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partisan et défenseur des mouvements réguliers, réglės, froids, calmes, académiques, qui prétend que les grandes dislocations du globe ont eu le bon esprit de se faire suivant des lignes droites, parallèles pour des soulèvements de même époque. C'est un des plus terribles adversaires de ces pauvres fossiles végétaux qui suivant lui n'ont aucune valeur.

A côté d'Elie de Beaumont, partageant les mêmes idées, se trouve Angelo Sismonda, de Turin, auteur d'une belle et excellente carte géologique des anciens EtatsSardes de terre-ferme.

Puis vient Fournet, de Lyon, qui a publié plusieurs très bons travaux sur les Alpes.

Entre les deux partis se trouvent les géologues anglais qui, grands partisans du système constitutionnel parlementaire, doivent naturellement être justemilieu. Je ne citerai que Murchison qui, en parlant de Petit-Cœur, donne tout à la fois raison à Elie de Beaumont et cherche à satisfaire ceux qui sont d'un avis contraire (1).

Est-ce tout?

Non! il y a encore le parti socialiste, représenté par un géologue, Scipion Gras, de Grenoble, qui a grandement contribué à faire connaître les Alpes. Comme les révolutionnaires il admet que la chaîne des Alpes est remarquable par les bouleversements immenses et variés auxquels elle doit son origine..... Les couches bouleversées dans tous les sens, altérées par les agents plutoniques, sont liées par des relations géologiques difficiles à saisir et qui souvent paraissent contradictoires (2). Comme eux, profondément ému du sort des déshérités, il réhabilite les plantes fossiles; mais dépassant le but, il prend tellement leur intérêt en main qu'il finit par leur donner le pas sur les fossiles animaux qui n'ont plus de valeur pour lui. Comme il arrive souvent que les extrêmes se touchent, Scipion Gras, négligeant les fossiles animaux, se trouve forcé d'avoir recours à des données stratigraphiques et arrive aux mêmes conclusions que les conservateurs.

Il n'y a donc à s'occuper que des deux grands partis conservateurs et révolutionnaires.

La lutte s'est engagée à propos des terrains de sédiment qui composent l'intérieur des Alpes, et qui sont genéralement désignés sous le nom commun de TERRAINS ANTHRACIFÈRES.

Ces terrains, qui reposent sur les roches cristallines, contiennent:

Des poudingues, en général talqueux, avec cailloux de quartz et de roches cristallines;

Des grès plus ou moins talqueux;

Des schistes argileux noirs avec empreintes de plantes terrestres;

Des couches d'anthracite intercalées dans les schistes et qui, étant la substance qui a le plus attiré l'attention, vu son importance économique et industrielle, est celle qui a donné son nom à l'ensemble de ces terrains; Des quartzites d'un beau blanc très durs ;

Des roches dolomitiques, se décomposant souvent à l'air et prenant l'aspect d'un tuf; c'est ce qu'on appelle les cargnieules;

(4) On the geological structure of the Alps, 1849; IV, 2. La partie concernant Petit-Cœur a été traduite dans le journal Les Alpes, n° 2, 1850.

(2) Bull. soc. géol. France, 1844, Réunion à Chambéry, p. 90.

Des gypses qui à l'intérieur deviennent de l'anhydrite; Des calcaires plus ou moins compacts, avec des fossiles animaux;

Des ardoises parfois très saines, parfois toutes en décomposition, formant de puissantes assises, contenant quelquefois des fossiles animaux et parfois aussi des empreintes de fucus, plantes marines;

Enfin de nouveaux poudingues avec des cailloux divers, parmi lesquels il y en a beaucoup de calcaires. Tout cet ensemble de roches a une puissance énorme. Pour le subdiviser, les conservateurs, les partisans de l'ordre ne s'en rapportent qu'aux données stratigraphiques.

Les révolutionnaires, au contraire, sachant combien les terrains alpins ont été tourmentés et bouleversés, cherchent uniquement leur point d'appui et de départ dans la détermination du peu de fossiles, tant animaux que végétaux, qu'on y rencontre.

