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ON S'ABONNE

EN FRANCE

REVUE SAVOISIENNE

Par un bon postal à l'or- JOURNAL PUBLIÉ PAR L'ASSOCIATION FLORIMONTANE D'ANNECY

dre du Directeur,

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PARAISSANT LE 18 DE CHAQUE MOIS

Histoire Sciences-Arts - Industrie-Littérature

L'ASSOCIATION laisse à chaque auteur la responsabilité entière
des opinions qu'il émet.

Note sur l'origine du nom d'Annecy, par M. A. Lecoy de la Marche. Archéologie: voies romaines (suite), par M. Ducis. Le Père Baranzan à Annecy, en 1615, par M. le D' Bouvier. - Histoire naturelle: note sur les étiquettes, par M. G. de Mortillet. - Le contre et le pour... à propos des Revues littéraires, par M. Antony Dessaix. - Chronique.

NOTE SUR L'ORIGINE DU NOM D'ANNECY

Grande est la foule des chercheurs d'étymologies. Mais peu d'entre eux se préoccupent des lois philologiques qui sont la clef du dédale où ils s'égarent. La langue des antiquités a engendré notre langue par une suite de transformations insensibles, mais régulières, et entre les deux termes extrêmes de la lignée dorment superposées bien des générations de mots : dans de pareilles catacombes, il est dangereux de s'aventurer sans tenir le fil conducteur. Les noms de lieu, en particulier, ont suivi dans leurs modifications successives une marche reconnaissable et à peu près uniforme. Aussi la recherche de l'étymologie a-t-elle, pour cette catégorie de mots, un précieux avantage : elle nous révèle non seulement le mode, mais encore l'époque de la formation du vocable géographique, et par là, bien souvent, l'âge de la ville ou du bourg auquel ce vocable a été appliqué. Peu servirait, en effet, de s'évertuer à tirer telle ou telle racine, s'il n'en devait pas résulter d'autre en seignement historique. Ce serait faire de l'art pour l'art; bon tout au plus pour ceux qui en ont la passion. Mais n'est-il pas plus utile, et en même temps plus piquant, de chercher dans la forme primitive du nom l'acte de naissance de la localité qui le porte? C'est ce que l'on peut très bien entreprendre, sans qu'il faille toutefois ériger en système cette méthode d'investigation, car la philologie n'admet rien d'absolu.

Tels sont les principes avec lesquels nous voudrions jeter quelque lumière sur l'origine du nom d'Annecy. Question controversée! Ne serons-nous pas téméraire en y revenant, et en marchant sur les brisées des érudits savoisiens, nouveau venu que nous sommes parmi eux? Espérons que leur courtoisie éprouvée nous excusera, et qu'ils montreront un peu de ce faible attribué à la fortune Audaces juvat.

La plus ancienne mention que l'on connaisse de la ville d'Annecy se trouve dans une charte de l'empereur

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Lothaire, de l'an 867 (1), et le nom du lieu s'y présente sous ce type: Annessiacum. Décomposons le mot : nous avons la désinence iacum, qui se reproduit dans un très grand nombre de vocables géographiques. Cette désinence est un élément celtique, ou plutôt la traduction latine d'un son guttural de la langue celtique, entendu par les Romains iac. Mise à la suite d'un radical, elle avait en quelque sorte la valeur de locus; par exemple, Camill-iacum équivalait à lieu ou ville de Camull (divinité gauloise). C'est la même idée qui a créé les noms plus modernes de Stras-bourg, Albertville, et autres du même genre. Iacum s'est contracté à l'origine de la langue française, et a pris des formes variées dans les diverses régions de sorte que le même nom latin a produit plusieurs noms français, quelquefois très différents. Voici le Camilliacum de tout-àl'heure qui devient en Gascogne Camillac, en Anjou Chemillé, en Bourgogne Chemilly, en Gévaudan Chamblas (prononcé Chambla); Victoriacum donne Vitré en Bretagne, Vitry en Champagne, Vitrac en Languedoc ; Aureliacum se transforme ici en Aurillac, là en Orly. On pourrait multiplier les exemples: mais ceux-là suffisent pour démontrer que la désinence iacum a été généralement rendue par ac dans le midi (où l'accent romain était moins altéré), par ai ou é dans l'ouest, enfin par i ou dans l'est. Il est donc naturel que le nom de lieu Annessiacum ait produit Annessi (forme encore usitée du temps de saint François de Sales), puis Annecy, l'y n'étant du reste qu'un double i ou un i long. En mouillant légèrement cet y, on a encore un son quelque peu guttural, conformément à l'antique désinence gauloise.

