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des Savoyards qui, originaires de son diocèse, s'étaient créé des établissements avantageux en France, en Allemagne et principalement à Vienne. Les noms de tous ces bienfaiteurs sont inscrits au livre synodal. Parfois même la gratitude acquise des Savoisiens devança les vœux de Mgr de Bernex; ainsi, lorsqu'il se rendit à Paris pour empêcher un échange de terrain dans le mandement de Mortier que sollicitait Genève et qui eût pu devenir funeste aux intérêts catholiques, les pauvres savoyards établis à Paris vinrent lui offrir une assez forte somme prise sur leurs modestes égargnes.

En 1732, l'insatiable évêque trouva encore de nouveaux fonds destinés à l'entretien des pauvres prêtres. La même année, il obtint de Clément XII 600 écus pour les nouveaux convertis.

Dieu jugea enfin que trente-six ans d'apostolat étaient assez pour la vie de cet homme de bien: de nombreuses infirmités annonçaient l'instant où il serait appelé à recevoir des récompenses éternelles. Déjà en 1733 Michel-Gabriel dressa ses premières dispositions testamentaires; puis, le 7 avril 1734, il les réforma. Parmi ses legs pieux ou portant avec eux un gage d'affection particulière, qu'il me soit permis de signaler seulement une pension de 150 livres en faveur de Mme de Warens. A cette époque, la pauvre femme, délaissée par Rousseau, luttant contre les difficultés d'entreprises alchimiques ou industrielles, éprouvait déjà cette espèce de pauvreté que Dieu lui envoya en expiation de ses fautes.

Les œuvres écrites de Mgr de Bernex (j'ignore si elles furent imprimées) forment quatorze articles. Les éléments en sont fournis par des controverses sur les preuves de la vérité de la religion, des dissertations sur des questions théologiques, de nombreux discours et sermons, des méditations à l'usage des religieuses, l'éloge de Rd Falcaz, son official vicaire général, et plusieurs thèses sur la théologie, le droit civil et le droit canonique. Le vénérable pasteur était aussi recommandable ⚫ par les qualités du cœur que par celles de l'esprit. Sensible aux douceurs de l'amitié, il en observait tous les devoirs. Ses domestiques le regardaient comme un père. Affable et prévenant, il ne cherchait sa récompense que dans le plaisir de faire du bien. Tous ses procédés étaient nobles et généreux, ses manières douces et polies ;-sa conversation, quoique sérieuse et grave, ne laissait pas de devenir aussi amusante qu'utile par les traits curieux et édifiants que lui fournissaient ses lectures. (1) »

Lors des obsèques du prélat, on eut beaucoup de peine à retenir le peuple qui voulait se partager les habits dont il était revêtu. La ville retentissait des éloges que chacun donnait à sa vie pénitente et laborieuse, à sa constante piété et à la charité qui avait animé toutes ses actions. Le cercueil fut porté à la cathédrale et

D

(1) Le 25 mai 1720, Mgr de Bernex écrivait la lettre qui suit au plénipotentiaire J.-B. Despine, à la Haye: Monsieur. quand je ne serais pas ami et serviteur de votre famille comme je le ⚫ suis dès ma jeunesse, aiant eu une affection particulière pour « feu monsieur votre père dans nos etudes, je prendrois part à l'honneur que vous faites à notre nation dans l'employ dont « vous êtes revêtu avec distinction et dont vous vous acquittez si bien pour la satisfaction du roy. C'est ce dont je vous téamoigne une véritable joie comme de la satisfaction que j'ai de • votre cousin ( aumônier à l'évêché) dont le naturel et bonnes qualités luy attirent ma confiance, aussi bien que mon amitié. Je vous assure que je suis avec vérité et respect, etc....

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de là à l'église du premier monastère de la Visitation. Sur son tombeau, préparé dans la chapelle de saint Charles, du côté de l'épître, était gravée cette inscription:

Michael-Gabriel de Rossillon de Bernex episcopus et princeps Genevensis sanctitate, vigilantiâ, eruditione morum et generis nobilitate, beneficentia in clerum et pauperes, alter Salesius, Christo confixus et conregnaturus, obiit, die mortis Domini 23 aprilis anni 1734, ætatis 76. Episcopatûs 36.