Le fait qui a mis en présence les deux partis et les a divisés en deux camps, toujours en lutte bien que se battant à armes courtoises, est la découverte du gisement de Petit-Coeur, près de Moûtiers, en Tarentaise.

Cette découverte du fait géologique le plus anormal connu jusqu'à présent, est due à Elie de Beaumont (1) et a eu lieu en 1828.

A Petit-Cœur coule un torrent dans le lit duquel, un peu au-dessus du village, on voit la jonction des roches cristallines et des terrains sédimentaires. La partie inférieure de ces derniers se compose d'un grès schisteux, talqueux, grisâtre, sur lequel repose une couche d'environ 14 mètres d'épaisseur d'un schiste argilo-calcaire très fossile, contenant un grand nombre de bélemnites et des débris d'entroques. Immédiatement au-dessus, sans passage bien tranché, vient une argile schisteuse noire avec anthracite, et contenant à sa partie supérieure un grand nombre d'empreintes végétales appartenant aux plantes houillères; puissance 1 mètre 50. Puis réapparaissent des grès schisteux, talqueux, grisâtres, sur lesquels se développe une puissante assise de schistes ardoisiens avec bélemnites. Le tout paraît être en stratification très régulière et parfaitement concordante. Ainsi, dans cette localité, des schistes à bélemnites se trouvent inférieurs à des schistes à empreintes de plantes houillères, et ces empreintes sont intercalées entre deux assises à bélemnites. Ce fait, tout anormal qu'il est, puisque les bélemnites, fossiles propres à l'époque jurassique ou à des époques encore plus récentes, et les empreintes houillères de l'époque carboniférienne caractérisent deux terrains d'époque très différente, séparés par la longue période triasique, ce fait, dis-je, a été constaté par tous les géologues qui ont visité la localité, et parmi eux se trouvent les noms les plus célèbres.

Il reste à savoir si les fossiles ont été exactement déterminés ? Pour les plantes il ne saurait y avoir de doute. Adolphe Brongniart, en 1828, qui a eu en communication les échantillons d'Elie de Beaumont, cite huit espèces de Petit-Cœur, sur lesquelles sept déjà connues appartienent uniquement à la flore houillère. Bunbury ayant étudié, en 1848, les échantillons du

(1) Notice sur un gisement de végétaux fossiles et de bélemnites situé à Petit-Cœur, près Moûtiers en Tarentaise, dans les | Annales des scienc. nat. vol. XIV, p. 413.

musée de Turin, arrive à des conclusions analogues. Enfin Oswald Heer, en 1850, établit que sur dix-sept espèces venant de Petit-Coeur qui se trouvent dans les musées de Bâle et de Zurich, il y en a une de douteuse, cinq de spéciales mais offrant tous les caractères de la flore houillère, et onze qui appartiennent positivement à cette flore, sans un mélange de plantes d'époque postérieure, le trias et le lias.

Il n'y pas de doute non plus pour les fossiles animaux. Tous les géologues qui ont visité Petit-Coeur, ou qui en ont vu les fossiles, ont reconnu les bélemnites, genre qui, s'il descend au-dessous du lias, ne va pas plus loin que les couches qui lui sont immédiatement inférieures, l'infra-lias qui rentre encore dans la période jurassique. En 1852, j'ai signalé la découverte faite par Thabuis d'un fragment d'Ammonites Bucklandi Sow. dans les schistes à bélemnites inférieurs aux empreintes de plantes de Petit-Cœur, et j'ai reconnu les bélemnites pour être le Belemnites acutus Mill., fossiles qui l'un et l'autre appartiennent au lias le plus inférieur. Les bélemnites supérieures appartiennent à d'autres espèces encore plus récentes (1). J'ai déposé au musée d'Annecy un morceau des schistes inférieurs aux empreintes de plantes, avec l'empreinte parfaitement nette de la face étoilée d'un anneau de pentacrine.

Le fait de l'intercalation régulière, entre deux assises à bélemnites, d'empreintes de plantes houillères, plantes qui, dans tous les autres pays, sont constamment de beaucoup inférieures aux couches contenant des bélemnites, est, pour la localité de Petit-Cœur, incontestable.

Reste à l'expliquer.