Ainsi, la fin du mot nous indique qu'Annessiacum était le lieu ou la ville de quelqu'un ou de quelque chose. Reste à demander à la première partie ce terme inconnu du problème. Mais le radical Anness, tel qu'il est, ne signifie pas grand chose, pour ne pas dire moins. Il n'est évidemment qu'une altération opérée par la langue vulgaire, qui naissait au moment même où nous le rencontrons, au milieu du neuvième siècle. Pour savoir ce qu'il représente, procédons par analogie: parcourons du regard la famille des noms de lieu en iacum. Quelle espèce de mots se trouve d'ordinaire, comme radical, en tête de cette désinence? Le plus souvent

(1) Voyez l'intéressant travail de M. Jules Philippe sur Annecy et ses environs, page 21.

des noms de personnages, et parmi eux, principalement, des noms d'officiers ou de gouverneurs romains. Camilliacum, Aureliacum, Victoriacum, pour en revenir aux exemples déjà cités, sont les villes de Camull, d'Aurélius, de Victor; Juliacum (Juliac, Juilly), Albiniacum (Aubigné, Albigny) sont les villes de Jules, d'Albinus. Dans une famille voisine et de formation identique, celle des noms en dunum (du celtique dun, éminence), voici Augustodunum, Caesarodunum, Verodunum, etc., les collines ou les montagnes d'Auguste, de César, de Verus. Assurément nous trouvons accolés à ces désinences des mots d'une autre catégorie, mais en moins grand nombre. L'opinion d'Albanis Beaumont, suivant laquelle la ville d'Annecy aurait été ainsi appelée en mémoire d'un général romain du nom d'Annicius, est donc vraisemblable et paraît avoir été rejetée trop légèrement de nos jours. Quand cet Annicius, qui sans doute gouverna à une certaine époque la province, n'eût pas mérité un tel honneur, quand même il n'eût pas brillé parmi ses contemporains plus qu'il ne brille dans l'histoire, on n'en pourrait tirer une induction contraire. Si les premiers personnages de l'Etat, comme Auguste ou César, se faisaient les parrains d'une ou de plusieurs villes, c'en était assez pour que leurs subordonnés ambitionnassent le même privilége. Ce n'est pas d'aujourd'hui, ce n'est pas seulement depuis le siècle du bon Lafontaine que

«Tout marquis veut avoir des pages. »

Mais, dit-on, le nom d'Annecy eût dû alors appartenir à l'ancienne colonie romaine établie sur la colline d'Annecy-le-Vieux, et non à la nouvelle ville qui s'éleva plus tard sur un emplacement différent. Néanmoins la première s'appelait Binia ou Civitas Bovis. Nous répondrons d'abord que ces deux dernières dénominations (dont, au reste, on gratifie aujourd'hui la localité en question faute d'avoir une meilleure place à leur assigner sur la carte), n'excluent nullement la possibilité d'un autre nom, soit postérieur, soit simultané, soit plutôt antérieur, comme l'indique la physionomie d'Annessiacum. Et la meilleure preuve, c'est ce terme mème d'Annecy-le-Vieux, resté comme un argument vivant à l'endroit où l'on découvre tous les jours de nouveaux vestiges de la ville romaine: les vocables géographiques se sont en effet maintenus presque partout, et donnent des indications sûres. Un jour les habitants, dépossédés par une invasion barbare ou séduits par les rivages que le lac leur abandonnait en se retirant, transportèrent leurs pénates sur l'emplacement de la ville actuelle: ils conservèrent naturellement le nom d'Annecy, et employèrent, pour distinguer la localité qu'ils venaient de quitter, la qualification de vieux. Voilà comment s'explique fort bien que la nouvelle ville, bâtie assez longtemps après la domination romaine, porte le nom d'un gouverneur romain ou d'un de ses homonymes quelconque.