Ajoutons encore que Rousseau lui-même, malgré sa plume si prompte à dénigrer, a écrit que le bon évèque de Bernex, avec moins d'esprit que François de Sales, lui ressemblait sur bien des points. (Confessions, liv. II).

C'est une analyse bien écourtée d'une longue vie consacrée tout entière au bien, que je viens de présenter. S'il y a un plaisir de chroniqueur à exhumer les souvenirs historiques des choses et des hommes qui brillèrent jadis aux yeux du vulgaire, on doit, je l'ai toujours cru, se faire une obligation rigoureuse de rappeler le souvenir des hommes bienfaisants dont les œuvres sur vivent aux siècles. Noli lætari nisi cum benefeceris, a dit un sage. Les joies des heureux du monde ont disparu plus rapidement encore que ces châteaux et maisons fortes auxquels ils crurent peut-être river leur nom pour toujours mais l'oeuvre sacrée par le dévouement et la bienfaisance emporte avec soi une force vitale qui résiste aux révolutions et au temps. Pour nous, je le répète, qui jouissons de ces œuvres, il y a devoir à en bénir les auteurs et à glorifier leur mémoire; c'est mon excuse à cette esquisse bien que trop peu complète de la vie de Michel-Gabriel de Rossillon de Bernex, l'un des derniers possesseurs des fiefs du Châtelard en Semine. ALPHONSE DESPINE.

MÉMOIRE SUR LES MIELS DE LA SAVOIE

Dans l'exposition des produits agricoles de la Savoie, aux foires d'août à Chambéry, en 1860, je remarquai, entre autres, de très beaux rayons de miel de montagne exposés par M. Bonnet, propriétaire-cultivateur à Longefoy, arrondissement de Moûtiers. Appréciant l'importance qu'il y aurait d'encourager la production des miels dans la Savoie, qui en fournit d'excellente qualité, j'exprimai à cet honorable apiculteur mon intention de faire une analyse de son produit exposé pour joindre cette étude à celle que j'avais déjà entreprise sur sept échantillons de miel de diverses provenances de nos vallées alpines. Il y consentit avec empressement et me livra environ trois kilogrammes de miel en rayons, récolté à Longefoy, en me priant de lui faire connaître le résultat du travail auquel je le destinais.

Les miels divers que j'avais déjà soumis à des recherches étaient 1° des Houches; 2° de Megève; 3° de Flumet (chaîne alpine du Mont-Blanc); 4° de Jarsy; 5° du Montcel (chaîne calcaire sous-alpine); 6° de Saint-Genix; 7° de Rumilly (plaine).

Les altitudes de ces diverses localités sont, pour celles de la chaîne alpine du Mont-Blanc, de 1,000 à 1,100 mètres; pour celles de la chaîne calcaire sous-alpine, de 600 à 700 mètres; pour celles de la plaine, de 240