Les conservateurs, Elie de Beaumont en tête, considèrent la stratification de Petit-Coeur comme parfaitement normale et admettent la contemporanéité des plantes houillères avec les fossiles animaux d'époque jurassique. Puis étendant ce mélange à tous les terrains sédimentaires de l'intérieur des Alpes, ils ne tiennent plus compte des plantes, et, après s'être servis des fossiles animaux pour déterminer une zone liasique, ils subdivisent l'anthracifère des Alpes en trois ou quatre terrains d'après de simples considérations stratigraphiques. Chacun de ces prétendus terrains se compose d'assises de grès à la base et d'assises de calcaires et d'ardoises au sommet. Presque toutes les assises de grès contiennent des empreintes de plantes qui toujours sont d'espèces houillères.

Les révolutionnaires au contraire, se basant sur la distinction de la flore et de la faune, admettent qu'à Petit-Coeur, par suite d'un bouleversement, il y a eu une interversion de l'ordre naturel des couches. Jusqu'à présent on n'a pas pu expliquer d'une manière satisfaisante, pour ce point spécial, de quelle manière l'interversion s'est produite, mais les considérations paléontologiques ne sauraient laisser de doute à l'égard de son existence. Transportant sur les autres points des Alpes l'idée de révolutions, au lieu d'admettre des successions de terrains formés tous d'une double assise de grès et de calcaire, ils ne voient dans les grès à empreintes végétales houillères qu'un seul et même terrain.

(1) Pour de plus amples détails et pour toutes les indications bibliographiques. on peut consulter ma Geologie et Minéralogie de la Savoie, 1858, p. 56 à 61 et 162 à 172.

houiller qui, par suite de dislocations, se montre au jour en divers endroits, associé partout aux mêmes calcaires et aux mêmes ardoises de l'époque liasique. Si parfois ces calcaires et ces ardoises sont inférieurs au grès et plongent au-dessous d'eux, comme cela a lieu entre le Petit-Saint-Bernard et Valloires, c'est qu'il y a eu une révolution telle qu'il s'est opéré un vaste renversement des couches sur une longue étendue.

Malheureusement les fossiles sont très peu nombreux et assez mal conservés, dans les formations alpines désignées sous le nom commun de terrains anthracifères. Pour suppléer autant que possible à cette pénurie et jeter un nouveau jour sur les questions, j'ai étudié d'une manière spéciale les cailloux contenus dans les poudingues mêlés au grès. J'ai reconnu que presque tous ces poudingues, classés dans des époques très diverses par les conservateurs, et supposés par eux en grande partie postérieurs à d'énormes assises calcaires, contiennent pourtant tous les mêmes fragments de roches, et que parmi ces fragments aucun n'est calcaire. D'après cela il est tout naturel d'admettre que ces divers poudingues appartiennent à une seule et même époque antérieure au dépôt des grandes assises calcaires.

J'ai dit précédemment presque tous ces poudingues, parce qu'il en est un, aux Aiguilles d'Arves, qui fait exception. Celui-là, qui est réellement postérieur aux dépôts calcaires, contient de nombreux cailloux provenant de ces dépôts. L'étude du poudingue des Aiguilles d'Arves et des grès qui lui sont associés a donné lieu à une belle découverte faite l'année passée par Lory et Pillet, découverte dont je parlerai dans un autre paragraphe.

Enfin, pour en finir avec les phénomènes révolutionnaires qui se sont produits dans les Alpes et qui masquent plus ou moins la véritable disposition des diverses parties du terrain anthracifère, je répèterai ce que j'ai déjà dit dans ma Géologie et Minéralogie de la Savoie tous ces phénomènes peuvent se classer dans trois grandes catégories dans lesquelles se rangent toutes les prétendues anomalies; ce sont les Intercalations, les Enclaves et les Trouées.

Les INTERCALATIONS consistent dans l'introduction de couches d'un terrain au milieu de couches ou feuillets d'un autre terrain. C'est le résultat d'un plissement complet, d'un renversement partiel ou du glissement d'une portion de terrain dans les fentes d'un autre. Par suite de ces divers accidents, l'intercalation peut être si complète, si régulière, que les couches des deux terrains paraissent être en stratification concordante.

