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Ces hallucinations, cette exquise sensibilité pour l'harmonie musicale, le sens du toucher porté si rapidement à une perfection telle qu'il révélait à Me Eugénie l'existence de l'or et la puissante influence de ce métal, voilà déjà des faits bien remarquables! D'autres cependant vont leur succéder, plus intéressants encore, parce qu'ils démontreront l'influence du sommeil magnétique sur l'état moral du souffrant.

Les musiciens, fatigués, furent remplacés par une jeune personne, Me V. F. qui, s'accompagnant de la guitare, chanta la romance: Vous souvient-il, Marie.... Le refrain si mélancolique de cette poésie: Les rêves n'ont pas d'ombre alors qu'on a quinze ans, reporta Me Eugénie vers les jours où elle vivait heureuse. «Oh oui ! dit-elle tristement, mes rêves d'alors étaient bien joyeux!... mais, ce bonheur, je ne l'ai vu qu'en songe... Le pain que mon cœur voulait porter aux malheureux, on l'a gardé pour moi. L'amour, la fé«licité que tu m'apportais, cher Désiré, où sont-ils aujourd'hui ? L'un a fui bien loin de moi, et l'autre... c'est un ferment de mort au fond de mon âme. Mon Dieu! mon Dieu!»

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Lajeune V. F. chanta l'élégie de Jean Reboul: Un ange au radieux visage... La simplicité sublime dont le poète boulanger a su imprégner ses paroles, la douce mélancolie de la musique, cet enfant qui meurt, et cet ange de consolation qui veille auprès du berceau, tout impressionna profondément Me Eugénie. Elle dit d'une voix étranglée par la douleur: Mon fils! Puis avec un soupir ajouta: Dans le ciel! Et sa tète s'affaissa sur sa poitrine. Mais, bientôt, elle la releva: le désespoir contractait tous les traits et la malade reprit sur l'air de l'élégi l'improvisation qui suit:

Oh! toi qui connais ma faiblesse, Toi qui veillais près du berceau, Bon ange, encore toi tu me laisses! Je souffre; ouvre-moi le tombeau.

Effrayée de l'état où involontairement elle avait jeté la malade, M V. F. essaya de la distraire en lui rappelant l'amitié de sa famille, les soins affectueux qui l'entouraient, et en lui montrant dans le lointain l'aurore de nouveaux beaux jours. D'abord insensible, Mae Eugénie entra peu à peu dans les idées nouvelles qu'on lui offrait, et cette voix, cette âme qui, parlant à son cœur semblait être celle d'un ange de consolation, devint pour elle un génie bienfaisant. Alors que les douleurs se faisaient sentir p'us poignantes, alors qu'une pensée chagrine se présentait de nouveau à son imagination, la malade recourait à son ange tutélaire en chantant sur une modulation plaintive et suppliante : Azaël, Azaël, Azaël, viens à moi! S'identifiant avec lui, elle se nommait elle-même Azaëla. Avec lui elle parcourait des régions bienheureuses: elle voyait son époux, riche de fortune et d'estime, la conduire vers leurs bienfaiteurs. Oh! combien, dans ces moments, les paroles de Me Eugénie devenaient affectueuses. Alors elle se plaisait à revoir sa vie de souffrances; mais, comme un mendiant devenu riche considère parfois sans amertume les haillons de sa misère, ainsi la malade rappelait avec calme et même avec joie ses malheurs passés. Et quand la place où son époux lui avait

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dit adieu, quand le pain qu'ils avaient mouillé de leurs larmes, quand les jours où il fallut abandonner une maison qui n'était plus la leur se présentaient aux souvenirs de Me Eugénie, celle-ci souriant devant ses tristes souvenirs, disait: N'est-ce pas, Désiré, que tout redevient beau dans le bonheur ?

