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reste, si l'on est obligé de se servir de ces expressions • Art du XIIIe siècle, du XIVe, — du XVe », il est trop évident que les transformations ne se sont pas opérées brusquement, à l'heure précise où disparaissait un siècle pour céder la place à l'autre. Déjà, sous les fils de Philippe le Bel, certains enlumineurs, comme Jean Pucelle et ses compagnons, par exemple, nous montrent assurément un art très nouveau; mais il est aussi des peintures exécutées au milieu du XIVe siècle qui se rapprochent beaucoup plus de ce qu'on regarde comme l'art du XIIIe siècle que de celui du XIV. En revanche, l'art qu'on est convenu d'appeler l'art du XIVe siècle s'est continué en France sans grand changement jusque vers la fin du règne de Charles VI, c'est-à-dire pendant tout le premier quart du XVe.

Il y aurait une intéressante étude à faire d'un certain Psautier d'origine artésienne qui est conservé à la Bibliothèque nationale (1). Dans ce manuscrit, qui est de la fin du XIIIe siècle ou du commencement du XIVė, la plupart des feuillets contiennent des dessins qui ont la prétention de représenter des personnages, puisque un nom est inscrit au-dessous de chaque croquis. Les physionomies y sont très indécises, et la ressemblance n'est pas garantie; mais ce n'en est pas moins un des essais d'album de portraits les plus curieux qui soient.

On a vu que c'est en 1311 que Jeanne, comtesse d'Eu et de Guines, se fit représenter agenouillée devant la Vierge et l'Enfant. Presque à la même date, dans un volume offert en 1313 au roi Philipe le Bel, le Livre de Dina et Calila, mis en français par Raymond de Béziers, nous voyons une série de six portraits, groupés dans le tableau qui se trouve en tête du manuscrit. Les personnages

(1) Ms. lat. 10435 (Cat. des P. F., 2e partie, no 13).

représentés sont Philippe le Bel, Louis, roi de Navarre, Charles, comte de Valois, Isabelle, reine d'Angleterre, puis deux jeunes princes qui plus tard deviendront rois de France, l'un sous le nom de Philippe le Long, l'autre sous celui de Charles le Bel (1). Le progrès dans cette œuvre est très sensible. Les physionomies ont beaucoup de caractère ; cependant les yeux sont toujours trop largement marqués par ces gros traits noirs que les enlumineurs traçaient un peu brutalement à la plume pour accentuer les contours. Les costumes armoriés sont assez intéressants, surtout le costume féminin de la reine d'Angleterre. Philippe le Bel est ici figuré imberbe. Trois ou quatre ans plus tard, vers 1317, le fils et successeur de Philippe le Bel nous apparaît barbu dans le si intéressant manuscrit Vie et miracles de saint Denis, composé en latin par le moine Yves (2). C'est encore là un tableau de présentation : le moine Yves, accompagné de son abbé Gilles (3), offre son ouvrage au roi Philippe le Long. Les trois volumes du moine Yves sont ornés d'un grand nombre de miniatures, que M. Delisle considère avec raison comme des « chefs d'œuvre de l'art français dans le premier quart du XIVe siècle. » Le roi et l'abbé portent la barbe; le moine Yves seul est rasé.

En 1332 eut lieu le procès célèbre de Robert d'Artois, qui se termina le 8 avril de cette même année par la condamnation de Robert III au bannissement. La Bibliothèque nationale possède un recueil des actes de ce procès; en tête est un grand tableau représentant une

(1) Bibl. nat., ms. lat. 8504 (Cat. des P. F., 2e partie, no 15). — Ce tableau de présentation est reproduit en tête du t. XXII du Recueil des Historiens de la France.