Petit-Cœur offre une simple intercalation d'un lambeau de lias au milieu d'une assise houillère.

Tout près de Petit-Coeur, dans la montagne qui est en face, de l'autre côté de l'Isère, à la Cudraz, audessus de Briançon, on trouve une autre intercalation qui semble placée là pour expliquer la précédente. Des couches de grès talqueux, à grains plus ou moins gros, qui alternent avec des schistes argileux noirs renfermant de l'anthracite, d'une puissance totale de 20 mètres, sont intercalées au milieu des feuillets du straschiste et paraissent être en concordance de stratification

avec eux.

Un autre bel exemple d'intercalation peut s'observer au Fontanu à Beaufort. On voit là un lambeau de couches à anthracite houiller et de calcaire jurassique,

intercalé au milieu des schistes cristallins. Ces couches, dont l'ensemble a très peu de puissance, sont pincées par les roches cristallines qui les maintiennent au milieu d'elles.

On pourrait multiplier ces exemples pour ce qui concerne les terrains anthracifères. Mais ce n'est pas seulement dans ces terrains qu'on observe des intercalations. Toutes les formations de la Savoie en présentent. Je me contenterai de citer les intercalations de gault, crétacé supérieur et terrain nummulitique, au milieu des couches repliées de l'urgonien qui se montrent d'une manière si nette au col de la montagne de Veyrier, près d'Annecy, et dans la montagne de Galoppaz en Beauges, et l'intercalation d'un lambeau de grès tertiaire dans les couches néocomiennes des Hivernages, aux Voirons, près de Genève, grès et néocomien qui paraissent en parfaite concordance de stratification (1).

Le phénomène des intercalations ne pourrait-il pas aussi servir d'explication à ces fameuses colonies découvertes par Barrande dans le silurien de Bohême ? Ce qui le ferait croire, c'est la Coupe des plaines de Castille, au centre de la chaine Cantabrique, province de Léon, donnée par Casiano de Prado, où l'on voit une intercalation analogue. Les couches à faune primordiale sont intercalées au milieu des couches dévoniennes (2).

Les ENCLAVES, lambeaux de terrains supérieurs entièrement isolés au milieu d'une région occupée par des terrains inférieurs.

Dans les régions cristallines de Savoie on rencontre assez souvent des enclaves de grès anthracifères surmontés de schistes ardoisiens, de cargnieules et de calcaires. Ces enclaves, complètement indépendantes, sont superposées au cristallin. Un bel exemple se voit au Grammont dans la vallée de Beaufort. Quand on remonte le ravin de l'Argentine jusque près de sa source, aux Rognots, et qu'on s'élève sur la gauche vers les crêtes qui forment là un petit bassin, on trouve ces crêtes formées de grès siliceux appartenant au terrain. houiller. Ils sont en couches bien nettes, peu inclinées, reposant sur les tranches des feuillets presque verticaux du straschiste cristallin. Ces grès sont recouverts de cargnieules en stratification concordante qui forment le sol des pâturages supérieurs du Grammont où se trouvent les chalets. Grès et cargnieules sont complètement isolés et enclavés au milieu des roches cristallines; mais ils n'en sont pas moins tout-à-fait distincts.

On voit une enclave de terrain houiller à anthracite avec schistes ardoisiens du lias, venant de la Tarentaise et se prolongeant en Maurienne au-dessus du MontSapey et d'Argentine.

Il en existe une autre dans la vallée qui s'ouvre audessus des Girauds, hameau de Saint-Rémi, en Maurienne, etc.

On trouve aussi des enclaves jurassiques, composées de cargnieules, de gypses, de calcaires et surtout de schistes ardoisiens, au milieu des espaces occupés par les grès houillers à anthracite. Je citerai seulement celle qui existe entre les mines de Pesey et de Macot.

Les TROUÉES sont l'inverse des enclaves. Ce sont des

(1) Description des fossiles du terrain néocomien des Voirons, dans Matériaux pour servir à la paléontologie suisse, de F.-J. Pictet, pl. A.