On sait que l'e et l'i sont sans cesse confondus dans le latin barbare: Annicius s'est prononcé et s'est écrit Annecius sans difficulté aucune; de même le type originel Anniciacum a fait place à Anneciacum, ou Annessiacum. Mais ce qui nous fait surtout pencher en faveur de cette étymologie, c'est l'invraisemblance et la nullité de celles qu'on a été chercher ailleurs. Les auteurs qui, comme Fodéré, tirent Annecy du grec Nessy ou Nissy, si

gnifiant une île, n'entendent rien aux règles de la formation des mots; de plus, les noms de lieu qui gardent des traces d'origine grecque ne se rencontrent guère, en Gaule, que dans le voisinage de la Méditerranée, et enfin il est fort douteux qu'Annecy ait jamais été entouré d'eau au point de figurer une île. Quant à la version naïve Annexum aquis, due sans doute à quelque génie poursuivi par l'idée des lacustres, elle repose sur une pure consonnance, assez faible mème, avec la forme Annessiacum. Vouloir changer aquis en acum, c'est torturer affreusement l'usage et la grammaire. Jamais aquæ, aquis, ne se serait contracté en y dans la langue française. Cette manière d'analyser les mots, en tenant compte simplement de la ressemblance des sons, me rappelle ces bons clercs du onzième siècle qui, ayant à remettre en latin, dans les actes qu'ils rédigeaient, des noms de lieu francisés d'une origine déjà oubliée, rendaient, par exemple, Boneuil (Bonogilum) par Bonus oculus, ou Saint-Mars (Sanctus Medardus), par Quinque-Martes. Heureux temps où la philologie n'excluait pas le jeu de mots!

On peut donc justement ranger Annessiacum dans la grande classe des hybrides, c'est-à-dire des vocables formés d'un élément celtique et d'un élément romain. Ces noms-là datent des premiers temps de la conquête, alors que la langue des fiers vaincus, dernier rempart de leur nationalité, résistait encore à l'absorption romaine. Plus tard il en paraîtra de purement latins, quand la Gaule aura accepté non pas tant la domination que les habitudes de ses conquérants. Ainsi, l'origine du nom d'Annecy doit être reportée à une époque très ancienne, celle où commença la dépendance du pays des Allobroges; et l'origine de la ville elle-même peut être reculée davantage encore. Car, tout en admettant qu'elle ait eu pour parrain un Annicius, on ne saurait affirmer que ce personnage en fût le fondateur. La plupart du temps, les Romains choisissaient pour l'établissement de leurs colonies des bourgs déjà existants, dont la position riante ou avantageuse les attirait : ils les agrandissaient, les refondaient, pour ainsi dire, et acquéraient par là le droit de leur donner un nom. Nous croyons que l'antique Annessiacum, qui engendra la ville d'Annecy, fut dans ce cas.

Défions-nous en général des étymologies brusquées, et non conformes à la filière suivie par la langue dans le cours des siècles. Soyons difficiles, et demandons des preuves il y en a en philologie comme ailleurs. C'est une science de raisonnement et d'analogie, non d'hypothèses. Il ne faudrait pas admettre que Savoie, par exemple, vient de Sapaudia sur le seul indice de la similitude des deux premières lettres. Mais on l'induit d'une manière certaine, parce que le p fléchit régulièrement en bou en v (comme dans sapere, savoir); parce que l'i, étant autrefois indifféremment voyelle ou consonne, et s'écrivant j dans ce dernier cas, la finale dia a dû produire successivement les formes Savaudja, Savaudjia, par adoucissement Savojia (et l'on trouve en effet, au onzième siècle, ager savojiensis), comme le mot de basse latinité vadiare a fait gadjer, gager; enfin parce que ces deux lettres pareilles, l'i et le j, se fondent en une seule qui est l'i long ou l'y, d'où la forme si longtemps usitée de Savoye.

