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au moins égal comme épreuves à celui donné à Chastre de Cangé, autre familier de la Maison d'Orléans (1). Et combien piquant à rencontrer, car notre amateur eut le temps de le faire relier! Il formerait le digne pendant de celui que l'auteur des peintures avait fait mosaïquer pour son usage personnel et à ses armes par Padeloup.

N'est-il pas nécessaire de donner ici un crayon, un raccourci, comme dirait Saint-Simon, du grand patron de Longepierre devenu duc d'Orléans par la mort subite de Monsieur en 1701. Pas d'observateur mieux placé que le célèbre mémorialiste pour saisir la ressemblance en ce qui le concerne Portraitiste merveilleux, il demeure, mais que de parti pris et souvent d'injustice, bien qu'en la circonstance il soit loin d'avoir maltraité son illustre ami!

« M. le duc d'Orléans étoit de taille médiocre au plus, fort plein sans être gros, l'air et le port aisé et fort noble, le visage large, agréable, haut en couleur, le poil noir et la perruque de même, quoiqu'il eut fort mal dansé et médiocrement réussi à l'Académie, il avoit dans le visage, dans le geste, dans toutes ses manières une grâce infinie et si naturelle qu'elle ornoit jusqu'à ses moindres actions et les plus communes. Avec beaucoup d'aisance quand rien ne le contraignoit, il étoit doux, accueillant, ouvert, d'un accès facile et charmant, le son de la voix agréable et un don de la parole qui lui

(1) Ce dernier a été racheté par le duc d'Aumale et figure dans les collections du château de Chantilly.

étoit tout particulier..., avec une facilité et une netteté que rien ne surprenoit et qui surprenoit toujours... »

Saint-Simon vante encore son éloquence naturelle, sa clarté, qu'il parlât science, politique, finance, guerre, art, histoire et même généalogies, sa facilité surprenante de travail, sa connaissance des hommes, sa mémoire, son discernement exquis... Et avec cela nulle présomption, raisonnant comme d'égal à égal avec tous, mettant les gens à l'aise tout en gardant fort son rang. Ne croirait-on pas à ces traits reconnaître un prince de la même maison, à jamais regretté ? Saint-Simon en a vraiment eu deux cents ans plus tôt la prescience (1).

Le prince avait, paraît-il, le faible de croire ressembler en tout à Henri IV, « aussi bien dans ses réparties que dans sa taille et la forme de son visage, mais aussi dans les vices de ce grand prince que dans ses vertus : Nulle flatterie ne lui allait plus au cœur. »

Comme lui, le duc d'Orléans était bon, compatissant et nul homme ne fût plus que lui naturellement opposé au crime et à la destruction des autres. Aussi SaintSimon, qui a pu l'étudier à loisir, déplore-t-il qu'un homme si humain ait été accusé injustement du crime le plus noir, et c'est le sentiment de la postérité.

Que vouloit-il ? Commander les armées tant que la guerre auroit duré et se divertir le reste du temps sans contrainte... » Commander les armées, « c'est à quoi il était extrêmement propre. Une valeur naturelle, tranquille, qui lui laissoit tout voir, tout prévoir... » Il était à la fois capitaine, ingénieur, intendant d'armée, très informé de la force des troupes, du nom et de la capacité des officiers : « En Italie il prévit tout et Marsin lui arrêta le bras sur tout. >>

(1) S. A. R. le duc d'Aumale.

Opposons quelques ombres à ce tableau brillant : «Sa douceur, son humanité, sa facilité avoient tourné en défaut, et la suprème vertu du pardon des ennemis il l'avait tournée en vice par une espèce d'insensibilité qui le rendait sans fiel dans les plus mortelles offenses... » Aussi Saint-Simon l'appela-t-il un jour Louis le Débonnaire, ce qui le mit fort en colère.

Il le dit encore incapable de suite en rien, impie, faux jusqu'à se vanter de l'être, accoutumé à la débauche et plus encore au bruit de la débauche, tracassant les uns et les autres, et d'une singulière défiance qu'il qualifie de « dégoutante» avec ses meilleurs amis.

Timide à l'excès, on n'obtenait rien de lui, ni grâce ni justice qu'en l'arrachant par crainte ou par une extrême importunité. Il tàchait de s'en délivrer par des promesses, de là tant de manquements de paroles qu'on comptait les plus positives pour rien : « On ne le croyoit plus lors même qu'il parloit de la meilleure foi... »

Résultat d'une ambition déçue, ces critiques acerbes ne doivent être acceptées qu'avec une extrême réserve.