(2) Bulletin de la Société géologique de France, 1860, v. XVII, P. 521.

portions de terrains inférieurs qui ont percé les couches des terrains supérieurs et se montrent isolées au milieu d'elles, comme des îles qui sortent du sein des eaux et se montrent à la surface.

Tout près de Moûtiers on peut observer plusieurs trouées de couches houillères à anthracite au milieu du terrain jurassique. La plus facile à examiner se trouve dans la plaine même où est bâtie la ville, à Chandanne, sur la gauche de la route en arrivant d'Aigueblanche.

Au-delà de Salins, en bas de Villarlurin, dans l'angle formé par la jonction du Doron venant de Brides et du torrent de la vallée de Belleville, il y a une autre trouée. de grès à anthracite.

Mais outre ces trouées sur de petites proportions, il y en a d'autres sur des proportions bien autrement grandes. Les divers massifs cristallins de la Savoie ne sont autre chose que de vastes trouées au milieu des terrains de sédiment, de grandes boutonnières, comme les appelle Elie de Beaumont.

Le grand massif de grès houiller à anthracite qui va du Piémont jusqu'en Dauphiné, en traversant la Tarentaise, entre le Bourg Saint-Maurice et Tignes, et la Maurienne, entre Saint-Michel et Modane, n'est autre chose aussi qu'une immense trouée qui s'est fait jour à travers les couches jurassiques. Il est étonnant qu'Elie de Beaumont, qui a si bien caractérisé les boutonnières cristallines, n'ait pas reconnu cette belle boutonnière anthracifère.

Les trouées, en se faisant jour, ont naturellement déchiré les terrains supérieurs; c'est ce qui fait que des lambeaux sont restés sur leur dos et ont formé les enclaves. Ces trouées ont aussi, en apparaissant, occasionné de nombreux bouleversements. C'est à ces bouleversements qu'il faut attribuer la formation des intercalations. En effet, les trouées ont soulevé, redressé, renversé, recourbé, plissé les couches supérieures, phénomènes qui se sont parfois produits dans de fort grandes proportions, comme le renversement des terrains sédimentaires de la vallée de Chamonix qui plongent sous les roches cristallines du massif du Mont-Blanc, comme le renversement qui a eu lieu sur une échelle encore bien plus grande le long de la trouée de grès anthracifères de Tarentaise et de Maurienne, entre le Petit-Saint-Bernard et la vallée de

Valloires.

Les trouées ont mis à jour des roches anciennes jusqu'au milieu des terrains les plus récents. Je me contenterai de citer la montagne des Anes, dans la vallée du Reposoir en Faucigny, trouée de calcaire jurassique qui a percé les terrains crétacés et les terrains nummulitiques.

Les Intercalations, les Enclaves et les Trouées sont trois phénomènes très fréquents dans les Alpes et qui, faute de bonne définition, jusqu'à présent, ont souvent fort embarrassé les géologues et les ont même parfois induits en erreur de la manière la plus fâcheuse. Ce sont eux qui ont occasionné presque toutes les dissidences et les différences d'opinion. Il était donc nécessaire de bien les définir. Avec ces trois phénomènes on peut rendre compte de toutes les anomalies que présente la géologie des Alpes.

GABRIEL DE MORTILLET.

GÊNES

(Suite)

Mais voici précisément du gothique : la cathédrale de Saint-Laurent. Ce serait un bel exemple du passage du plein cintre à l'ogive, si des restaurations ne lui avaient enlevé en partie son cachet primitif: restauration, dans l'art, est un terme trop souvent synonyme de dégradation. L'extérieur est la partie la moins maltraitée. Des assises alternatives de marbre blanc et noir donnent aux murailles une physionomie sévère. Un escalier, gardé par des lions de marbre, conduit aux trois portails de la façade. A droite et à gauche s'élèvent des clochers inégaux; au milieu, une rose épanouit ses rayons. De fines colonnettes ornent les portails, dont le principal offre dans le tympan le martyre du patron de l'église. Çà et là, sur les murs, se montrent des inscriptions gothiques; de pieux personnages, taillés en demi-bosse, joignent les mains avec ferveur, comme pour repousser les attaques des monstres qui grimacent à l'ombre de quelque moulure. Jusqu'ici, rien que de très moyenâge. Entrons. Heu!... des colonnes de marbre chocolat, avec des chapiteaux composites! Et au-dessus, une voûte moderne où l'on voit bâiller des fenêtres carrées! Là-bas, l'oeuvre sainte d'une époque d'art et d'enthousiasme; ici, un échantillon du style des gares.