Mais si, au milieu d'autres pensées, se glissait celle du fils unique, mort si jeune, la pauvre mère voyait son courage défaillir. Elle pleurait amèrement; puis aussitôt, considérant les bontés de Dieu envers elle, elle s'indignait avec larmes de ce qu'elle appelait son oublieuse ingratitude; elle implorait la miséricorde du Tout-Puissant; elle implorait son assistance; une fois entre autres elle improvisa les vers qui suivent:

Je suis faible dans ma carrière,

Je puis sans cesse m'égarer,
Seigneur, inspire ma prière !
Sans toi, Seigneur, puis-je prier!
L'infortune brisa mon âme :

Oh mon Dieu ! pardonne à mes pleurs!
Je suis faible et je suis femme..
Pauvre femme dans la douleur.

Des scènes d'une nature bien différente de celles que nous venons de voir se dérouler succédèrent brusquement: les crises de catalepsie devinrent plus fréquentes; la malade cessa de parler; elle était toutefois dans une agitation extraordinaire: ses gestes se prodiguaient rapides et violents; elle essayait des tours d'équilibre (1): tantôt elle s'élançait d'un siège sur un autre ; tantôt elle devenait immobile sur l'étroit dossier d'un fauteuil ou dans les attitudes les pius difficiles : tantôt encore elle entassait plusieurs objets fragiles, les tenant en équilibre sur une pointe aiguë. Cependant ses yeux restaient fermés (); mais ses doigts, desquels s'échappait une lueur phosphorescente formant une aigrette lumineuse, paraissaient suppléer au sens de la vue. Par instants aussi, l'ouïe était déplacée et semblait errer sur tout le corps, se produisant sur divers points, bien qu'elle nous parut affectionner spécialement l'extrémité des doigts et le creux de l'épigastre.

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Elle a ouvert la fenêtre de sa mansarde, Louise, l'infatigable ouvrière, où, chaque jour, après son Ave du matin, elle vient travailler sans trève, depuis l'aube jusqu'au soir. Son pur et noble visage est encadré de longs cheveux noirs, et, par intervalles, ses beaux yeux se tournent vers le ciel pour regarder le nuage qui fuit. ou l'hirondelle qui passe.

La toilette de la pauvre fille est sombre, sombre

comme sa vie ! Une robe de couleur brune lui monte jusqu'à la naissance du cou autour duquel s'arrondit un fichu bien blanc.

Parfois Louise suspend son ouvrage, et chante quelques couplets d'un air aimé au vallon natal. Mais, soudain, comme si elle avait honte de perdre ainsi son temps, elle se hâte de reprendre l'aiguille qu'elle fait courir alors entre ses doigts avec un redoublement de vitesse.

Un simple bouquet de violettes, enfoui dans un vase de faïence, remplit la mansarde de fraîches senteurs.

Assise dans un fauteuil délabré, une femme à cheveux blancs la regardait avec tristesse, et soupirait en voyant sa fille s'user à un si pénible travail. Elle était bien triste la bonne vieille, car de déchirantes pensées agitaient son esprit. C'est qu'elle songeait, en ce moment, que la fin de sa carrière rapprochait chaque jour l'heure fatale de la séparation, et qu'elle laisserait alors Louise, seule, orpheline, abandonnée au milieu des séductions d'une grande cité. Puis, en contemplant les traits amaigris de sa fille que minait un excès de fatigue, amicalement elle lui dit :

Ecoute, Louise, le temps est si beau ce matin! Si nous allions nous promener ensemble au Jardin du Luxembourg? Le grand air nous fera du bien. »

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La jeune ouvrière, dans la pensée de faire plaisir à sa mère, et dans l'espoir de rattraper le temps perdu en travaillant plus tard sur les heures de son sommeil, mit bien vite son châle et son chapeau.

Elle offrit son bras à la vieille infirme, et toutes deux descendirent lentement les cinq étages qui séparaient leur chambrette de la rue.

Un matin, Louise n'ouvrit pas, comme d'habitude, la fenêtre de sa mansarde, et déjà les voisins jasaient à Fenvi en faisant mille conjectures. Si leurs regards curieux avaient pu pénétrer jusque dans l'intérieur, ils auraient vu la pauvre enfant tenant à sa main une lettre d'une écriture vulgaire, et de grosses larmes inonder son visage.