(2) Bibl. nat., mss. fr. 2090-2092 (Cat. des P. F., 2o partie, nos 16-18). (3) Gilles er de Pontoise, abbé de Saint-Denis de 1304 à 1325.

séance de la cour, présidée par le roi assisté des pairs (1). C'est une œuvre intéressante, bien qu'elle soit faite d'après un procédé un peu archaïque qui exclut encore le modelé. Philippe VI y est représenté imberbe. Les costumes contiennent de précieuses indications; mais les figures des divers personnages offrent de telles ressemblances qu'on peut hésiter à y reconnaître des portraits. Il semble difficile d'admettre que Philippe VI et tous ses pairs aient été prognathes comme nous les montre ce tableau (2). J'inclinerais beaucoup plus volontiers à voir de véritables représentations de la reine Jeanne de Bourgogne, femme de Philippe VI, et du traducteur Jean du Vignay, dans la miniature à deux compartiments qui décore la première page du Miroir historial de Vincent de Beauvais (3). On sait que l'ouvrage fut traduit par Jean du Vignay à la demande de Jeanne de Bourgogne, et M. Delisle a montré que le présent manuscrit était presque certainement l'exemplaire même qui fut copié, en 1333, pour la femme de Philippe VI (4). Ce roi et la reine Jeanne ont encore été peints dans un manuscrit qu'on peut dater de 1340 environ. C'est un beau livre d'Heures fait pour Jeanne de France, reine de Navarre, qui y est elle-même figurée une douzaine de fois. Ces divers portraits sont remarquables: on y constate un visible progrès si on les compare aux essais antérieurs. Le volume fait aujourd'hui partie du riche cabinet de M. Henry Yates Thompson (5). La facture des

(1) Bibl. nat., ms. fr. 18437 (Cat. des P. F., 2o partie, no 26).

(2) D'après la statue du tombeau de Philippe de Valois, aujourd'hui au musée du Louvre, statue exécutée sans doute vers 1365, il semble que ce roi ait eu la face large et les pommettes très saillantes. (3) Bibl. nat., ms. fr. 316 (Cat. des P. F., 2e partie no 27).

(4) Gazette archéologique, année 1886. (5) Cat. des P. F., 2o partie, no 28.

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Voir sur cet intéressant livre

d'Heures H. Yates Thompson, Thirty two miniatures from the book

miniatures rappelle un peu celle du Missel de Saint-Louis de Poissy, conservé à l'Arsenal (1), et des Miracles de Notre-Dame du séminaire de Soissons (2).

Quoiqu'ils ne soient pas d'origine française, il faut signaler les portraits de Louis de Tarente et de sa femme, Jeanne, reine de Naples et comtesse de Provence, exécutés sans doute peu après 1352; ils se trouvent dans un manuscrit contenant les Statuts de l'ordre du SaintEsprit au droit désir, institué en 1352 à Naples par le roi Louis (3). C'est un travail italien remarquable. A cette époque, milieu du XIVe siècle, l'Italie possédait depuis longtemps des peintres illustres, on le sait suffisamment ; mais il ne semble pas qu'elle eût à ce moment des écoles d'enlumineurs comparables à celles de la France. Les portraits du roi de Naples et de sa femme sont l'œuvre d'un artiste habitué à faire grand. Conçu comme il l'est, ce frontispice rappelle bien plutôt les tableaux des premiers maîtres italiens que les miniatures, même les miniatures exécutées plus tard dans la péninsule.

Il ne faudrait pourtant pas croire que la France n'eût point au XIVe siècle de peintres capables d'exécuter des œuvres de grandes dimensions. Le précieux portrait du roi Jean (4), qu'on s'accorde à dater de l'an 1359 environ, nous est un sûr garant de l'habileté de nos artistes français à cette époque. Toutefois on doit le reconnaître, il y eut alors des progrès d'une rapidité surprenante, ou, si l'on ne peut admettre que l'art pro

of Hours of Joan II queen of Navarre (Londres, 1899); Léopold Delisle, Notice de douze livres royaux (1902), p. 78.

(1) Bibl. de l'Arsenal, ms. no 608 (Cat. des P. F., 2e partie, no 220). (2) Cat. des P. F., 2o partie, no 32.

(3) Bibl. nat., ms. fr. 4274 (Cat. des P. F., 2o partie, no 31).

(4) Bibl. nat., Estampes (Cat. des P. F., 1re partie, no 1).

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PORTRAIT DU ROI JEAN LE BON, PEINT VERS 1359

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