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Les vernisseurs n'ont respecté que la chapelle de saint Jean-Baptiste. D'anciennes statues veillent autour de la châsse de marbre blanc, historiée de figurines et entourée de chaînes auxquelles se rapportent des souvenirs historiques: plusieurs de ces chaînes, appendues aux anciennes portes de la ville, ont été prises par les Gênois au port de Pise, dont elles barraient l'ouverture. Notons en passant que l'entrée de la chapelle est interdite au sexe féminin; une bulle d'Innocent VIII prescrit cet acte de lèse-gracieuseté comme pour rendre toutes les femmes présentes et futures solidaires du crime d'Hérodiade.

II

Le palais Doria occupe avec ses jardins un espace très étendu au bord de la mer. Du côté de la ville, il rappelle assez une caserne abandonnée, avec ses longs murs nus, délabrés, en partie veufs de leur crépissure. Du côté de la mer, c'est autre chose : une belle colonnade de marbre blanc supporte une terrasse; en avant, le jardin avec une fontaine monumentale, et, comme ornement principal, une vue magnifique sur l'amphithéâtre de la ville et du port. Au plafond de la salle d'entrée on voit une fresque de Pierino del Vaga, où les tons faux et ocreux contrastent avec de bonnes qualités de composition. Sur une autre voûte, la fresque, aussi de Pierino, représente Jupiter qui foudroie les Géants. Certains livres en font un grand éloge; sans doute l'élève de Raphaël s'est distingué par la variété des attitudes et par la conception de la scène; mais avec la meilleure volonté je n'ai pas pu m'enthousiasmer devant des contours durement tracés, pas plus que pour l'idée qu'a eue l'artiste de représenter les Géants avec des chairs d'un rose tendre, et par contre, les déesses avec la peau cuivrée des Hurons.

En passant sur la place de l'Acqua Verde, j'ai remarqué au centre un piedestal inachevé. Un beau jour, les

Génois s'étant rappelé que Christophe Colomb était leur concitoyen, quelques amateurs de monuments commėmoratifs ont proposé de lui élever n'importe quoi. Après avoir éliminé plusieurs projets d'une belle conception, mais qui coûtaient un peu cher, on s'est décidé à établir quelque chose sur la place en question, et là-dessus on a commencé, il y plusieurs années, à apporter trois marches et une pierre; puis la construction en est restée là. Des gens qui pensent que Collomb a pu enrichir Gênes avec sa découverte, ont bien proposé de lui ériger une statue sur la promenade de l'Acquasola; mais jusqu'ici l'on ne voit encore rien venir une statue! ça rapporte-t-il un dividende?

Cependant un particulier a voulu rendre hommage au navigateur sorti de Cogoleto. Le palais Farraggiana présente sur la face tournée vers l'Acqua Verde un basrelief dans un fronton, et au-dessous, cette légende d'une éloquente simplicité :

CRISTOFORO COLOMBO SCOPRI L'AMERICA.

En suivant, depuis cet édifice, la rue Balbi, une des moins étroites, on rencontre d'abord le Palais-Royal, style rococo du XVIIe siècle. Puis vient l'Université, avec un vaste escalier, tout en marbre blanc, cela va sans dire. La disposition de ce palais offre un détail très original. Après avoir escaladé six à sept étages d'un escalier où sont encastrées une quantité d'inscriptions du moyen-âge, on est très surpris, au lieu de se voir entouré de lucarnes et de cheminées, de se trouver au milieu d'un jardin botanique. C'est un salmis incohérent de plantes en pleine terre et de vases groupés sur cinq ou six terrasses superposées, d'où l'on a des échappées ravissantes sur la ville et les collines. Il y a dans les serres une belle série de Cycadées, ces plantes à la tournure excentrique, comme tout ce qui naît dans la Nouvelle-Hollande. Deux aloès croissent en pleine terre et ne paraissent pas trop ébahis de se rencontrer face à face par-dessus les toits.