à 300 mètres au-dessus du niveau de la mer (1). Dans les localités appartenant à la chaîne du Mont-Blanc, Les Houches, Megève, Flumet, les céréales et graines alimentaires cultivées sont l'orge, l'avoine, le seigle, la fève, la gesse; les essences ligneuses fréquentées par les abeilles sont le mélèze, le bouleau, l'érable, le sureau à grappes (sambucus racemosa), le prunier, le frène, le cerisier sauvage (cerasus avium). Dans les localités montagneuses sous-alpines (Jarsy, Montcel), on cultive toutes les graines alimentaires, moins le sarrazin, toutes les plantes fourragères, légumineuses, moins la luzerne et le mélilot, tous les arbres fruitiers moins le mûrier, le châtaignier et la vigne, et on y voit toutes les essences résineuses alpines, moins le mélèze. La flore des plantes acres et amères, caltha, ranunculus, aconitum, veratrum, gentiana, aquilegia, atropa belladona, etc., y est analogue à celle des hautes localités alpines. Dans les localités de la plaine (Saint-Genix, Rumilly), tous les arbres fruitiers, y compris le mûrier, le châtaignier et la vigne, toutes les cultures fourrageres, toutes les cultures grainières, y compris le maïs et le sarrazin, s'y remontrent, et la flore y est des plus variées; les bois et arbustes résineux et saccharrifères y manquent presque complètement. Après avoir étudié, au point de vue chimique, climatérique et agricole les miels de ces diverses localités, il me paraissait intéressant, pour compléter mes études, de faire des recherches sur un miel d'une localité alpine exceptionnelle, soit par l'orientation, soit par l'exposition, telle que Longefoy, une des plus hautes communes de la Tarentaise, mesurant, dans la partie habitée, une altitude supérieure (de 1,200 à 1,300 mètres), et présentant les mêmes cultures grainières et fourragères des vallées alpines situées à la base du Mont-Blanc et du Mont-Joly, peu d'arbres fruitiers, mais beaucoup de prairies sèches et humides, et surtout de grandes étendues de bois résineux et saccharrifères où le mélèze, le bouleau, l'érable et le frêne dominent. L'orientation du plateau de Longefoy, du levant au couchant, son altitude et son éloignement des lignes culminantes des Alpes et de leurs contreforts, lui donnent une exposition solaire de la plus grande durée. Dans les vingt ou trente jours qui précèdent et suivent le solstice d'été, la radiation solaire diurne, au-dessus de l'horizon, y est de seize heures (2). De là vient évidemment la vigueur végétative qu'on remarque dans les bois et les beaux pâturages qui couvrent ce plateau alpin. Dans la vallée de Chamonix et des Houches, allant du nord-est au sud-ouest, profondément encaissée entre le géant des Alpes, haut de 4,811 mètres, est le Mont-Brévent, de 2,529 mètres; dans le plateau de Megève, allant du nord au midi, entre un des contreforts élevés du Mont-Blanc, le MontJoly, haut de 2,544 mètres, et la chaîne des Aravis, de 1,800 à 2,000 mètres, l'exposition solaire est de beaucoup moins longue, et partant il y a, le matin, prolongation des ombres toujours si fraîches dans ces vallées

(4) Les désignations hypsométriques rapportées dans ce mémoire ont été tirées de la nouvelle carte du duché de Savoie, Joseph Perrin éditeur, Chambéry, 1856, et de l'ouvrage de M. l'abbé Poncet, Hypsométrie de la Savoie.

(2) Très vraisemblablement Longefoy tire son nom de longfeu, longus focus, à raison de la longue radiation solaire dont ce plateau jouit, comparativement à celle des vallées encaissées qu'il domine.

voisines des glaciers éternels et accélération de celles. qui suivent la disparition du soleil, caché de bonne heure par l'éminence des crêtes alpines. L'exposition de la plaine, à Saint-Genix et à Rumilly, où on fait un peu de miel, éloignée des montagnes calcaires sous-alpines, d'ailleurs moins hautes, est toute différente; elle jouit, dans la belle saison, d'une radiation solaire constante de treize à quatorze heures par jour.

Cet exposé sur l'altitude, l'orientation et l'exposition des localités savoisiennes où l'apiculture est exercée m'a paru utile, car les différences de condition climaterique influent considérablement sur la qualité des miels qu'on y récolte, beaucoup plus que les divers genres de de culture. Dans les hautes localités apicoles, bien que leur altitude les assimile à la condition des régions hyperboréennes, la radiation solaire y est plus chaude et plus vive que dans la plaine; les nuits y sont aussi bien plus fraîches et plus humides, et c'est ce qui contribue le plus à la supériorité constante des miels de ces provenances et à la belle végétation prairiale et forestière qu'on y remarque. La considération portant sur les divers genres de culture, relativement à la qualité des miels, est d'une moindre importance, et mes observations résultant de l'analyse chimique viennent même modifier les idées absolues qu'on s'était faites à cet égard. La matière sucrée que les abeilles prennent aux végétaux est chimiquement partout la même; leur mode d'élaboration est le même aussi partout; la richesse seule de la substance saccharrine formant leur récolte industrieuse varie. La provision nutrimentaire des abeilles, limitée comme elle l'est en plaine, dans les nectaires des fleurs, où elles puisent une matière sucrée souvent peu abondante, est toujours plus riche dans les montagnes, à climat hyperboréen, où elles ont à butiner non seulement sur des fleurs, mais encore sur des arbres qui sécrètent des matières sucrées parfaitement élaborées, tels que le mélèze, le bouleau, l'érable, le frène où ces essences ligneuses saccharrifères se développent dans toute leur vigueur. Là elles puisent un suc sucré concentré qui exsude tantôt de l'écorce, tantôt des feuilles; leur nutrition saccharrine y est abondante et facile, et leur miel est d'autant plus riche en sucre grenu blanc. On peut appliquer aux miels de la montagne la différence du lait de la plaine, aux pâturages artificiels, comparé à celui qui provient des pâturages montueux. Ici le lait est plus butyreux et plus sucré, là il l'est moins et plus aqueux sous un même volume. Cette réflexion nous conduit à une considération de statique végétale importante à noter.