Pierre, appelé à la conscription, avait tiré un mauvais numéro, et devait partir pour l'armée. Or, le père du valet de ferme n'était pas riche, et, au village, tout le monde disait que Pierre était l'amoureux de Louise, et que cette bonne fille était bien digne de l'amour de ce brave garçon.

Et, le soir, en achevant son ouvrage de la journée, Louise sanglotait!

L'amour est un jeu...

Aimons-nous, Ninette! Eau, terre et ciel bleu, Tout joue à ce jeu.

L'amour est un jeu ?... Fort bien dit Ninette. Mais, j'en fais l'aveu, Moi, je triche au jeu. LEON NOEL.

Elle a ouvert la fenêtre de sa mansarde, Olympia, la joyeuse étudiante, où, chaque jour, après sa toilette du matin, elle vient fumer sa cigarette, depuis l'aube jusqu'au soir. Son frais et mignon visage est encadré de tresses blondes, et, par intervalles, ses yeux malins s'abaissent vers la rue pour regarder une voiture qui fuit ou un étudiant qui passe.

La toilette de l'opulente courtisane est frivole, frivole comme sa vie ! Une robe de gaze légère l'enveloppe de ses plis onduleux, et son corsage à demi entr'ouvert est plein des plus riantes promesses.

Parfois Olympia quitte sa cigarette et chante quelques couplets d'un air aimé au quartier latin. Mais, soudain, craignant que le feu ne vienne à s'éteindre, elle se hâte d'aspirer quelques bouffées qu'elle fait courir sur ses lèvres roses en tourbillonnantes spirales.

Un bouquet des fleurs les plus rares, coquettement placé dans un vase de Sèvres, remplit la chambrette d'exquises senteurs.

Assis dans un confortable fauteuil, un jeune homme regardait Olympia avec tristesse, et soupirait en la voyant si belle en sa nonchalance. Il était bien triste le vieil étudiant en droit, car de déchirantes pensées agitaient son esprit. C'est qu'il songeait, en ce moment, que la fin de ses études rapprochait chaque jour l'heure fatale de la séparation, et qu'il laisserait alors Olympial à Paris, pour retourner seul au fond de sa province. Puis, en contemplant les traits chéris de sa maîtresse, que rembrunissait une teinte de mélancolie, amicalement il lui dit :

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Ecoute, Olympia, le temps est si beau, ce matin. Si nous allions nous promener ensemble au Bois? Je suis sûr que cette course te distrairait. »

La jeune étudiante, dans la pensée de ne pas déplaire à son amant, et dans l'espoir de rattraper ce moment d'ennui en s'échappant seule, plus tard, pendant qu'Alfred irait aux cours, mit sa mantille et son chapeau.

Elle accepta le bras de son cavalier, et tous les deux descendirent rapidement les cinq étages qui séparaient leur chambrette de la rue.

Un matin, Olympia n'ouvrit pas, comme d'habitude, la fenêtre de sa mansarde, et déjà les voisins jasaient à l'envi en faisant mille conjectures. Si leurs regards curieux avaient pu pénétrer jusque dans l'intérieur, ils auraient vu la belle enfant tenant à sa main une lettre d'une élégante écriture, et deux larmes glisser furtivement le long de son visage.

Alfred, rappelé dans sa famille, partait le lendemain pour Toulouse. Or, le père de l'étudiant en droit était fort riche, et, au quartier latin, tout le monde disait qu'Alfred était l'amant d'Olympia, qu'il se ruinait pour elle, mais que la drôlesse n'était pas digne de l'amour de ce brave garçon.

Et, le soir, en fumant sa cigarette de tabac turc, Olympia chantait!

III

L'hiver est venu, et enveloppe déjà vallons et collines sous son manteau de neige. Une bise apre souffle à travers la campagne, et les arbres, pareils à des squelettes, entrechoquent leurs branches couvertes de givre.