Dans le même palais, le cabinet d'histoire naturelle ne présente desaillant qu'un Eunectes murinus, énorme serpent du Brésil, et un jeune gnou à mine rébarbative. L'administration du musée est à l'abri de tout reproche quant à l'excès dans l'ordre et le bon goût. D'affreuses vitrines à carreaux lilliputiens renferment pêle-mêle toutes les classes d'animaux, comme au sortir de l'arche; l'oiseau heurte le poisson, et celui-ci prend ses ébats au milieu des fragments de tasses et de soucoupes qui servent de réceptacle aux minéraux. S'il est vrai que Souvent un beau désordre est l'effet du génie,

les directeurs du musée auraient droit à une place de premier choix au Panthéon.

Voulez-vous visiter avec moi les établissements maritimes de l'Etat ? Ils comprennent la Darse, l'arsenal, les ateliers et le bagne. Je vous ferai grâce d'une dissertation sur les perfectionnements introduits dans l'aménagement des navires qui reçoivent là-bas, dans le bassin de carénage, leur dernière couche de brai et de vernis ; il faudrait pour cela un attirail de mots techniques qui pourraient ne pas divertir outre mesure les lectrices de la Revue savoisienne; les collaborateurs de la Revue se figurent, comme tant d'autres, qu'ils ont des lectrices; c'est une illusion dans le hamac de laquelle tout homme armé d'une plume aime à se ber

cer... Bon, déjà un terme de marine! Eloignons-nous du bassin de carénage.

On ne peut faire un pas autour des ateliers sans rencontrer quelque forçat occupé le plus souvent à simuler l'occupation. Les gredins! ont-ils une mine assez effrayante avec leurs orbites caves où flamboie une petite prunelle au milieu d'un cercle blanc! Ce n'est plus le regard de l'homme, c'est celui du jaguar ou de la vipère. Il portent la même livrée que nos galériens: la veste rouge et le bonnet vert pour les condamnés à perpétuité; le bonnet rouge distinctif des forçats à temps, et le bariolage de manches jaunes sur la veste rouge pour ceux qui sont profondément vertueux et qui n'ont plus qu'une ou deux années à rester en pension avant de retourner dans le monde. Ils se réjouissent d'y faire leur rentrée avec éclat, instruits par le contact de camarades plus habiles dans l'art d'effaroucher les toccantes, ou de refroidir quelque riche dabuche avant qu'elle ait donné l'éveil à la juste, ou d'exposer un homme à une fièvre cérébrale en jactant par la venterne.

Si vous n'êtes pas assez admirateur de certaine école littéraire pour trouver du charme dans ce jaspinement du truc, je vais reprendre le langage des honnêtes gens.

L'église de la marine forme un parallélogramme. La longueur, en réalité considérable, paraît encore augmentée par le peu de hauteur d'une voûte composée de poutrelles rapprochées, comme dans l'entrepôt d'un vaisseau. Les murs sont ornés de belles lithographies de Stanislas Grimaldi; elles représentent en grand format les épisodes de la guerre de l'indépendance italienne en 1848 et 1849. On ne saurait consacrer au Deus Sabaoth une plus digne offrande.

Il n'est aucun touriste qui ne se promène dans la rue des Orfèvres, pour occuper ses heures de flânerie à différents sujets d'étude que je vais énumérer. Primo, arrêtez-vous quelques instants devant les magasins d'orfèvrerie, à moins que vous n'ayez au bras une épouse ou une nièce susceptible de porter atteinte à l'intégrité de votre porte-monnaie par quelque penchant pour les ornements en corail. C'est qu'il y a matière à tentation! C'est à Gènes, comme on le sait, que l'on travaille plus particulièrement le corail. Maintenant qu'il est revenu à la mode, il envahit les étalages des bijoutiers; le filigrane d'argent, qui a fait jadis la réputation de Gênes, se blottit confus sous des pyramides de colliers et de bracelets. N'oublions pas de mentionner une curiosité intéressante comme étude de mœurs : les breloques destinées à conjurer les effets de la jettatura, du mauvais œil. En Italie, et peut-être ailleurs, certaines gens ont dans le regard une puissance magique telle qu'il leur suffit de porter les yeux sur quelqu'un, avec de bonnes ou de perverses intentions, pour que ce quelqu'un tombe sous l'empire du mauvais sort. Alors toutes les entreprises du malheureux échouent, les maux fondent sur sa tête dru comme grêle. Mais le mal a son préservatif; l'effet de la jettatura est réduit à néant si l'on peut tourner contre l'homme aux sortiléges un objet affectant la forme de deux cornes. Le moyen le plus simple est d'utiliser le geste des enfants qui veulent mortifier un adversaire; mais il a fallu inventer une amulette pour les gens formés aux bonnes manières, toujours avec la condition que j'ai indiquée. Vous savez maintenant pourquoi vous voyez dans les vitrines des orfèvres cette quantité de breloques en or ou en corail