Ajoutons, comme corollaire de cette démonstration, que l'adjectif moderne Savoisien n'a point de filiation

légitime. Il est issu, au commencement de ce siècle, du cerveau d'un poète de Chambéry qui s'imaginait avoir à rougir de l'antique dénomination de Savoyard. Celle-ci n'a peut-être pas non plus d'état civil bien régulier, mais au moins son àge respectable fait-il oublier la tache de sa naissance. La forme la moins hostile à la grammaire serait encore Savoyen, Savoien. Pourquoi, cependant, ne pas s'en tenir au langage de nos pères ? Si le nom de Savoyard a été pris quelquefois dans une acception défavorable, si l'on a été jusqu'à le faire synonyme d'épithètes peu bienveillantes, en est-il moins le représentant séculaire de la probité et du travail? De tels noms ne seront jamais une injure.

A. LECOY DE LA MARCHE,
Archiviste de la Haute-Savoie.

ARCHÉOLOGIE

VOIES ROMAINES

(Suite)

D'après le plus grand nombre des manuscrits de l'itinéraire d'Antonin, Darentasia se trouve à XIX milles de Bergintrum. Quelques autres ont XVIII. Le manuscrit de Paris du x siècle, no 7230, porte xш. Il est probable qu'une des branches de l'x formait un v avec le premier trait suivant pour marquer x/III-18. Les manuscrits de Madrid et de Florence du xv siècle portent XXIII; le second x était sans doute un v dont les traits ont été trop prolongés. Celui de l'Escurial donne XXVIII. Je ferai sur le premier x la même observation. que pour Ariolicam.

La carte de Théodose place entre ces deux stations celle d'Axima, à Ix milles de Bergintrum et x milles de Darentasia; ce qui confirme le nombre XIX.

Nous avons vu que l'extrémité du Bourg-Saint-Maurice a été couverte par les alluvions d'Arbonne; on ne doit donc retrouver la voie romaine que vers Orbassi. Dès lors la route ne semble pas trop s'en écarter, si ce n'est qu'elle a perdu un peu le niveau, ensuite de la forte poussée de quelques bandes de terrain peu solides. Les Ix milles soit 13,339 mètres se mesurent parfaitement bien entre la Borgeat et Aime ou Aixme, l'ancienne Axima.

Elle aussi a été en partie couverte des dépôts de l'Ormante. Les fouilles pour constructions modernes ont fait découvrir, depuis le torrent jusqu'au clos Bérard, un dallage formé de blocs dont quelques-uns avaient un mètre cube. Un souterrain dont il reste quelques traces traversait la ville entre les ruines de SaintSigismond et le château de Montmayeur. Le prieuré de Saint-Martin a été bâti avec des débris de constructions romaines, surtout dans la crypte. On en remarque aussi quelques fragments au plateau de Saint-Sigismond. J'y ai copié quatorze inscriptions romaines entières ou brisées; deux autres, reproduites par Guichenon et Albanis Beaumont, sont perdues. On y a trouvé des médailles, des vases antiques, des restes de statue en bronze doré, le piédestal d'un groupe en marbre, des colonnes, des sarcophages en tuf, des tombeaux maçonnés, contenant, outre les ossements, des soucoupes, des fioles en verre, etc.

