Page images
PDF
EPUB

me

Année

(Omnes omnium caritates patria una complexa est.)

15 Février 1861

ON S'ABONNE

-

EN FRANCE

REVUE SAVOISIENNE

Par un bon postal à l'or- JOURNAL PUBLIÉ PAR L'ASSOCIATION FLORIMONTANE D'ANNECY

dre du Directeur;

A L'ÉTRANGER

Par un effet sur une maison d'Annecy.

La Revue rendra compte des ouvrages dont deux exemplaires lui auront été adressés.

[blocks in formation]
[blocks in formation]

On ne reçoit que des abonnements annuels.

Les communications de tous genres adressées à la Revue savoisienne doivent être affranchies.

[merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][ocr errors][merged small][ocr errors]

-Ah, beau cousin, reprend le Roi, si voulez cacher votre beauté et garder qu'on n'en parle, il vous convient muer plumage ou vous retirer en lieu si retrait que plus on ne vous voie. »

Ainsi devisant, Roi et comte et ceux qui étaient en leur compagnie se mirent à rire très-joyeusement et de grand vouloir. Puis, sa révérence faite au Roi, le Comte noir à claire face retourna en son logis où il fut honoré et fêté grandement.

Par les honneurs et fêtes qu'il fit au jeune prince, le Roi montra bien qu'il l'aimait et prisait, et qu'il était aussi joyeux de sa venue que de celle de quiconque avait obéi à son mandement.

CHAPITRE XII

Comment le Comte de Savoie se maintint devant Bourbourg.

Pendant que le Roi séjournait en la cité d'Arras, hommes d'armes accoururent près de lui en telle multitude que les Anglais n'osèrent plus tenir les champs, et se retirèrent dans certaines places qui leur étaient soumises. Ils garnirent ainsi Bourbourg de fleur de chevalerie, sous la conduite de messire Thomas Trevet. Ce chevalier de très-haut sens trouva plusieurs fois façon d'assaillir et grandement endommager l'host de France, après quoi il se sauvait dans la place; mais ce lui dura moult peu, car aussitôt que toute sa puissance fut assemblée, le Roi ne voulant plus permettre les courses de messire Thomas, vint assiéger Bourbourg de siège si bien assis qu'un petit rat ne pouvait sans être vù sortir ou entrer dans la place. Toutefois puis-je dire que ce siége ne fût sitôt formé qu'il ne coûtât la vie de maint prudhomme; car pendant que bêcheurs et terrassiers s'appliquaient à faire fossés et dos d'ânes pour clorre le parc du siége, lequel était adorné de bastilles et beffroys pour le retrait et séjour dela haute seigneurie, et aussi de maisonnettes pour loger la gent moyenne: le susdit messire Thomas et ceux de sa garnison, qui étaient mal contents de la clôture, s'élancèrent sur lesdits ouvriers de saut si vigoureux que le sire Dagonnoys, qui était chargé avec 100 lances de protéger les travailleurs, fut occis avec plusieurs de ceux qu'il commandait. Cependant messire Thomas Trevet n'eut pas le meilleur de cette mêlée, car avant qu'elle prit fin le Comte Noir, qui se tenait de cette part avec monseigneur de Berry, se fourra l'épée au poing dans le plus fort du combat, et se mit à porter coups si hauts, si cruels et si très-apres que Trevet, le voyant ainsi sergenter les Anglais, dit au sire de Ponnins son frère d'armes : Monseigneur, voyez-vous ce dur adversaire qui par merveilleux coups étonne, occit et abat tous ceux « qu'il trouve des nôtres ? Oui, frère, dit Ponnins, vraiment le vois-je très-bien; ains ma vue seule ne peut l'empêcher de faire tous les vigoureux exploits qu'un homme de gentil cœur doit faire. ( — « Par

(

[ocr errors]

St Georges! reprit messire Thomas, il fait armes si démesurées que si ne trouvons moyen de l'expédier prestement de ce siècle dans l'autre, il nous fera, bon gré malgré, de cette place vergogneusement < partir. >