Devant l'église d'un village de Normandie, une bande de petits garçons donne l'assaut à une redoute de neige vaillamment défendue par une poignée de petites filles, dont les figures violettes et les nez rougis par le froid s'aperçoivent à travers les en:brasures de la blanche citadelle. En peu d'instants, la mêlée est devenue générale. Quelques assaillants grimpent déjà sur les murs; les plus heureux s'y maintiennent avec effort; d'autres s'y cramponnent un moment de leurs mains bleuies, mais vigoureusement repoussés, ils roulent pêle-mêle dans le fossé. Chaque défaite est aussitôt signalée par les cris de triomphe de la petite garnison féminine. Cependant la forteresse, attaquée de tous les côtés, va infailliblement capituler, quand le combat cesse tout-à-coup. Assiégeants et assiégés s'arrêtent d'un commun accord. La joie s'envole, les bouches restent muettes, la stupeur est générale!

Que s'est-il donc passé?

Tenez! regardez là-bas, sur la route, cette femme qui s'avance péniblement. Quelques méchantes guenilles la préservent à peine des rigueurs de la saison, et un foulard rouge enveloppe de ses lambeaux sa figure have et flétrie. Elle n'est pas vieille, cependant, et la débauche seule a courbé son dos et imprimé sur son front ces rides prématurées.

Quand la pauvresse eut dépassé l'église, quelquesuns des plus mauvais sujets de la bande lui jetèrent des boules de neige en criant à plein gosier: Ohé! la sorcière! ohé! Les plus poltrons s'abstinrent et firent un grand signe de croix. Quant aux petites filles, elles avaient toutes jeté leurs tabliers sur leurs têtes. Le premier moment de crainte passé, tous voulurent recommencer à jouer, mais l'entrain avait disparu. Adieu, donc, la petite guerre ! bruyants éclats de rire, adieu !

La sorcière avait semé la terreur sur son passage et répandu l'effroi dans ces âmes enfantines. C'est que la tireuse de cartes n'était pas aimée dans le pays on disait partout qu'elle jetait de mauvais sorts aux enfants qu'elle touchait, et que, tous les soirs, elle rôdait, à minuit, sur les cimetières pour arracher les croix sur les tombes des jeunes filles.

Aussi, après sa funeste apparition, les petites paysannes refusèrent-elles à leurs frères de reprendre la défense de la forteresse, et toute la bande redescendit le village en s'égrenant à la porte de chaque chaumière.

Cependant, à l'extrémité du hameau, la bohémienne s'était arrêtée devant une maisonnette de construction récente. Là, transie de froid, ne sachant où chercher un refuge, elle frappa timidement à la porte. Une femme, qui tenait dans ses bras un enfant en bas âge, lui ouvrit.

L'intérieur du logis où elle venait d'être introduite, quoique très simple, se distinguait par sa remarquable propreté et par une légère coquetterie de décoration. Un grand buffet de noyer faisait resplendir trois rangées de vaisselle en étain, brillante comme la gamelle d'un soldat un jour de parade. En face, un yatagan algérien et un sabre de cavalerie croisaient leurs lames au milieu

desquelles s'épanouissaient deux épaulettes de laine. rouge.

Tout respirait l'honnêteté et le bonheur dans cette modeste cuisine de campagne. Couple fortuné! vous l'avez su trouver le bonheur, sans grands efforts et sans grands combats, dans un milieu paisible et raisonnable, dans une de ces bonnes et modestes existences d'autrefois. Affections saintes de la famille, cris joyeux de l'enfant qui grandit, consolantes pensées de l'hospitalité accordée aux malheureux, salutaire travail quotidien, honorable médiocrité passée entre la maison qui nous a vu naître et le cimetière où nous attendent ceux que nous avons aimés, n'êtes-vous pas seuls dignes d'occuper notre existence, seuls dignes d'occuper notre cœur? Hors de là, hors de l'amour, hors du devoir, hors du travail, tout n'est-il pas que désenchantement, désordre ou folie?

Ainsi l'avait compris le jeune ménage qui, dans un élan de cœur, venait d'accueillir la bohémienne, insultée par l'enfance et de tout le monde repoussée.

Le dîner chantait sur la braise, et, près du foyer, un homme aux vigoureuses épaules et au teint bruni par le soleil d'Afrique, tressait des corbeilles d'osier, en fredonnant une marche guerrière. Quand la tireuse de carte entra, il cessa son chant et jeta au feu un fagot de broussailles.