Le pont romain devait être plus bas que celui d'au

jourd'hui, et la voie passait près de l'église romane de Saint-Martin, vers la croix d'Aime, et de là par la route actuelle presque jusqu'au nant de la Tour, où elle prend à gauche pour entrer dans le bas de Villette, à côté de l'église. Tout près se voit encore une inscription romaine sépulcrale, avec les deux bustes en relief d'une mère et de son fils. Elle descend ensuite, entre le roc de Sainte-Anne et celui des Crètes, par deux lacets jusqu'au plateau de Centron où elle a dû être couverte par un éboulement. On a trouvé dans les décombres un moulin en pierre portatif et plusieurs autres objets. Il y a dans le nouveau Centron les ruines d'un château et sur la rive gauche de l'Isère celles d'un couvent. J'ai toujours écrit Centron, comme l'usage l'a établi et comme les chartes du moyen àge reproduisent le nom du village qui rappelle ce peuple antique. Mais il paraît, par les anciens manuscrits de Strabon, de César, de Ptolémée, de Pline, et par les inscriptions locales, que l'ortographe primitive était Ceutron. On peut voir là-dessus les dissertations de MM. Léon Rénier et Auguste Bernard dans la Revue archéologique (4). Je l'avais déjà fait observer au congrès de Grenoble (2) et dans les mémoires de l'Académie impériale de Savoie (3).

De Centron la voie suivait au bas de la côte la rive droite de l'Isère jusqu'au détroit du Saix, de Saxo. Ici se présente une difficulté; une route ancienne monte sur le plateau de Saint-Marcel au bas des ruines du château fort de Saint-Jaquemoz; on en trouve quelques traces taillées dans le roc au-dessus de la route actuelle. en face du lac de Saint-Marcel, à l'extrémité duquel elles continuent en coupant la nouvelle route à la descente, pour longer le village de la Pomblière, puis, vers la campagne d'Ador, continuer sur la rive gauche jusqu'à Moûtiers.

Mais il ne reste aucun vestige du pont, et la position ne parait pas être de celles que choisissaient les Romains, dont un des premiers principes étaient la solidité. Une tradition, qui pouvait encore il y peu d'années s'appuyer sur les vestiges d'un pont, faisait passer l'ancienne voie sur la rive gauche de l'Isère, à la sortie du détroit du Saix, et de là jusqu'à Moûtiers. Il n'en reste plus aucune trace authentique, sauf, comme je l'ai dit, depuis la maison Ador. Du reste, la mesure géométrique est presque la mème, car les détours des premiers vestiges sous Saint-Marcel et aux bords du lac, sont abondamment compensés par le contour de l'Isère derrière le roc Pupim et le roc de Bremont.

Les mesures géométriques prises sur la ligne de ces anciennes traces correspondent parfaitement avec les x milles romains, soit 14,810 mètres, pour placer Darentasia sur la rive gauche de l'Isère à Moûtiers, près du quartier Saint-Alban ou du collège. Les étymologies viennent encore ici appuyer les mesures pour l'emplacement de cette ancienne ville. Darentasia ou Durantasia (Tharentaise) comme l'écrit un manuscrit du Xe siècle, vient évidemment de sa position au confluent du Duron (Thoron) dans l'Isère.

C'est ainsi que Juncto durus et par contraction Octodurus (Martigny en Valais) tire son nom de la jonction

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de la Dranse, Durantia, avec le Rhône. C'est ainsi que Bergintrum tire le sien du confluent de la Bergenta dans l'Isère.

C'est toujours la petite rivière qui forme l'accident sur la plus grande et donne son nom au village établi à leur confluent. Citons encore Durotiucum sur les bords du Drac, et Darentiaca sur les bords de la Druna ou Drôme, etc.

La ville de Tarentaise a été ensablée à son tour par l'Isère et le Doron. Les rectifications et les nouvelles constructions ont amené la découverte, à quelques mètres de profondeur, d'une taillanderie, d'une collection de poteries vers la rue de la Marmora, d'un vivier près le théâtre, de constructions en pouzzolane chez les Sœurs de Saint-Joseph.

