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BERNARD DE REQUELEYNE

BARON

DE

LONGEPIERRE

(1659-1721)

(Suite)

Nous ne savons si Longepierre « se coula » chez M. le duc d'Orléans et s'il y faisait figure de «rat de cour comme le dit sans bienveillance Saint-Simon, mais ce qui parait certain, c'est qu'il entra de bonne heure dans la Maison d'Orléans et en fût plus de vingt ans le familier et le serviteur fidèle.

Son rôle qui n'est pas toujours très défini, semble y avoir été d'importance et continuels ses rapports avec les princes et princesses de cette noble famille; tour à tour précepteur, sous-gouverneur, secrétaire politique et secrétaire des commandements, services qui se sont

traduits par des pensions souvent considérables.

Bien que l'abbé Papillon dans son Dictionnaire des Auteurs de Bourgogne publié à Dijon en 1745, ait affirmé en propres termes, que Longepierre avait été « successivement précepteur de M. le comte de Toulouse et de M. le duc de Chartres depuis duc d'Orléans et Régent du Royaume, ensuite secrétaire des commandements de M. le duc de Berry, enfin gentilhomme ordinaire de M. le duc d'Orléans », nous croyons qu'il manque d'exactitude tout au moins en ce qui concerne le Régent. Il l'aura confondu avec son fils le duc de Chartres dont Longepierre fut en effet sous-gouverneur pendant quelques mois de l'an 1709.

Comme gouverneurs le duc de Chartres, plus tard le Régent, eut des hommes de mérite, Navailles, La Vieuville, d'Estrades, ceux-là surtout ad honores, avec La Bertière et Fontenay comme sous-gouverneurs ; enfin le marquis d'Arcy (1689-1694) qui fut le dernier gouverneur. Tant que vécut le vertueux Saint-Laurent ce premier précepteur affectionné du jeune prince qui pleura amèrement sa perte, « tant la vertu quand elle est sincère a de force à se faire aimer, » tout marcha bien. C'était un homme à choisir par préférence dans toute l'Europe pour l'éducation des rois. » (1) Par malheur il eut le tort de s'adjoindre comme sous-précepteur le fameux Du Bois dont on s'accorde à ne vanter ni les principes ni les mœurs.

Longepierre et le subtil fils de l'apothicaire de Brives se connurent de bonne heure et paraissent avoir vécu en assez bonne intelligence, bien qu'en compétition parfois pour certaines charges de Cour. S'il est à peu près prouvé que l'ancien précepteur du comte de Toulouse n'a pas eu à faire auprès de lui fonction de sous-précep

(1) Saint-Simon.

teur du prince, il est entré du moins assez tôt dans la Maison d'Orléans, à la suite, croyons-nous, du mariage de Mile de Blois pour qu'il soit nécessaire de rapporter quelques traits de la jeunesse pourtant si connue du duc de Chartres, bientôt duc d'Orléans et quinze ans plus tard Régent de France.

Fort bien doué, gratifié par les fées de toutes sortes de bonnes qualités qu'une vieille fée oubliée aurait rendues stériles, -- suivant l'apologue qu'aimait à conter sa mère, à 13 ans le jeune prince est déjà un homme. Madame qui nous donne ce détail, ajoute qu'une dame de qualité l'instruisit. De bonne heure il se jette dans les plaisirs avec frénésie, mais courageux comme ses ancêtres, les distractions vulgaires ne lui suffisent pas et brûle de faire ses premières armes. Le Roi répondit à son désir secret en l'envoyant pour son début assister au siège de Mons sous le maréchal de Luxembourg. Il y rencontra, entre autres jeunes gens de son âge, Louis de Rouvray de Saint-Simon, qu'une solide amitié devait unir à lui.

