboise, d'Anne de Bretagne et de la jeune princesse Claude, plus tard femme de François 1er (1). Mais il est un autre portrait plus intéressant, semble-t-il, parce que, bien qu'il ait été peint vers 1500, il est encore dans la pure tradition des vieux enlumineurs. Il s'agit du portrait de Jeanne de France (fig. 7), fille de Louis XI et première femme de Louis XII (2). La peinture a été ajoutée après coup dans un livre d'Heures plus ancien. J'ai longuement parlé de ce portrait dans les Mémoires de la Société des Antiquaires de France (3) je rappellerai seulement ici qu'après son divorce (12 décembre 1498), Jeanne de France se retira à Bourges, où elle vécut dans la dévotion, fonda l'ordre des Annonciades et mourut le 4 février 1505. C'est seulement après le divorce qu'elle changea son nom de Jeanne de France en celui de « Jehanne Marienne », pour marquer sa dévotion particulière à la Vierge, et qu'elle adopta pour chiffre les initiales I. M. qui se voient sur son prie-Dieu et dans l'encadrement de la page. Le portrait n'a donc pu être peint qu'entre 1498 et 1505. On sait que Jeanne de France fut béatifiée au XVIIIe siècle.

(1) Bibl. nat., fr. no 225 (Cat. des P. F., 2 partie, no 193).

(2) Bibl. de l'Arsenal, ms. no 644 (Cat. des P. F., 2o partie, no 241). (3) Notes pour un « Corpus iconum » du moyen âge, dans Mémoires de la Société des Antiquaires de France, 7° série, t. Ier (1902), p. 23-51.

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