Deux débris d'inscriptions romaines ont été trouvés dans les maisons Duplan et Duverger et des médailles près de la brasserie. On a retrouvé à la Contamine un camée représentant Pompée et Cornélie, avec inscription grecque; il est postérieur à son expédition d'Orient. Il y avait un cimetière Burgonde au bas du mont SaintMichel dans la route actuelle. Aymar du Rivail rapporte quatre inscriptions qu'on voyait encore à Salins, il y a trois siècles, et dont deux sont relatives au passage de Septime Sevère (1). Lors de la construction de l'établissement thermal, on a trouvé plusieurs monnaies, ainsi que d'anciennes murailles, un souterrain le long du roc de Melph. Le château fort ne présente plus que quelques ruines.

Comme le bassin de Moûtiers est très encaissé, la station romaine pouvait avoir une vigie à Versailles ou à Champoulet, d'où l'on découvre la haute et la basse Tarentaise. On y a trouvé aussi des médailles.

On a vu plus haut que la question n'était pas décidée entre les deux lignes de vestiges qui subsistent encore sur les rives droite et gauche du torrent du Reclus jusqu'à Séez. Elles ne doivent point être confondues avec les deux imaginées par Walckenoër; car chacune d'elles reproduit complètement la longueur du même itinėraire; ainsi l'adoption de l'une doit exclure l'autre. Il pouvait y avoir plusieurs routes; mais une seule était prétorienne, celle dont les itinéraires officiels donnent les stations et leurs distances. Walckenoër en a supposé deux simultanées pour absorber toute la distance qu'il ne parvenait jamais à compléter en mesurant en droite ligne sur les montagnes, comme on le ferait pour un tunnel. Il les prolonge jusqu'à Moûtiers à gauche et à droite de l'Isère, en confondant cette dernière avec le Reclus. Il s'est permis d'ailleurs de substituer à Bergintrum, tantôt Axima, tantôt Ariolica, distants l'un de l'autre de 27 milles. Il réunit des villages, la Thuile et Pont-Seran, distants de deux kilomètres et demi, Saint-Maurice et le Villaret (lequel des deux Villarets?), éloignés tous les deux de près de deux kilomètres, perchés au flanc de la montagne et en dehors d'un système possible de voie romaine. Il confond Centron et Bellentre, séparés par dix kilomètres, et les place à l'orient de l'Isère; ailleurs il met Centron à l'est de Bellentre, etc. (2) Je m'arrête en voilà déjà assez pour qu'on ne m'accuse pas de contredire gratuitement un membre de l'Institut de France.

(Sera continué.)

(1) De Allobrogibus, III, 316.

Ducis.

(2) Géographie ancienne historique et compassée des Gaules cisalpine et transalpine, III, 26, 27.

LE PÈRE BARANZAN A ANNECY, EN 1615

Un fait digne de remarque et qui, à tous égards, mérite d'être signalé dans nos annales, d'autant plus que jusqu'ici il est complètement resté dans l'ombre, c'est le fait nouveau qui rattache la ville d'Annecy à la révolution philosophique opérée par Bacon au commencement du XVIIe siècle. Par suite de quelle circonstance une petite ville de la Savoie se trouve-t-elle mêlée à ce mouvement et a-t-elle l'honneur insigne d'une mention dans ce grand débat de l'histoire des sciences? C'est là l'objet de cette note.

A cette époque, un homme en Angleterre avait pensé qu'il fallait mettre un terme au despotisme scolastique et fonder à nouveau la science, qui ne devait plus être apprise de mémoire, mais augmentée par l'expérience et cherchée dans la nature et non dans la tradition. Bacon, se posant ainsi en adversaire déclaré de la doctrine aristotélicienne, avait pris à tâche de la renverser, mais comme Christophe Colomb, Bacon faisait de ses conjectures son espérance, et comme lui il trouvait des incrédules. Il était obligé d'expliquer que le trouble dans le monde savant n'était pas une perturbation dans la société civile, qu'une lumière nouvelle n'était pas un bouleversement nouveau. Il avait à lutter contre cette administration des doctrines, cette police des sciences qui en comprimait le progrès. Dans ses lettres aux universités, il les pressait de le suivre et leur disait : « Adonnez-vous vaillamment à l'accroissement des sciences. -Gardez dans la modestie de l'âme la liberté de l'esprit. Ne croyez pas que les travaux des anciens ne soient rien ni tout.»