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C'est à son retour que Mine de Maintenon, approuvée de Louis XIV et de concert avec Du Bois « qui lui fit voir les cieux ouverts » prépare son mariage avec Mlle de Blois, fille de Mme de Montespan et du Roi, et sœur du duc du Maine et du comte de Toulouse. Monsieur, intimidé par le Roi, y ayant consenti, le duc de Chartres n'ose résister à la volonté souveraine, tandis que Madame, confiante dans l'engagement formel de son fils de ne pas céder, ne dissimule pas sa fureur et lui donne, dit-on, un soufflet public: il avait alors

17 ans.

« Je suis tout à fait de la vieille roche, écrivait-elle

(1) Saint-Simon.

plus tard ; j'abhorre les mésalliances et j'ai remarqué que jamais il n'en résultait du bien. Le mariage de mon fils a gàté toute ma vie et a détruit mon humeur joviale. »

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La même année, le Roi autorisait son neveu, — devenu son gendre, à suivre la campagne, lui faisant même commander l'armée de réserve avec Besons sous ses ordres. Il se distingua à Steinkerque (1692), à Nerwinde (1693) y donnant des preuves de courage et de sangfroid. Mais Louis XIV était ombrageux; il n'aimait pas voir les princes du sang remporter de trop éclatants succès militaires. Éloigné du service, le prince dût employer autrement son activité. L'Opéra, les maîtresses, les soupers, « le bruit de la débauche » le reposaient de la chimie et même de l'alchimie. La peinture surtout, pour laquelle il avait un goût décidé, occupa ses loisirs.

Il peignoit presque toute l'après-dinée à Versailles et à Marly. Il se connaissoit fort en tableaux, il les aimoit, en ramassoit, et il en fit une collection qui, en nombre et en perfection ne le cédoit pas aux tableaux de la Couronne » (1).

Madame, dans ses lettres fameuses, signale également ce côté si intéressant du caractère de Philippe d'Orléans : « Mon fils n'aime ni jouer ni chasser, mais il aime tous les arts libéraux et par dessus tout la peinture... Il aime la musique et les femmes. »

Et plus tard :

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écrit-elle le

« Mon fils a beaucoup d'esprit, 26 juin 1699 à la duchesse de Hanovre, et je suis convaincue que sa conversation ne vous déplairait pas. Il sait beaucoup de choses, il a bonne mémoire et ce qu'il sait, il le dit sans pédanterie aucune. Il ne se sert que d'expressions nobles, mais ses sentiments ne sont

(1) Saint-Simon.

pas assez élevés. Il préfère la société de gens du commun, de peintres, de musiciens à celle des gens de qualité... En ce moment il travaille beaucoup pour vous. Il vous peint un tableau dont le sujet est emprunté à la Fable... »

Revenant encore sur les dispositions artistiques du prince, Madame écrivait à la même princesse, de Marly le 6 mai 1700 :

Mon fils a un si fort génie pour tout ce qui touche à la peinture, que Coypel (1), qui a été son maître, dit que tous les peintres doivent s'estimer heureux qu'il soit un grand seigneur, car s'il étoit un homme du commun, il les surpasseroit tous. »

Cet aristocratique dédain de l'altière descendante des Raugraves pour les artistes est bien amusant. La princesse n'en donne pas moins de curieux détails sur l'interprétation par ce pinceau princier, du frais roman de Longus :

Lorsqu'il n'avait encore rien à faire, il peignit pour le cabinet de Madame d'Orléans tout le vieux roman pastoral de Daphnis et Chloé. A l'exception de la première feuille, il en a inventé et peint tous les sujets. Quelqu'un qui s'appelle Audran les a gravés sur cuivre. Madame d'Orléans a trouvé tout cela si joli qu'elle a fait exécuter ces sujets en grand pour les faire représenter sur des tapisseries de haute lisse que je trouve encore plus belles que les gravures. »

Bien que le travail du nommé Audran n'ait été exécuté qu'assez tard, puisque les planches gravées portent la date de 1713 et 1714 et ne parurent dans le volume qu'en 1718, il est plaisant de se figurer l'exemplaire que Longepierre dût posséder des Amours de Daphnis et de Chloé,

(1) Antoine Coypel.

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