représentant, celle-ci une tête de taureau des plus haut encornés, celle-là un poisson dont la nageoire caudale se partage en fourche, ou cette autre une main qui n'ouvre que l'index et le petit doigt. Avec cela vous pouvez affronter les regards les plus transperçants et les incantations les plus abracadabrantes.

Une autre curiosité, c'est la boutique de l'illustre Romanengo, le confiseur qui remplit la Ligurie de la renommée de ses marrons glacés. Entrez ; vous verrez une salle plaquée de marbre blanc du haut en bas ; et peut-être aurez-vous, comme Alphonse Karr, l'heureuse chance de voir plier vos marrons dans une feuille d'un manuscrit inédit des Dialogues de Lucien entre Jupiter et Gobillardès.

Mais il est une occupation plus sérieuse qui conduit le voyageur dans la rue des Orfèvres. Au-dessus d'une arcade de magasin, une peinture appliquée contre la muraille est éclairée le soir par un petit falot qui se balance au bout d'un support en fer ouvragé. C'est la Madone de Siola. Dans toutes les rues de Gênes on rencontre des niches, des statuettes, des tableaux, mais rien n'approche de l'œuvre de Siola pour le mérite artistique; les Gênois en font tant de cas, qu'ils proposaient jadis une sentinelle à sa garde. La vierge a les yeux à demi baissés et voilés par de longs cils; la figure, vue à peu près de face, est limitée par un ovale d'une pureté de lignes inimitable. Le coloris est chaud, d'une gamme qui a du rapport avec celle de Raphaël. L'enfant Jésus que Marie tient dans ses bras est moins gracieux, il est un peu ramassé; mais il se distingue aussi par des chairs potelées et par la puissance du coloris. Oh! la Madone! la Madone! Je suis encore poursuivi par le velouté de son regard! C'est bien à elle qu'on peut dire avec le Sir-Hasirim: «Vos yeux sont comme l'azur des piscines d'Hésébon, vos regards sont ceux des colombes.»

Pauvre Pellegro Piola ! Comme tant d'autres artistes, il a disparu au début de sa carrière. Celui qui promettait d'élever si haut l'art gênois au XVIIe siècle, celuilà est mort à vingt-trois ans, frappé par un assassin ! (Sera continué.) LOUIS REVON.

ARCHÉOLOGIE

VOIES ROMAINES

(Suite)

Strabon (Géogr. IV) assure qu'une voie militaire traversait le pays des Salasses. Elle se bifurquait au camp des Prétoriens (Aoste). Celle de l'Alpe Pennine n'était accessible qu'aux piétons; celle de l'Alpe graie était carrossable et continuait à travers le pays des Centrons et des Allobroges jusqu'à Vienne et Lyon. Les noms des villages où se trouvaient les stations et leurs distances respectives ont été conservés, mais avec quelques variantes, dans les différentes copies des itinéraires d'Antonin et de Théodose. Ce sont Augusta prætoria, Arebrigium, Ad Publicanos, Mantala, Lemencum, Laviscone, Augustum, Bergusio, Vienna. Le premier donne en outre un autre embranchement: Darentasia, Casuaria, Bautas, Genabum, Equestrium, Lacum Lausonium, Orbam, etc., jusqu'à Strasbourg.

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