Il y a, dans la nature opposée des climats hyperboréens et tropicaux, des similitudes de caractères dynamiques qui leur donnent une action équivalente dans l'élaboration des sucs végétaux. C'est ici qu'on a un bel exemple de l'axiôme: les extrêmes se touchent. C'est dans les climats tropicaux, où l'hiver est inconnu, que l'élaboration du sucre au sein des végétaux saccharrifères est jugée la plus abondante; c'est aussi dans ces climats que l'élaboration des principes organiques vénéneux et résineux est le plus remarquable. Quand on cite la strychnine, la brucine, l'émétine, la morphine, la colocynthine, etc., ces poisons énergiques, nés sous un soleil homicide, les résines de benjoin, d'encens, de copal, de dammar, etc., produits d'un air puissamment échauffé et électrisé, on a un répertoire des plus notables subs

tances fournies par les pays tropicaux à l'économie domestique, à la pharmacie et aux arts. Eh bien! les climats hyperboréens, qui n'ont le bénéfice d'un chaud soleil que pendant trois mois de l'année et ont un hiver si prolongé dont les rigueurs nous semblent devoir y étouffer toute vie végétative, fournissent des produits analogues. Les forêts glacées du Canada possèdent l'érable à sucre qui donne une abondante provision de sucre candi, équivalente à celle fournie par la canne des Antilles. Le Kamschadale trouve aussi dans les champignons qui pullulent dans les steppes si froides qu'il habite, une riche provision de sucre qu'il transforme en alcool pour composer sa boisson favorite. L'élaboration saccharrine dans ces végétaux y est plus forte que dans la betterave, cultivée dans nos plaines tempérées. Il est inutile de dire ce que les forêts alpines et norwégiennes fournissent aux arts en produits résineux de pin et de mélèze. Et aussi, dans ces climats, caractérisés tant par une latitude boréale que par le séjour éternel des glaciers, s'élaborent, au sein de quelques végétaux, des poisons azotés en tout aussi énergiques que ceux des latitudes tropicales, tels que l'atropine, l'aconitine, la vératrine, la colchicine! Remarquons enfin que nos plantes alpines, tirées des verts oasis des glaciers et transplantées dans la plaine, y périssent, de même que les plantes tropicales, à cause des inégalités de la température. Elles y gèlent, ce qui n'arrive jamais dans leur habitat naturel où elles vivent chaudement sous la neige, pendant que, dans la plaine, l'arrêt de la végétatation est complet pendant la saison des frimats.