Ce disant, Ponnins et messire Thomas résolurent

d'aller par vives armes ruer jus le comte Noir, et tournèrent d'un front vers lui; mais dans cette entreprise ils furent aperçus par messire Louis de Savoie et par le comte de Chaland qui, ne perdant pas leur Seigneur de vue, accoururent à la rencontre des deux capitaines anglais. Du choc messire Louis culbuta Ponnins avec son cheval au plus profond de la presse; et Thomas fit voler à terre Chaland, qui se fût trouvé en péril de mort sans l'aide et la haute valeur de son gentil prince. Adonc, messire Thomas, après avoir renversé Chaland, et comme il était mal content d'avoir vu tomber Ponnins, se porta sur monseigneur Louis si chaudement, et l'admonesta si fort de montrer ce qu'il savait faire, que pressé de se défendre le prince Louis ne pût secourir Chaland. Or, celui-ci bien que démonté faisait armes si merveilleuses contre la troupe qui l'entourait, et ruait de tels coups que nul n'osait l'approcher. Cependant Ponnins, qui avait reçu des Anglais un autre cheval et bâton nouveau, vint décharger sur Chaland horions si pesants qu'icelui fût contraint de laisser ceux qui l'entouraient, pour résister au nouvel assaillant et pour lui rendre ce qu'il en recevait; et alors, assailli de tous. côtés, Chaland se trouvait comme vous ai diten péril de mort si le Comte Noir n'était survenu. Mais voyant les siens en nécessité, le noir Comte lance son coursier si à point que froissant, ruant, jetant par terre tout ce qui est devant lui, il arrive à messire Thomas. Voyant venir celui qu'il désire trouver, l'Anglais abandonne le prince Louis pour courir sur le Comte Noir, qui de sa blanche épée lui porte un coup vigoureux, dur et si pesant qu'il n'y a visière d'acier ni bordure de heaume capable de résister. La lame du couteau, enfoncée entre l'œil et le nez, détranche chair et os en tirant le long des mâchoires vers le noeud qui tient au gozier; et ce faisant passe outre, par ses hideux coups jetant son adversaire au champ; puis, s'emparant du cheval de l'anglais, malgré tous ceux qui en ont déplaisir, il le donne à Chaland, et poursuit ses vertueuses armes. Mais un trait du parti anglais tue le puissant coursier du Comte Noir; sentant la bête faillir sous lui, il vuide selle et arçons, et saute au champ. Louis de Savoie et Chaland s'efforcent de recouvrer nouveau cheval à leur Seigneur qui, déplaisant de se trouver à pied au milieu de la ribeaudaille, blesse, taille, navre, pourfend tout ce qui est à l'entour; et en pourfendant il rue mort messire Henry Sanglier, se fait un montoir du corps, et saute sur le cheval du trépassé.

Louis de Savoie et Chaland s'étant joints à lui, il renouvelle sur les Anglais un combat chaud et cruel. Messire Thomas, à qui sa blessure près de la gorge, faisait perdre appétit de séjourner là plus long temps, dit alors au sire de Ponnins : « Monseigneur, c'est vérité qu'ici nous sommes venus avec tous les nôtres, mais bien puis-je certifier que jamais ne retournerons avec tout notre nombre; et je doute même que nous puissions trouver façon de retourner avec ceux qui vivent encore. Du retour, répond Ponnins, n'est métier de parler; mais faut prendre propos de << mourir en bien nous défendant. Si tournons le dos, nos ennemis prendront nouvelle audace, et nous chargeront par derrière de si pondereux faix d'armes « qu'il faudra piteusement mourir; et qui pis est, les poursuivants, héraults et autres diront par toutes

[ocr errors]

a

[ocr errors]

contrées que nous avons été occis en fuyant, telle

[ocr errors]

