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dérer le prix. Entreprendrois-je, messieurs, de vous décrire les austérités qu'il exerçoit sur lui-même? N'effrayons pas à ce point la mollesse de notre siècle. Ne rebutons pas les ames pénitentes qui, avec beaucoup plus d'offenses à réparer, sont incapables de supporter de si rudes travaux. Les siens étoient trop au-dessus des forces ordinaires pour oser les proposer pour modèles. Eh! peu s'en faut, mon Dieu, que je n'aie à justifier leur excès devant ce monde efféminé, si peu fait pour juger de la douceur de votre joug. Combien de téméraires oseront lui reprocher d'avoir abrégé ses jours à force de mortifications et de jeûnes, qui ne rougissent point d'abréger les leurs dans les plus honteux excès! Laissons-les, au sein de leurs égarements, prononcer avec orgueil les maximes de leur prétendue sagesse; et cependant le jour viendra où chacun recevra le salaire de ses œuvres. Contentons-nous de dire ici que ce grand et vertueux prince mortifia sa chair comme saint Paul, sans avoir à pleurer, comme lui, l'aveuglement de sa jeunesse. Il pécha sans doute; et quel homme en est exempt? Aussi, quoique son cœur ne se fût point endurci, quoiqu'il pût dire, comme cet homme de l'Évangile pour lequel Jésus conçut de l'affection: O mon maître! j'ai observé toutes ces choses dès mon enfance1, il n'ignoroit pas qu'il avoit pourtant des fautes à expier ou à prévenir; il n'ignoroit pas que, pour arriver au terme qu'il se proposoit, le chemin le plus sûr étoit le plus difficile, selon ce grand précepte du Seigneur Efforcez-vous d'entrer par la porte étroite, : car je vous dis que plusieurs demanderont à entrer, et ne l'obtiendront point 2; il n'ignoroit pas enfin ces terribles paroles de l'Écriture: En vain échapperions-nous à la main des hommes; si nous ne faisons pénitence, nous tomberons dans celles de Dieu 3.

Nous l'avons vu, dans ces derniers moments de sa vie où son corps exténué étoit prêt à laisser cette ame pure en liberté de se réunir à son Créateur, refuser encore de modérer ces saintes

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138 ORAISON FUNEBRE DU DUG D'ORLEANS.

rigueurs qu'il exerçoit sur sa chair; nous l'avons vu, jusqu'à la veille de son décès, et tout ce peuple en larmes l'a vu avec nous, se lever avec effort, et se soutenant à peine, se traîner chaque jour à l'église, en prononçant ces paroles dont il sentoit avec joie approcher l'accomplissement: Nous irons dans la maison du Seigneur'. Bien différent de cet empereur païen' qui voulut mourir debout pour le frivole plaisir de prononcer une sentence, il voulut mourir debout pour rendre à son Créateur, jusqu'au dernier jour de sa vie, cet hommage public qu'il n'avoit jamais négligé de lui rendre ; il voulut mourir comme il avoit vécu, en servant Dieu et édifiant les hommes.

Ne doutons point qu'une si sainte vie n'obtienne la récompense qui lui est due. Souffrons sans murmure que celui qui a tant aimé le bonheur des hommes voie enfin couronner le sien. Espérons que le desir de répandre sur nous des bienfaits, qui a été sur la terre l'objet de toutes ses actions, deviendra dans le ciel celui de toutes ses prières. Enfin travaillons à nous sanctifier comme lui, et faisons en sorte que, ne pouvant plus nous être utile par ses bonnes œuvres, il le soit encore par son exemple. En attendant qu'il partage sur nos autels les honneurs de son saint et glorieux ancêtre Louis IX; en attendant que son nom soit inscrit dans les fastes sacrés de l'Église, comme il l'est déja dans le livre de vie, invoquons pour lui la divine miséricorde : adressons aux saints, en sa faveur, les prières que nous lui adresserons un jour à lui-même : demandons au Seigneur qu'il lui fasse part de sa gloire, pour laquelle il a eu tant de zèle ; qu'il répande ses bénédictions sur toute la maison royale, dont ce vertueux prince soutint si dignement l'honneur; et que l'auguste nom de Bourbon soit grand à jamais et dans les cieux et sur la terre.

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AVERTISSEMENT

SUR LES NOTES.

J'AI ajouté quelques notes à cet ouvrage, selon ma coutume paresseuse de travailler à bâton rompu '. Ces notes s'écartent quelquefois assez du sujet pour n'être pas bonnes à lire avec le texte. Je les ai donc rejetées à la fin du Discours, dans lequel j'ai tâché de suivre de mon mieux le plus droit chemin. Ceux qui auront le courage de recommencer pourront s'amuser la seconde fois à battre les buissons, et tenter de parcourir les notes : il y aura peu de mal que les autres ne les lisent point du tout.

'Coutume paresseuse... Cette manière poétique de s'exprimer, qui consiste à transmettre à un objet les qualités qui ne peuvent convenir qu'à la personne, se rencontre fréquemment dans notre auteur. C'est ainsi que, dans sa Dédicace, il avoit dit: une infirme et languissante carrière.

QUESTION

PROPOSÉE PAR L'ACADÉMIE DE DIJON

QUELLE EST L'origine de l'INÉGALITÉ PARMI LES HOMMES, ET SI ELLE EST AUTORISÉE PAR LA LOI NATURELLE?

DE GENÈVE.

MAGNIFIQUES, TRÈS HONORÉS ET SOUVERAINS SEIGNEURS,

CONVAINCU qu'il n'appartient qu'au citoyen vertueux de rendre à sa patrie des honneurs qu'elle puisse avouer, il y a trente ans que je travaille à mériter de vous offrir un hommage public; et cette heureuse occasion suppléant en partie à ce que mes efforts n'ont pu faire, j'ai cru qu'il me seroit permis de consulter ici le zèle qui m'anime, plus que le droit qui devoit m'autoriser. Ayant eu le bonheur de naître parmi vous, comment pourrois-je méditer sur l'égalité que la nature a mise entre les hommes, et sur l'inégalité qu'ils ont instituée, sans penser à la profonde sagesse avec laquelle l'une et l'autre, heureusement combinées dans cet état, concourent, de la manière la plus approchante de la loi naturelle et la plus favorable à la société, au maintien de l'ordre public et au bonheur des particuliers? En recherchant les meilleures maximes que le bon sens puisse dicter sur la constitution d'un gouvernement, j'ai été frappé de les voir toutes en exécution dans le vôtre, que, même sans être né dans vos murs, j'aurois cru ne pouvoir me dispenser d'offrir ce tableau de la société humaine à celui de tous les peuples qui me paroît en posséder les plus grands avantages, et en avoir le mieux prévenu les abus.

et

Si j'avois eu à choisir le lieu de ma naissance, j'aurois choisi une société d'une grandeur bornée par l'étendue des facultés humaines, c'est-à-dire par la possibilité d'être bien gouvernée, où, chacun suffisant à son emploi, nul n'eût été contraint de commettre à d'autres les fonctions dont il étoit chargé; un état les manœuvres où, tous les particuliers se connoissant entre eux, obscures du vice, ni la modestie de la vertu, n'eussent pu se dérober aux regards et au jugement du public, et où cette douce habitude de se voir et de se connoître fît de l'amour de la patrie l'amour des citoyens plutôt que celui de la terre.

J'aurois voulu naître dans un pays où le souverain et le peuple¦ afin que tous les ne pussent avoir qu'un seul et même intérêt,

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