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ministres en matière de religion. Vous savez, et ils le savent encore mieux que vous, que mon dessein n'a point été de les offenser; et ce motif seul suffiroit aujourd'hui pour me rendre sensible à leurs plaintes, et circonspect dans ma justification. Je serois très affligé du soupçon d'avoir violé leur secret, surtout si ce soupçon venoit de votre part: permettez-moi de vous faire remarquer que l'énumération des moyens par lesquels vous supposez que j'ai pu juger de leur doctrine n'est pas complète. Si je me suis trompé dans l'exposition que j'ai faite de leurs sentiments (d'après leurs ouvrages, d'après des conversations publiques où ils ne m'ont pas paru prendre beaucoup d'intérêt à la Trinité ni à l'enfer, enfin d'après l'opinion de leurs concitoyens, et des autres églises réformées), tout autre que moi, j'ose le dire, eût été trompé de même. Ces sentiments sont d'ailleurs une suite nécessaire des principes de la religion protestante; et si vos ministres ne jugent pas à propos de les adopter ou de les avouer aujourd'hui, la logique que je leur connois doit naturellement les y conduire, ou les laissera à moitié chemin. Quand ils ne seroient pas sociniens, il faudroit qu'ils le devinssent, non pour l'honneur de la religion, mais pour celui de leur philosophie. Ce mot de sociniens ne doit pas vous effrayer: mon dessein n'a point été de donner un nom de parti à des hommes dont j'ai d'ailleurs fait un juste éloge; mais d'exposer par un seul mot ce que j'ai cru être leur doctrine, et ce qui sera infailliblement dans quelques années leur doctrine publique. A l'égard de leur profession de foi, je me borne à vous y renvoyer et à vous en faire juge; vous avouez que vous ne l'avez pas lue, c'étoit peut-être le moyen le plus sûr d'en être aussi satisfait que vous me le paroissez. Ne prenez point cette invitation pour un trait de satire contre vos ministres; eux-mêmes ne doivent pas s'en offenser; en matière de profession de foi, il est permis à un catholique de se montrer difficile, sans que des chrétiens d'une communion contraire puissent légitimement en être blessés. L'Église romaine a un langage consacré sur la divinité du Verbe,

et nous oblige à regarder impitoyablement comme ariens tous ceux qui n'emploient pas ce langage. Vos pasteurs diront qu'ils ne reconnoissent par l'Église romaine pour leur juge, mais ils souffriront apparemment que je la regarde comme le mien. Par cet accommodement nous serons réconciliés les uns avec les autres, et j'aurai dit vrai sans les offenser. Ce qui m'étonne, monsieur, c'est que des hommes qui se donnent pour zélés défenseurs des vérités de la religion catholique, qui voient souvent l'impiété et le scandale où il n'y en a pas même l'apparence, qui se piquent sur ces matières d'entendre finesse et de n'entendre point raison, et qui ont lu cette profession de foi de Genève, en aient été aussi satisfaits que vous, jusqu'à se croire même obligés d'en faire l'éloge. Mais il s'agissoit de rendre tout à-lafois ma probité et ma religion suspectes; tout leur a été bon dans ce dessein, et ce n'étoit pas aux ministres de Genève qu'ils vouloient nuire. Quoi qu'il en soit, je ne sais si les ecclésiastiques genevois que vous avez voulu justifier sur leur croyance seront beaucoup plus contents de vous qu'ils l'ont été de moi, et si votre mollesse à les défendre leur plaira plus que ma franchise. Vous semblez m'accuser presque uniquement d'imprudence à leur égard; vous me reprochez de ne les avoir point loués à leur manière, mais à la mienne; et vous marquez d'ailleurs assez d'indifférence sur ce socinianisme dont ils craignent tant d'être soupconnés. Permettez-moi de douter que cette manière de plaider leur cause les satisfasse. Je n'en serois pourtant point étonné, quand je vois l'accueil extraordinaire que les dévots ont fait à votre ouvrage. La rigueur de la morale que vous prêchez les a rendus indulgents sur la tolérance que vous professez avec courage et sans détour. Est-ce à eux qu'il faut en faire honneur, ou à vous, ou peut-être aux progrès inattendus de la philosophie dans les esprits mêmes qui en paroissoient les moins susceptibles? Mon article Genève n'a pas reçu de leur part le même accueil que votre lettre; nos prêtres m'ont presque fait un crime des sentiments hétérodoxes que j'attribuois à leur ennemi. Voilà

ce que ni vous ni moi n'aurions prévu; mais quiconque écrit doit s'attendre à ces légères injustices heureux quand il n'en essuie point de plus graves!

Je suis, avec tout le respect que méritent votre vertu et vos talents, et avec plus de vérité que le Philinte de Molière,

MONSIEUR,

Votre très humble et très obéissant serviteur,

D'ALEMBERT.

TABLE

DES MATIÈRES CONTENUES DANS CE VOLUME.

DISCOURS sur cette question: Si le rétablissement des sciences et des arts a
contribué à épurer les mœurs.

AVERTISSEMENT.

PRÉFACE.

LETTRE à M. l'abbé Raynal.

LETTRE à M. Grimm.

RÉPONSE au roi de Pologne.

DERNIÈRE réponse à M. Bordes.

LETTRE sur une nouvelle Réfutation.

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DISCOURS sur cette question : Quelle est la vertu la plus nécessaire aux
héros, et quels sont les héros auxquels cette vertu a manqué?

107

AVERTISSEMENT.

108

ORAISON funèbre du duc d'Orléans.

123

DISCOURS sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes

139

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LETTRE à M. J. J. Rousseau, citoyen de Genève, par d'Alembert.

415

FIN DE LA TABLE.

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