Bacon avait proclamé la vérité dans la république des lettres et plaidé sa cause au tribunal de la raison publique. A l'ascendant de la vérité et du talent il avait pu joindre l'autorité que lui donnaient sa réputation et son rang, et cependant il voyait avec douleur les hommes de science balancer à s'engager sur ses pas. Il fallut que la voix de la renommée vint du dehors et fit taire les clameurs qui s'élevaient contre lui. Tandis que l'Angleterre s'obstinait à méconnaître son génie, l'Italie lui venait en aide et lui envoyait des témoignages d'approbation. Le Père Baranzan, barnabite et professeur de philosophie à Annecy, et le P. Fulgence Micanzio, religieux servite et correspondant de Galilée, furent les premiers à reconnaître les idées du réformateur des sciences et à accepter la doctrine du Novum Organum comme la foi savante des esprits éclairés.

Baranzan, comme on le voit par les lettres de Bacon, était en correspondance avec lui et avait pénétré dans la confidence de sa pensée. Pendant cinq ans il professa la philosophie à Annecy, et pendant ces cinq années il prit à partie l'école d'Aristote dont il combattit l'autorité, et communiqua avec âme à ses élèves les principes de la nouvelle philosophie.

Je dois l'avouer, en lisant, il y a quelques jours, le remarquable ouvrage de M. de Rémusat sur Bacon, j'ai éprouvé un vrai plaisir en voyant consigné à la page 412 qu'un simple professeur de philosophie dans la petite ville d'Annecy (en Savoie), avait pris parti pour les nouvelles idées du chancelier d'Angleterre alors que cette dernière semblait à peine reconnaître son génie. Dans l'histoire littéraire de notre pays, nous connaissons jusqu'ici deux faits honorables pour la ville d'An

necy c'est dans son sein qu'a pris naissance la première Société littéraire de la Savoie en 1607, sous le nom d'Académie Florimontane, et que s'est établie en 1747 la première bibliothèque publique qu'ait possédée la Savoie. A ces deux faits nous en ajouterons un troisième c'est d'Annecy qu'est partie en 1615 la première voix qui se soit déclarée sur le continent en faveur de Bacon.

J'ai pensé que c'était là un titre nouveau dans la vieille histoire de notre ville et qui était assez digne d'intérêt pour ne pas rester oublié.

D' BOUVIER.

HISTOIRE NATURELLE.

NOTE SUR LES ÉTIQUETTES.

Cher directeur,

Stimulé par la longue liste des dons faits au Musée d'Annecy, liste que vous avez insérée dans la Revue savoisienne, je prépare aussi mon envoi.

Je ne puis oublier que j'ai été un des conservateurs de ce Musée, position qui m'a procuré de douces jouissances, en me permettant de m'occuper exclusivement de mes études de prédilection, et qui, en même temps, m'a été des plus utiles, sous le rapport matériel, dans un moment difficile.

Tout en étiquetant des fossiles recueillis en Italie et quelques échantillons qui me restent encore de la Savoie et de la Suisse, je réfléchissais sur l'importance des étiquettes, importance telle qu'elle donne aux échantillons presque toute leur valeur. Un échantillon, quelque beau qu'il soit par lui-même, sans étiquette ne signifie à peu près plus rien.

Avant d'aller à Annecy, j'ai été chargé, grâce à la bienveillance des professeurs Vogt et Pictet, de classer les collections géologiques du Musée de Genève. Il y avait grand nombre de beaux et bons échantillons provenant des récoltes abondantes faites par Saussure. Mais Saussure, doué d'une mémoire prodigieuse, ne sentait pas le besoin d'étiquettes; aussi presque tous ses échantillons en étaient-ils dépourvus, et il a fallu les rejeter des collections.