(

(

·

[ocr errors]
[ocr errors]

ment que pour notre honneur mieux nous vaut, sans tourner pied, chevaleureusement mourir qu'abandonner le champ et en l'abandonnant être occis. » Monseigneur, dit messire Thomas, votre parole est celle d'un preux chevalier, vertueux et épris de trèshaut et grand courage; néanmoins faut-il considérer que nous avons amené ici l'élite des nôtres, et que mieux vaut prendre peine d'en sauver ce qui reste, plutôt que les laisser mourir, et nous avec eux sans rémission aucune. Pour les conserver, nous les ferons partir devant, et nous derrière les garantirons comme << bonnes murailles; pendant qu'ils songeront à leur salut, nous seuls supporterons le poids des armes. De cette conduite nous retirerons gloire avec louange telle qu'en tous lieux on proclamera que, chevaliers « imbus de prudhommie, nous sommes morts pour sauver les nôtres. Au contraire si ne pouvant tenir nous attendons la mort, nous recevrons après notre trépas reproche et blâme. On dira que par défaut de << sens nous avons livré nos compagnons pour être hàchés et détranchés, comme on livre des brebis aux mains du boucher. Ah frère, dit alors Ponnins, « votre parler est si discret que je ne sais rien répliquer ni dire, sinon qu'il soit fait selon votre vouloir.» A ces mots messire Thomas donna le signal de la retraite à l'homme qui portait son Enseigne; et en se retirant il s'efforca, ainsi qu'il avait promis, de faire des armes pour protéger la fuite de ses compagnons : mais pour ce faire il n'avait pas pris l'avis du Comte de Savoie, qui au lieu de consentir à la retraite des Anglais se mit avec tous les siens à hàcher, détrancher et chapeler si durement que Messire Thomas lui-même fut obligé de fuir en toute hate. Le Comte Noir, le chassant à pointe d'éperons, lança son épée d'un tel jet que la cote de maille du sire de Ponnins fut brisée, et son épaule droite entamée par derrière. Ce rude coup lui fit ployer l'échine et la tête jusques sur l'arçon, si bien qu'il ne pût se redresser avant d'être pris par le Comte Noir. Sa foi reçue, et la chasse finie, le Comte fit présent de son prisonnier à son biau père de Berry.

[ocr errors]

(La suite au prochain No.) Réédité par J. REPLAT.

ANNEXION A LA FAUNE MALACOLOGIQUE DE FRANCE

II.

La question suisse, à propos de l'annexion de la Savoie à la France, a fait grand bruit; cela tient uniquement à ce que la diplomatie ne s'occupe pas assez de malacologie. Si les hommes d'Etat avaient bien connu les escargots, cette fameuse question aurait été résolue de suite.

En effet, que prétendait la Suisse? Que le Chablais et le Faucigny sont des provinces éminemment helvétiques. Que soutenait la France? Que ces deux provinces sont intimément liées à la Savoie, et que, comme le reste de la Savoie, elles sont plus françaises que suisses.

L'étude des mollusques terrestres et d'eau douce résout la question d'une manière si claire que toute espèce de congrès devient inutile..... si toutefois congrès a jamais été utile!

Dans mon précédent article je n'ai pas tenu compte de la Suisse ; je me suis renfermé dans les considéra

tions qui regardaient directement l'Italie et la France. Je vais réparer cette omission et examiner la question spécialement au point de vue helvétique.

Sous le rapport orographique, la population malacologique de la Savoie se divise en deux groupes: le groupe du Jura et celui des Alpes.

Le groupe du Jura, moins bien tranché que celui des Alpes, est surtout caractérisé par les Helix montana, circinata et cælata, toutes les trois de Studer, et par Hydrobia (Paludina) abbreviata de Michaud.

Ce groupe, très bien dessiné dans le Jura français et suisse, comme la chaîne des montagnes qu'il habite, vient expirer en Savoie où il est peu développé et où il tend à se fondre avec le groupe des Alpes.

L'Helix montana, qu'on recueille sur les plantes dans les bois, les forêts et endroits frais des montagnes, très nettement tranchée dans le Jura, pénètre en Savoie jusque sur les premières pentes alpines et y perd peu à peu ses caractères distinctifs. Elle devient plus velue, son test est plus léger et le bourrelet de la bouche, très fort dans le type, diminue peu à peu et finit presque par disparaître.

Les Helix circinata et cælata, très voisines de la précédente, qui est la forme la plus importante, paraissent plus spécialement jurassiques.