Ces rapprochements de produits similaires par une équivalente force végétative dans les climats si opposés des zones tropicales et boréales n'existent pas certainement, d'une manière si nette, dans les plaines de nos régions tempérées, où les inégalités de température compromettent souvent ou impressionnent toujours défavorablement la végétation. Il est remarquable que dans ces plaines, on ne sauve de la mort les plantes des régions glaciales et chaudes qu'en les tenant en serre pendant nos sept mois d'hiver. S'il y a, enfin, des rapprochements d'identité de force végétale dans les climats si opposés des régions chaudes et froides, il n'y en a pas moins sous le rapport des phénomènes météorologiques. La foudre, qui électrise l'atmosphère humide et brûlante des tropiques, qui nitrifie l'air de ces régions de l'orage, produit des effets aussi merveilleux dans les régions des cimes glacées des Alpes et des steppes des zones arctiques. N'observe-t-on pas, en parcourant nos forêts et nos glaciers alpins et les roches cristallines qui les encadrent, des traces de fréquentes décharges de la foudre attestant que là aussi est l'habitat du plus puissant météore de la nature; que là aussi se trouve une station de la force électrique qui fait les riches élaborations de la vie végétative? En rapportant l'attraction magnétique vers l'axe polaire, dans les régions arctiques, où ont lieu de splendides phénomènes électriques, on comprendra aisément qu'il doit s'y passer, relativement à la puissance de la végétation, des effets correspondants. Si l'on considère aussi ce que les lois du rayonnement terrestre produisent en fait de vapeurs électrisées, condensées sous forme de rosée fertilisante dans les climats tropicaux, on trouve une identité parfaite de condition météorologique par le rayonnement dans nos hautes terres alpines. Là, le

serein et la rosée y sont d'une abondance extrême. Or, des expériences précises que j'ai tentées sur l'action chimique du serein et de la rosée m'ont confirmé que ces météores aqueux ont une puissance oxydante très prononcée (1). Ce fait établit évidemment une influence des plus favorables pour la force de la vie végétative dans les altitudes alpines et y fait bénéficier la végétation avec d'autant plus de progrès que le temps de la chaude radiation solaire y est d'une courte durée. Tant de causes puissantes réunies dans ces régions, comparées à celles qui président aux élaborations des sucs végétaux précieux dans les chauds climats, électricité, chaleur, rayonnement, rosée, y favorisent admirablement la végétation. En rapportant leurs effets à la seule production du sucre dans les végétaux, objet des démonstrations de ce mémoire, n'y a-t-il pas lieu d'établir théoriquement la supériorité, d'ailleurs constatée par l'expérience, des micls alpins sur ceux de la plaine?

On s'est formé l'idée que les abeilles, en butinant sur telles ou telles plantes, en suçaient simultanément les principes sucrés, âcres et amers, d'où proviendrait la différence de qualité observée dans les miels. Cette idée assez répandue doit être rejetée. Le sarrazin et le châtaignier, si accusés par les apiculteurs ruraux, ne communiquent pas plus leur résine âcre et leur tannin au miel mou, pâteux, de la plaine, que l'aconit, son aconitine, et le mélèze sa résine balsamique au miel dur et grenu des hautes localités montagneuses. Cela a été une erreur d'observation quand on a dit que les miels blancs de Chamonix et de Megève devaient leur parfum agréable aux bouquets de bois résineux fréquentés par les abeilles. Cela a été une plus grande erreur d'imagination encore quand quelques auteurs ont écrit que les abeilles, en butinant sur des plantes narcotico-âcres, communiquaient à leur miel des qualités vénéneuses. Il n'est pas à ma connaissance qu'un pareil fait ait été justifié. Xénophon, à la vérité, dans sa relation de la retraite des dix mille, attribue l'enivrement soit la fureur ébrieuse des soldats grecs à l'usage du miel de la Colchide, contrée renommée dans l'antiquité par les plantes vénéneuses qu'elle produisait. Mais en conservant à cette relation sa valeur, il serait peut-être plus juste d'attribuer ce fait à l'usage d'un miel fermenté soit alcoomel. Or, on sait parfaitement qu'un simple mélange d'acide carbonique et d'alcool, tel qu'il s'en produit dans une substance sucrée entrée en fermentation, est capable de stupéfier et de produire les effets physiologiques de l'ivresse (2). Non: le miel est toujours un produit sain de la nature, comme le lait. Pour écarter toute idée de crainte à cet égard, reposons-nous sur un fait d'une invariable fidélité: un instinct privilégié guide toutes les bètes dans le choix de leur nourriture; cet instinct leur fait fuir les plantes dangereuses. Pour elles, d'ailleurs, la sincère nature n'a pas d'appât perfide.