En voyant l'état de misère de la malheureuse et en sentant ses membres glacés, la maîtresse de la maison s'était empressée d'apporter une chaise près de la cheminée, et dit d'une voix bienveillante :

« Venez ici, ma bonne femme, vous vous réchauffe«rez, car vous devez avoir bien froid. Dans un instant «notre dîner va être prêt, et, avant de continuer votre route, vous le partagerez avec nous. »

En s'approchant, la flamme vive des broussailles qui pétillaient dans l'âtre éclaira le visage de l'hospitalière

paysanne.

La tireuse de cartes poussa un cri.

Olympia, l'étudiante, avait reconnu Louise, son ancienne voisine de mansarde! LOUIS MACON.

ARCHEOLOGIE

VOIES ROMAINES

(Suite)

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La voie longeait le coteau de Tours, montait probablement à Conflans, à l'époque où l'Isère baignait le bas de la roche et venait ensuite traverser l'Arly au plus étroit de la vallée. L'Arly paraît d'abord avoir la même étymologie celtique qu'Arles: AR sur, LAITH - eau; eau qui vient sur ou de haut. Mais si on consulte l'ancien dialecte, on lira : ar cours d'eau, lai ou ley étang, petit lac. Les deux étymologies peuvent s'accorder avec la nature des lieux, puisque cette rivière prend sa source dans les marais de Megève.

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On a trouvé sur la rive droite une tête de bronze bien barbée avec les yeux en cuivre jaune. Sur les ruines du monument romain auquel elle appartenait, les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem établirent plus tard un hôpital, et les comtes de Savoie un autre sur la rive gauche. Le nom de l'Hôpital est resté aux maisons qui se son

groupées auprès de cet établissement, et celui de Jérusalem au quartier de l'église de Saint-Jean-Baptiste. Le choeur et quelques ruines de cellules dans les jardins inférieurs passent encore pour remonter à la date de la fondation. La chapelle des comtes de Savoie, en face du vieux pont, est détruite; mais le nom d'Hospitailles est resté au quartier de la rive gauche, appelé aussi Adoubes. On sait qu'à son passage, en 1835, le roi Charles-Albert donna le nom d'Albertville aux deux villes de Conflans et de l'Hôpital, qui furent réunies administrativement l'année suivante.

De là, par Saint-Sigismond, la Croix-de-l'Orme, Aidier-Dessous, Gilly, Bornery, Saint-Vital, on arrive au ruisseau de Fermeux qui terminait autrefois le diocèse de Tarentaise. Nous reviendrons sur les antiquités que l'on trouve dans ce parcours, et nous continuons pardessous Montailleur et Grésy. Le elos du vieux cimetière contient une pierre sépulcrale très intéressante. Le village de Fontaines a aussi plusieurs débris d'inscriptions, dont quelques-unes monumentales. Dans le cours de mes investigations, je montais un jour au château de Miolans avec M. l'ingénieur Clert-Biron. Au milieu du vaste panorama qui se déroulait à nos regards, j'appelai son attention sur l'espace que j'avais à explorer entre les Fontaines et Albigny, et lui soumis le tracé hypothétique que je me proposais de suivre pour abréger mes recherches. Dès qu'il eut son approbation, nous descendîmes dans la plaine, et la première découverte que nous fimes sur la ligne de ce tracé pas tout-à-fait imaginaire, ce fut celle d'une chaussée ancienne avec pavé, dans les marais, en bas de Frêterive. Les érosions de l'Isère en avaient détruit une portion, d'où peut-être fracta ripa. On nous montra ensuite, dans la campagne voisine, quatre inscriptions tumulaires appartenant à la même famille romaine.

La ligne était donc assurée, même dans l'endroit où les débordements de l'Isère la rendaient le plus douteuse. De là, il fut facile de la compléter par le Bourget, Chevillard et Albigny sous Saint-Pierre, Bourg-Evescal et Saint-Jean de la Porte. Je laisse aussi pour le moment les antiquités qui y abondent et suis les vestiges par-dessous Cruet, à la Chapelle, à Mérande, Arbin, où sont plusieurs tombeaux gallo-romains.