L'Hydrobia abbreviata se trouve par milliers dans les sources limpides du pied du Jura, au milieu des touffes épaisses d'une espèce d'Hepatica.

Le groupe des Alpes a une physionomie générale bien plus particulière. Il est surtout caractérisé par les Helix ruderata, holoserica et zonata, toutes les trois également de Studer. La faune de ce groupe, suivant la chaîne, passe de France en Savoie, puis en Suisse, et se prolonge jusqu'en Tyrol et en Autriche.

Le groupe des Alpes est aussi caractérisé par une série d'espèces d'Helix, désignées sous le nom commun d'Alpines, qui forment une famille très naturelle, très bien circonscrite, ayant des formes communes, les mêmes mœurs, le même genre d'habitat. On les trouve dans les clapiers, parmi les débris de rochers, sous les pierres et les mottes de terre au milieu des pelouses, sur les sommités des montagnes, à une très grande altitude.

Ces espèces sont :

au débouché des gorges du Tagliamento, près Udine, à moins de 300 mètres au-dessus du niveau de la mer.

H. phalerata Ziegler, en Carinthie. Il est curieux de trouver à l'extrémité orientale des Alpes une espèce si voisine de l'H. alpina, qui habite l'extrémité occidentale de la chaîne, que plusieurs auteurs les ont réunies.

H. Schmidti Ziegler, en Carniole. On peut faire, pour cette espèce des Alpes orientales, les mêmes observations que pour la précédente. Elle est si voisine de l'H. Fontenilii, des Alpes occidentales, que plusieurs auteurs. les ont confondues sous le même nom. Cette similitude des termes extrêmes prouve que les termes intermédiaires doivent être considérés comme des passages, des transformations d'un même type.

Au point de vue des deux grands groupes orographiques du Jura et des Alpes, la Savoie est tout-à-fait distincte de la Suisse.

En effet, nous voyons le groupe jurassique, si bien développé entre la Suisse et la France, venir s'éteindre en Savoie. Les Helix montana et circinata perdent leurs principaux caractères en pénétrant dans ce dernier pays. L'Helix cœlata ne touche le sol savoisien que vers la Perte du Rhône. La Bythinia abbreviata, que j'ai recueillie en grande abondance à Thoiry, département de l'Ain; que M. de Loriol a ramassée en grand nombre au Pavon d'Evaux, canton de Vaud; que M. Brot a rencontrée à Carouge, canton de Genève, n'a pas encore été trouvée en Savoie.

Pour ce qui concerne le groupe alpin dont les caractères sont plus généraux, il existe pourtant entre la Suisse et la Savoie une grande différence. On trouve en Savoie deux représentants de la famille des hélices alpines, les H. alpina et glacialis, tandis qu'il ne s'en trouve aucun en Suisse; c'est tout au plus si quelques individus de l'H. glacialis passent accidentellement des vallées piémontaises dans les vallées helvétiques autour du Mont-Rose.

En étudiant les espèces isolément, on arrive aux mêmes résultats.

La Neritina (Nerita) bluviatilis Linné, qui habite pour ainsi dire les eaux de toute la France, vient expirer dans le lac du Bourget. On la rencontre à Saint-Innocent, près d'Aix. C'est la seule station découverte en Savoie. Elle n'est pas connue dans les eaux de la Suisse fran

Helix alpina Faure-Biguet, qui des montagnes cal-çaise et allemande. caires qui dominent Die dans la Drôme et du Lautaret dans les Hautes-Alpes, s'étend du côté de la GrandeChartreuse et pénètre en Savoie jusqu'en Tarentaise et en Maurienne.

H. Fontenillii Michaud, à la Grande-Chartreuse. H. glacialis Thomas, qui partant de la Haute-Maurienne, en Savoie, occupe presque toutes les vallées alpines du Piémont, se développe surtout autour du Mont-Rose, et vient finir vers les frontières de la Lombardie.

H. frigida Jan, vers le sommet du mont Codeno ou Grigna septentrionale, dans la province de Côme, environ à 2,000 mètres d'altitude.