Mais, à part ces raisons d'ordre moral qui ne suffi

(1) Mémoire sur l'ozone dans le serein et la rosée, lu à l'Académie impériale des sciences et belles-lettres de Savoie, le 5 juillet 1860. L'Académie en a voté l'insertion dans ses recueils. (2) Cette explication trouve d'autant mieux sa raison si le miel de Xénophon était, de sa nature, liquide. Il y a, en effet, des miels naturellement liquides; le miel du mont Hybla dans la Troade, celui du mont Hymette, dans l'Attique, sont de cette espèce.

sent pas pour convaincre les esprits peu enclins à la méditation, il y en a d'autres déduites de faits observés, contre l'opinion émise sur la production des miels vénéneux. Quoiqu'on voie les abeilles butiner sur des fleurs de plantes vénéneuses, telles que les aconits, les ancolies, les actœa, les daphnés, les solannées, etc., il ne faut pas en induire qu'elles en sucent les principes toxiques. La matière médicale pharmaceutique, très compétente en fait d'investigation toxicologique, établit, en thèse générale, que, de toutes les parties d'une plante douée d'activité, la fleur est la plus pauvre; et dans la fleur encore elle distingue la partie colorée de la partie incolore, constituée par les onglets et les extrémités inférieures des corolles, rejetée comme inerte. Or, c'est dans cette partie des fleurs, inerte pour la chimie pharmaceutique, que se trouvent les nectaires, minimes glandes mucoso-sucrées qu'entame la trompe de l'abeille.

Le fait de parfum résineux que possède quelquefois le miel si renommé de Chamonix et de Megève ne provient pas des abeilles ni des plantes résineuses qu'elles fréquentent, mais bien des petits barils à douves fraîches de sapin où il est coulé et où on le tient renfermé. Je n'ai, du moins, jamais observé de parfum résineux dans le miel de ces provenances en rayons ou coulé dans des vases de terre, et les recherches spéciales que j'ai faites dans ce but, tant sur le miel du Mont-Blanc et du Mont-Joly que sur celui de Longefoy, ne m'y ont pas révélé la moindre trace de résine balsamique.

Mais dans tous les miels de cette provenance, comme dans tous ceux de la plaine, j'ai reconnu une matière colorante et aromatique, jaune rougeâtre, insoluble dans l'eau et l'alcool, soluble dans l'éther et dans l'essence de térébenthine rectifiée. Elle existe à l'état émulsif dans ces miels et toujours en plus forte proportion dans ceux de la plaine. Elle est de nature grasse, butyreuse, intermédiaire entre les corps gras et résineux. C'est cette matière qui donne aux solutés aqueux de miel une teinte jaune et opaline. Elle existe particulièrement dans la cire jaune dont elle fait tout le principe colorant et aromatique. Elle réduit les sels solubles d'argent très promptement. La potasse caustique la dissout en la saponifiant. En saturant sa dissolution dans la potasse-par un acide fort, cette matière colorante blanchit, perd son odeur et vient surnager à la manière des acides gras. Ces caractères démontrent qu'elle est très oxydable et de la nature des acides gras.

Indépendamment de ce principe colorant et aromatique conforme aux acides gras, il y a, dans le miel, en petite quantité, un acide libre, soluble dans l'eau et dans l'alcool, à réaction très nette sur le tournesol, qui m'a paru différer des acides organiques connus, à en juger par les caractères qu'il revêt au contact des réactifs. Je décrirai, dans la partie chimique de ce mémoire, comment j'ai observé ces deux produits acides dont il n'a pas été, que je sache, encore fait une étude. J'ai reconnu, de plus, à l'état constant, mais seulement dans les miels alpins, la présence du sucre de canne, déjà annoncée par deux observateurs, et une notable quantité de mannite. Ces faits réunis m'ont paru devoir intéresser l'histoire chimique du miel encore peu avancée. (Sera continué). CH. CALLOUD.

Chambéry, 31 mai 1864.

Annecy, typ. Thésio.

CORRESPONDANCE SCIENTIFIQUE
Genève, 15 juin 1861.