Dangeau l'a dit : « Longepierre a toujours été fort attaché à Madame la duchesse d'Orléans. » A côté du portrait du prince, plaçons donc aussi « un court pinceau », de sa protectrice, qu'il avait vu grandir entre le duc du Maine et le comte de Toulouse. Quelques traits empruntés au caustique historien seront préférables à ce qu'on trouve sur elle dans les lettres de la Palatine qui n'aimait guère sa belle-fille :

<«< Elle étoit grande et de tous points majestueuse ; le

teint, la gorge, les bras admirables, les yeux aussi ; la bouche assez bien, avec de belles dents un peu longues; des joues trop larges qui la gàtoient mais n'empêchoient pas la beauté. Ce qui la déparoit le plus étoient les places de ses sourcils qui étoient comme pelées et rouges avec fort peu de poils; de belles paupières et des cheveux châtains bien plantés... >>

Après le portrait physique, le portrait moral :

Elle n'avoit pas moins d'esprit que M. le duc d'Orléans et de plus que lui une grande suite dans l'esprit ; avec cela une éloquence naturelle, une justesse d'expression, une singularité dans le choix des termes qui couloit de source avec ce tour particulier à Madame de Montespan et à ses sœurs... »

La duchesse d'Orléans, ajoute Saint-Simon, malgré son parler lent et gras auquel il fallait s'habituer, disait ce qu'elle voulait dire avec délicatesse et agrément; beaucoup de bienséance et la plus exquise superbe. Elle était fort orgueilleuse, croyait avoir fait beaucoup d'honneur au duc d'Orléans en l'épousant et restait petite fille de France jusque sur sa chaise percée. »

Fille légitimée du Roi, née à Versailles le 25 mai 1677, mariée le 18 février 1692, elle eut trois filles de 1695 à 1700 puis un fils, le duc de Chartres et encore des filles. A la suite de ses nombreuses grossesses la princesse devenue fort nonchalante passait sa vie étendue sur sa chaise longue :

« Elle s'est fait faire un canapé, écrit la Palatine, sur lequel elle reste couchée lorsqu'elle joue au lansquenet: nous nous moquons d'elle, mais cela n'y fait rien : Elle joue couchée, elle mange couchée, elle lit couchée. Bref presque toute sa vie se passe couchée : Aussi est-elle toujours malade. »

Quoique d'une bonne santé, sa vie était donc languis

sante. Elle la passait dans une demi-solitude jusqu'à cinq heures du soir qu'il venait du monde, mais ses visiteurs ne trouvaient auprès d'elle ni amusement ni liberté parce qu'elle n'a jamais su mettre personne à son aise.

Sa Maison ne lui servait que pour grossir ce qu'elle appelait sa Cour. Saint-Pierre, son premier écuyer, lui en imposait par son flegme, son silence et ses maximes. M. le duc d'Orléans lui avait défendu de mettre le pied chez lui. Quant à Mme de Saint-Pierre, sa femme, personne gaie, libre et plaisante, la duchesse l'aimait fort. Mais sa grande amie, celle qui « possédait à la fois son. esprit et son cœur », était la duchesse Sforza, sa cousine germaine comme seconde fille de Mme de Thianges, sœur de Mme de Montespan. Elle avait ce langage singulier des Mortemart, mordant et spirituel. Les deux grandes dames ne pouvaient se passer l'une de

l'autre.

Ses deux frères furent tour à tour ses favoris. D'abord le « petit frère » ainsi qu'elle appelait le comte de Toulouse. Plus tard ses vues la rapprochèrent davantage du duc du Maine, et l'on sait quelle passion elle mit à le défendre et le chagrin que lui causa son arrestation : « Mme d'Orléans n'aime que ses parents du côté maternel », a-t-on dit d'elle avec une certaine raison.

Longepierre, resté en excellents termes avec les frères de la duchesse, semble avoir souvent servi d'intermédiaire entre elle et le duc du Maine. Saint-Simon l'indique implicitement par cette phrase écrite à propos du parti que le duc de Noailles pensait tirer, grâce à lui, de ces relations dans les deux camps au temps de la Régence: «Il (Longepierre) était fort bien avec Mme la duchesse d'Orléans et M. du Maine. »

La grande froideur qui avait régné entre elle et le duc

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