Quoi qu'il en soit du rôle qu'a pu jouer Montmélian à l'époque romaine (1), les traces de la voie me semblent se maintenir derrière, au bas des Caloudes, à la Maladière, et de là à droite de la route actuelle jusque vers Saint-Jeoire, où elle a dù tourner et monter le plateau. On en aperçoit encore un petit tronçon strié dans le roc au-dessus de Trivier. Tout près de l'église de la Ravoire, on a trouvé des restes de fortifications romaines avec aqueducs, colonnes, mosaïques, etc. De là, par la Peisse et Buisson-Rond, elle atteignait le château de Chambéry.

Je dirai ailleurs les raisons sur lesquelles je m'appuie pour y voir la station placée près de Lemencum. Qu'il me suffise à présent de l'indiquer, pour pouvoir mesurer de là xvi milles, 23,696 mètres, jusqu'à Saint-Jeande-la-Porte. C'est la distance que donnent tous les itinéraires entre Lemencum et Mantala. Or, entre SaintJean-de-la-Porte et Saint-Pierre-d'Albigny, sur quatre kilomètres de longueur, on trouve une quantité de

(4) Ménabréa, Montmélian et les Alpes.

constructions romaines, d'objets antiques, d'inscriptions, entr'autres celle d'un votif des décurions viennois. Deux villages jalonnent encore cette distance, Bourg-Evescal et Albigny, et semblent relier les deux extrémités, entre lesquelles on ne peut douter qu'il n'y ait eu autrefois un grand centre de population.

D'après la tradition, l'église de Saint-Jean n'était autrefois qu'une chapelle élevée à la porte de la ville, et Saint-Pierre, une dépendance d'Albigny. Si l'importance de cette ancienne ville peut se conjecturer d'après son étendue, il n'y a rien d'improbable dans l'assemblée des évêques de la Bourgogne à ce Mantala, en 879, pour donner le sceptre royal au comte Boson, beau-frère de Charles-le-Chauve et vice-roi de Lombardie (1). Le territorium viennense ne doit point s'entendre seulement du diocèse de Vienne; il indiquait ici la province ecclésiastique pour marquer la préséance de l'archevêque de Vienne, primat des Gaules, en présence des métropolitains de Besançon, de Lyon, de Tarentaise, d'Aix et d'Arles. Le Mantaille de la Valloire n'était qu'un chàteau appartenant à Boson, comme comte de Vienne (2), et on ne conçoit guère que les évêques s'y réunissent en son absence. Cet acte d'indépendance devait sourdir. prudemment dans une vallée reculée des Alpes, pour se consommer au grand jour par la consécration du roi à Lyon. Et le nom de Burgum episcoporum qu'a conservé, après la destruction de la ville, au x siècle, le quartier qui leur a servi de centre, est un souvenir assez remarquable de ce Mall burgonde.

Entre Mantala et Ad Publicanos, les manuscrits de Florence et d'Orléans donnent XIII milles, soit 19,253 mètres; et jusqu'à Obilimum, celui de Madrid. donne la même distance, ce qui ferait 38 kilom. 1/2. Or, entre Saint-Jean-de-la-Porte et Arbine de la Bathie, il n'y a que 35 kilomètres 1/2, par Conflans, ou 33, si l'on suppose que le pont ait été plus près de la jonction de l'Arly et de l'Isère.

La différence n'est pas très grande, surtout si on la divise encore pour en attribuer une part proportionnelle aux deux traits de route séparés par Ad Publicanos, dont la station se trouverait, d'après ce système, à Saint-Vital. La localité ne manque pas non plus d'inscriptions romaines; il y en a à l'Etraz, à l'Epigny, à Tournon, dans les ruines du château. D'après cette dernière, un prêtre de Mercure (Mercury de Chevron?) aurait élevé là un monument public à ses frais.

Mais un fait surtout motiverait peut-être ici la station des Publicains; c'est la limite probable entre la province des Alpes graies et pennines et la Viennoise.