Sur la solidification de quelques substances - M. L. Dufour s'est occupé de recherches en vue d'etablir la théorie de la formation de la grèle. Nous nous contenterons d'y renvoyer nos lecteurs; mais nous voulons relater ici une ou deux expériences accessoires concernant le point auquel certains corps se solidifient. D'après le physicien de Lausanne, on peut, avec une grande facilité, amener l'eau à des températures bien inférieures à 0o sans qu'elle gele. La méthode à suivre consiste à faire un mélange de chloroforme et d'huile en proportions telles que la densité du melange soit la même que celle de l'eau Placée dans ce liquide, l'eau s'y maintient suspendue en sphères parfaites et se trouve en dehors de tout contact solide. M. Dufour a tenté d'étendre ses experiences à d'autres substances. La difficulté est de trouver des liquides convenables. M. Dufour y a réussi dans quelques cas, et il a reconnu que le soufre et le phosphore fondus dans une solution convenablement concentrée de chlorure de zinc, recouverte d'une couche d'huile, s'y réunissent en sphères qui flottent librement dans le liquide. Par le refroidissement, ces deux corps peuvent conserver l'état liquide, à des températures bien inferieures à leur point de fusion, dans certains cas à 0° mème (le soufre fondant à 115° et le phosphore à 44°). La

naphtaline fondue dans l'eau se comporte de même Le sodium

et le potassium chauffes, le premier dans la naphtaline, et le second dans un mélange de naphtaline et de pétrole, prennent bien, en se liquefiant, la forme sphérique, mais leur solidification a lien au point habituel de fusion. Ces deux métaux subissent dans le liquide une alteration partielle qui influe peut-être sur le phénomène et l'empêche de se produire comme pour le phosphore et le soufre (1).

Sur l'ébullition des liquides. - M. L. Dufour a fait connaître à l'Academie des sciences (séance du 15 mai 1861), les expériences suivantes : « Si l'on prend de l'essence de girofle additionnée d'une petite quantite d'huile, on a un liquide où l'eau se maintient en équilibre, en sphères parfaites et librement mobiles dans l'intérieur. Si l'on chauffe avec précaution, on dépasse toujours et souvent même de beaucoup 100° avant que Tebullition de l'eau ait lieu. On peut arriver à 120", 140° et même 176: si, entrainés par les courants inevitables qu'occasionne le réchauffement, les globules viennent heurter les parois du vase, il y a brusque production d'une bulle de vapeur et le globule devenu plus petit est violemment repoussé loin du point où l'explosion à eu lieu. Le chloroforme chauffé dans du chlorure de zinc produit des phénomènes semblables, et il est à présumer qu'il en sera de même pour d'autres liquides. Dès lors nos idées sur le point d'ébullition des liquides devront se modifier dans le mème sens que celles sur leur solidification. » (Voir plus haut.) M. DELAFONTAINE.

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Année

10 7

(Omnes omnium caritates patria una complexa est.)

18 juillet 1861

ON S'ABONNE

EN FRANCE

REVUE SAVOISIENNE

Par un bon postal à l'or- JOURNAL PUBLIÉ PAR L'ASSOCIATION FLORIMONTANE D'ANNECY dre du Directeur;

A L'ÉTRANGER

Par un effet sur une maison d'Annecy.

La Revue rendra compte des ouvrages dont deux exemplaires lui auront été adressés.

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SOMMAIRE. Mémoire sur les miels de la Savoie (IIe partie), par M. Ch. Calloud. Archéologie voies romaines (suite), par M. Ducis. Notes géologiques sur la Savoie (suite), par M. G. de Mortillet. Quelques inscriptions recueillies en Savoie (suite), par M. F. Rabut.― Bulletin scientifique, par M. M. Delafontaine. Correspondance.

Chronique.