Dernièrement, visitant Parme avec un de mes amis, B. Gastaldi, le professeur Strobel, directeur actuel du Musée, nous a montré de très nombreuses richesses minéralogiques et géologiques entassées dans plusieurs pièces, richesses qui ont perdu presque tout leur prix, faute d'étiquettes. Il y a entre autres une magnifique défense d'éléphant fossile, tout entière, avec pointe et alvéole, qui n'est plus qu'un simple objet de curiosité, faute d'indication de localité.

Je crois donc utile d'insister sur la nécessité non seulement d'étiqueter, mais encore de bien étiqueter les objets d'histoire naturelle; c'est ce qui me fait vous adresser quelques considérations sur ce sujet.

Sommet de l'étiquette.

En haut de l'étiquette, on met les noms et déterminations des objets.

Si ce sont des animaux, des végétaux ou des fossiles, on met le nom générique et le nom spécifique, en les faisant toujours suivre de l'indication de l'auteur, afin

d'éviter toute confusion, le même nom ayant parfois été donné à plusieurs êtres par des auteurs différents.

Si l'on est parfaitement sûr de la détermination, surtout dans les cas où elle est difficile et critique, on peut l'indiquer en faisant suivre le nom d'un point d'exclamation (!).

Si, au contraire, il reste quelques légères incertitudes sur la détermination, on met un point d'interrogation (?).

Dans les cas ordinaires, on ne met qu'un simple point.

Mais dans le doute il vaut beaucoup mieux s'abstenir et ne pas déterminer. Dans ce cas, on inscrit simplement le nom de genre, et même on laisse les deux noms générique et spécifique en blanc.

Rien n'est plus nuisible que les fausses déterminations; elles induisent en erreur les personnes qui se livrent à l'étude et jettent la perturbation et le doute dans la science. Les véritables naturalistes, les véritables savants en sont tellement convaincus, qu'ils s'abstiennent avec soin de toute détermination qui n'est pas parfaitement sûre. Les débutants et les esprits faibles, qui croient tout savoir ou veulent en imposer par un faux étalage d'érudition, seuls déterminent tout avec aplomb,

même les échantillons indéterminables.

Lorsqu'une espèce est critique ou en discussion, on peut faire suivre son nom d'une ou deux synonimies.

Lorsqu'une espèce est connue sous plusieurs noms qui sont admis dans divers pays ou par divers auteurs très répandus, on peut les rappeler tous.

Enfin, si l'échantillon vient de l'auteur qui a créé l'espèce, ou si cet auteur en a fait ou reconnu la détermination, il est bon de l'indiquer en faisant suivre les noms des mots : Type d'auteur, ou bien : Détermination d'auteur.

Milieu de l'étiquette.

Le milieu de l'étiquette doit être occupé par : Des détails sur l'habitat, si c'est un être vivant, animal ou plante;

L'indication du terrain, très circonstanciée, avec noms locaux et les particularités les plus précises possible, si c'est une roche ou un fossile;

L'indication exacte du gisement, si c'est un minéral. Ces indications, ces détails doivent pécher plutôt par leur prolixité que par leur trop de concision. C'est pour ainsi dire l'âme de l'étiquette. C'est la partie qui lui donne de la vie, de l'intérêt.

Bas de l'étiquette.

Le bas de l'étiquette est réservé aux indications de localité.

Ces indications doivent être le plus précises possible. Il faut les donner de manière à ce qu'il ne puisse pas y avoir équivoque, et en indiquant suffisamment le pays pour qu'en aucun cas l'esprit ait à se préoccuper d'un problème de géographie.

Les indications de localité sont de la plus haute importance.

On peut toujours, ayant l'échantillon, rétablir la détermination.

Au moyen de la détermination et surtout de l'indication de localité, on peut souvent rétablir d'une manière suffisamment exacte les indications d'habitat et de gisement.

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