Les Publicains, presque tous chevaliers romains, étaient les fermiers des Vectigalia sous la République et les premiers empereurs. Les tributa étaient perçus par les agents des gouverneurs de province (3). A cause des énormes avances à faire à l'Etat, les Publicains s'associaient le plus souvent pour opérer ou comme redemptores ou comme negociatores. Avec la quantité de numéraire dont ils disposaient, ils faisaient la banque mensarii, et même d'autres négoces (4). Ils

(1) Labbe, Coll. concil., IV.

(2) Mille, Hist. de Bourgogne, II; notes et preuves. (3) In verr., III, 27.

(4) Liv. VII, Valer. Max, v. 6.

continuèrent à exercer ces dernières industries lorsque le recouvrement de tous les impôts fut confié aux procuratores cæsaris pour le fisc, et successivement aux curiales et aux employés de chaque spécialité pour Færarium (4).

Parmi les objets qui concouraient à grossir le Trésor, il faut bien compter l'impôt des ponts et des routes, appelé portorium (2). Mais les portitores n'étaient que des employés subalternes chargés de récupérer cet impôt pour le compte des Publicains, comme ailleurs les pecuarii et leurs variétés, les oviarici, les boviarici, etc.; comme aussi les saltuarii, les sapinates, etc., dans leur spécialité. Il y aura eu des portitores au ruisseau de Formeux, ou ailleurs, si la limite a été changée; mais l'expression générique Ad Publicanos indique plutôt une station centrale des chevaliers romains pour réunir non seulement le portorium, mais les decuma, les scripturæ, les pecuaria, salinaria, aquaria, etc., et toute cette variété d'impôts qui écrasaient les provinces (3). Il n'y aurait donc rien d'étonnant de les voir changer de domicile, comme semblent l'indiquer les variantes des itinéraires.

Si toutefois leur présence tenait à la ligne de démarcation des deux provinces, leur déplacement trouverait encore ici sa justification. J'ai observé plus haut que l'ancien diocèse de Tarentaise se terminait au ruisseau de Formeux. Fondé au commencement du v° siècle, il n'a dû avoir d'autres limites que celles de la cité de Darentasia, selon l'usage de l'Eglise, qui, surtout depuis Constantin, adopta les circonscriptions civiles.

Mais la division des cités de la Gaule, sous cet empereur et les suivants, était loin de représenter les anciennes agrégations gauloises, telles que nous les donnent César, Strabon, Pline et Ptolémée. Cantonnées sur les hauts plateaux des Alpes, le plus souvent sur les deux versants à la fois, la conquête en avait fait des municipes, des colonies, des commandements militaires, et les provinces se trouvèrent taillées sur l'étendue territoriale de ces peuples. Cette organisation, du reste, était dans les lois de la stratégie: tant que ces provinces alpines ressortirent du prétoire d'Italie, l'armée romaine devait être à cheval sur les Alpes pour les défendre.

Du moment que Constantin ne laissa aux Recteurs que le pouvoir civil, l'administration dut être plus facile avec les limites naturelles des crêtes et des eaux pendantes. Il y eut donc quelques déplacements dans les provinces appuyées aux deux flancs de la chaine alpine; quelques-unes mêmes furent divisées, et chaque fraction, attribuée l'une au prétoire d'Italie, l'autre au prétoire des Gaules, dut acquérir dans la plaine ce qu'elle perdait sur les plateaux du versant opposé. Ce travail successif de réorganisation provinciale ressort évidemment de l'étude comparée du libellus provinciarum romanarum, de la Notice des dignités de l'empire, des différentes copies de la Notice des Gaules et des géographes et historiens de l'époque. Et pour ne parler que des provinces qui nous occupent ici, le transport de la limite de la Forclaz de Saint-Gervais (4) au

(1) Petri Burmani, de vectigalibus populi romani.— Guizot, Essais sur le régime municipal romain.

(2) Senec., de Const. sapient., XIV.