MÉMOIRE SUR LES MIELS DE LA SAVOIE

(Deuxième partie)

Les huit échantillons de miel des diverses provenances indiquées que j'ai soumis à des études ont été l'objet de traitements identiques. Je m'étais proposé pour but d'établir fidèlement une comparaison entre eux, d'après les résultats d'une analyse chimique. Je me suis donc appliqué à isoler et à prendre le poids de chacun des principes constituants du miel. Ainsi j'ai dû faire le dosage: 1° du sucre grenu (glycose); 2o du sucre fluide, incristallisable (mellose); 3° de l'eau d'hydratation; 4° de la matière colorante aromatique. Je me suis attaché à la détermination précise de ces quatre principes, les seuls qui m'ont paru devoir fournir une base pour spécifier la qualité des miels. En effet, par la plus ou moins grande proportion relative du sucre solide, du sucre fluide et de l'eau d'hydratation, on a les termes de la différence remarquée entre les miels fermes et les miels mous, et par la plus ou moins grande quantité de la matière colorante, on a l'expression exacte des miels colorés et des miels blancs. Indépendamment de ces quatre principes essentiels, l'analyse m'en a fait rencontrer d'autres accessoires, tels que l'acide libre, le sucre candi et la mannite. Ces deux derniers, par leur nature solide, augmentent la fermeté des miels; ils sont particuliers aux miels alpins provenant de localités pourvues en végétaux qui sécrètent du sucre de canne et de la manne. La seule indication de leur présence est un titre de faveur, car elle est une preuve que les abeilles ont eu naturellement une abondante provision saccharine. Quant à l'acide libre, i s'est trouvé identique dans tous les miels; j'ai été amené à le considérer, d'après ses caractères, non comme produit végétal, mais comme une sécrétion physiologique de l'abeille même.

Mes études sur les miels de Savoie ont été faites dans la période de 1854 à 1860. Je n'ai analysé que ceux des

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localités que j'avais visitées et où j'avais pu me procurer des rayons frais, pendant mes tournées comme visiteur des pharmacies. En 1854, j'ai commencé mes essais d'analyse sur les miels de St-Genix et de Rumilly; en 1855, je les ai continuées sur ceux des Houches, Megève et Flumet; en 1856, sur ceux de Jarsy; en 1857-58, sur ceux de Montcel, enfin, en 1860, sur le miel de Longefoy. Indépendamment des miels de ces provenances recueillis sur place à l'état de rayons frais, j'en ai examiné d'autres que je m'étais procuré à l'état de miel fait. Ils m'ont tous présenté, relativement à leur provenance, des caractères communs, identiques, à peu de différence près : les miels de la plaine, mous, colorés et odorants; ceux des altitudes subalpines, un peu plus fermes, de consistance pâteuse, de couleur citrine et à odeur fine de miel; ceux des altitudes alpines, durs, grenus, blancs ou d'une teinte citrine pâle, à odeur plus fine encore ou presque inodores. La constance des caractères distincts des miels provenant de ces trois régions, Alpes, sous-Alpes, plaine, est, à mon avis, une démonstration péremptoire de la nature des sucres qui y sont élaborés électivement par les végétaux. L'espèce d'abeille étant la même pour toutes ces régions, il n'y a aucun doute à élever à cet égard. Cette démonstration étant juste, on peut établir que l'espèce de sucre élaborée par les végétaux de la plaine est principalement du sucre fluide, incristallisable, de la nature de celui des fruits et de la mélasse, et que l'espèce sécrétée par les végétaux des altitudes alpines est particulièrement du sucre cristallisable (de canne et de raisin ou glycose). Très probablement, sans la légère modification moléculaire que l'abeille opère sur les sucres solides des végétaux, les miels alpins ne seraient formés que de cristaux diaphanes de sucre candi. Comme aussi, si, dans la plaine, les végétaux fréquentés par les abeilles n'avaient pas d'autre sucre que le sucre fluide, on y récolterait des miels liquides. Ces observations expliquent les différences de consistance qu'on remarque dans les miels. Le fait de fluidité du célèbre miel du mont Hymette, comparable, pour l'aspect, au plus beau sirop de guimauve, qu'on ne parvenait pas à expliquer parce que, en général, les miels sont consistants, n'a pas d'autre cause.

Il suit de ces observations qu'on peut, par l'état des miels de telle ou telle région, juger des espèces de sucre qui y sont élaborés électivement par les végétaux. L'industrie des sucres indigènes, qui cherche

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