(3) Inverr, II. Pro lege Manilia. Pro Fonteio. De lege Agraria. (4 Congrès de Grenoble, 1857; II, 395.

col du Bonhomme, entre les diocèses de Genève et de Tarentaise, expliquera peut-être le retrait de ce dernier au Petit-Bernard, et son extension vers ceux de Genève et de Grenoble jusqu'à Marthod, Tamié et Saint-Vital. Il semble, en effet, au premier coup d'œil, que dans l'occupation primitive, les familles échelonnées sur le cours inférieur de l'Isère, depuis le confluent d'Arly, n'ont pas dû avoir leur centre à Moûtiers, et que si la cité allobroge de Genève comprenait Ugines, qui ne paraît pas trop lui appartenir topographiquement, à plus forte raison la suite du cours de l'Arly et de l'Isère, qui ouvre la magnifique vallée du Grésivaudan, devait former l'extreme contour du territoire allobroge. Deux inscriptions viendront corroborer cette présomption; et si, comme on l'a dit quelque part, la position des Publicains y est intéressée, cette opinion acquerra un degré de plus de probabilité. (Sera continué.)

BULLETIN SCIENTIFIQUE

DUCIS.

Sur l'ébullition des liquides. - Dans un précédent numéro de la_Revue (1), j'ai dit quelques mots d'un travail de M. Dufour sur la congélation et l'ébullition des liquides. Le physicien de Lausanne à poursuivi et étendu ses recherches, et il vient de publier un mémoire sur l'ébullition des liquides, dans lequel il examine quelles causes font varier le point auquel cette ébullition a lieu. Ce memoire a paru en extrait dans les comptes-rendus de l'Académie des Sciences (numéro du 11 novembre 1861) et in extenso dans la Bibliothèque universelle de Genève (numéro du 20 novembre 1861); comme il compte une soixantaine de pages, qui se prêtent mal à un résumé, je me bornerai à en reproduire textuellement les conclusions, qui intéresseront tous les curieux de la nature, renvoyant les hommes spéciaux au travail original. M. Dufour resume donc son étude par les conclusions sui

vantes :

1° Lorsque dans des capsules de platine, de cuivre, de porcelaine, de verre, on chauffe de l'huile de lin, puis que l'on y introduit, avec des précautions convenables, de petites quantités d'eau qui tombent au fond de la couche d'huile, cette eau peut arriver bien au-dessus de 100' avant de bouillir. Des gouttes aqueuses ont atteint ainsi plus de 450°.

2° Lorsque l'eau ordinaire, non purgée d'air, est introduite dans un mélange convenable d'essence de girofle et d'huile de lin, elle flotte en équilibre dans ce milieu de mème densité. Si on la chauffe dans ces conditions, sa température dépasse toujours 100 avant que l'ébullition ait licu. Des sphères d'eau ont été amenées ainsi à 178°.

5 Lorsque l'eau n'est pas placée dans un vase solide, mais qu'elle flotte dans un fluide de même densité, elle peut subsister à l'etat liquide (sans changement de pression) jusqu'à — 20o d'une part et 178 d'une autre ; c'est-à-dire durant 198 du thermomètre.

4 Diverses dissolutions salines, chauffées sur un bain de soufre en fusion et sous une couche d'huile, peuvent atteindre des temperatures supérieures à celle de leur ébullition ordinaire sans changer d'état.

5 Des sphères de chloroforme, flottant en équilibre dans une dissolution de chlorure de zinc de même densité, peuvent être chauffees jusqu'à 97 et 98° sans bouillir.

6° L'acide sulfureux liquide, flottant en équilibre entre deux couches inégalement denses d'acide sulfurique convenablement étendu d'eau, a pu être conservé jusqu'à + 8° sans que l'état gazeux se produisit.

7 Dans les conditions particulières de ces expériences, l'ébullition intervient tantôt spontanément, tantôt sous l'influence d'actions moléculaires étrangères.

8° Le contact des corps solides, surtout des corps poreux, est très généralement une cause provocatrice de l'ébullition.

9° L'electricité, comme agent spécial, ne paraît pas agir pour déterminer l'ébullition de l'eau surchauffée.

10° La décomposition, par un courant électrique, de l'eau sur

(1) Voy. Revue savoisienne, numéro de juin 1861.

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