H. insubrica Jan, sommet du mont Baldo, au-dessus du lac de Garde, à 2,100 mètres.

H. intermedia Férussac, dans les montagnes du Bellunais, du Frioul et de la Carinthie. Cette espèce descend à un niveau bien plus bas que les précédentes. Je l'ai recueillie contre les murs du château de Moruzzo,

Le Pomatias apricum Mousson, P. carthusianum Dupuy, si abondant à la Grande-Chartreuse, département de l'Isère, se trouve peut-être plus abondamment encore dans la vallée d'Entremont, Savoie. Mousson l'a rencontré aux environs d'Aix-les-Bains et je l'ai recueilli au pont Saint-Clair, près d'Annecy. Mais il ne pénètre pas en Suisse.

Le Pupa Bigorriensis Charpentier a été récolté en nombre par François Dumont et moi, au Grand-Bornand, en Faucigny, et déterminé par de Charpentier luimême. C'est un type des Pyrénées qui n'a jamais été signalé en Suisse, bien que se trouvant en Faucigny.

L'Unio Rousii Dupuy, recueillie dans le Gelon, près de Chamousset, Savoie, par mon ami l'ingénieur Dufour, n'a jamais été trouvée en Suisse, tandis qu'Albin Gras me l'a envoyée du Rondeau, près Grenoble, et qu'elle est citée de plusieurs autres points de la France.

Cette forme appartient à la famille des U. Requienii Michaud, famille qui est représentée en Savoie par plu

sieurs formes. L'une d'elles, pêchée par Auguste Huguenin dans le canal de Laisse, près de son embouchure dans le lac du Bourget, est très intéressante: elle s'allonge, s'applatit et se recourbe à l'extrémité, chez les vieux individus, prenant le forme de l'Unio platyrinchoideus.

La famille des U. Requienii paraît manquer en Suisse. Elle y est remplacée par les familles des U. pictorum et surtout U. tumidus qui ne se trouvent pas en Savoie. La nombreuse famille des U. batavus, abondante en formes diverses, est commune aux deux pays.

La Vitrina (Helicolimax) major Férussac, répandue en France, surtout dans le midi, se trouve dans toute la partie basse de la Savoie. Cependant je l'ai rencontrée jusqu'à 1,000 mètres d'altitude, dans les bois au-dessus de Thônes, près d'Annecy, et dans les forêts du col de La Flue, au-dessus de La Compòte, Beauges. Mon ami François Dumont l'a recueillie, à la même altitude, dans le Faucigny, au Brizon, près Bonneville. Nous l'avons même trouvée, dans ladite province, à 1,200 mètres, au Plan, Grand-Bornand. MM. Brot et Theobald l'ont rencontrée, sur le territoire savoisien, tout près de Genève, à Vétraz-Monthoux, au Monetier de Salève et aux Pitons. En Suisse, au contraire, elle n'a été signalée que par M. Edmond Boissier, à Valeires, canton de Vaud.

L'Anodonta rostrata Kokeil a été pêchée, par M. Blanc, dans le lac de Saint-Paul, au-dessus d'Evian, en Chablais, tandis que tout près, dans le canton de Vaud, à l'embouchure du Rhône dans le lac de Genève, on trouve les Anodonta (Mytilus) cygnea Linné, et A. piscinalis Nilsson, dans le lac, et Anodonta (Mytilus) cellensis Gmellin dans les fossés des marais. L'Anodonta (Mytilus) anatina Linné se rencontre sur tous les bords caillouteux du lac de Genève aussi bien suisses que savoisiens.

[ocr errors]

et l'H. phalerata, ne se trouvant qu'au sommet très isolé du mont Baldo; et pourtant ces deux espèces appartiennent à une même famille, dont la surface d'habitation s'étend tout le long des Alpes.

Ce sont là des faits qui tendent à faire admettre la transformation des formes par suite des influences extérieures et la reproduction des mêmes formes sous l'action des influences semblables: grande question que j'espère traiter un jour d'une manière plus complète. Pour aujourd'hui je me contenterai de citer une observation que j'ai faite chez de Charpentier. M. Edmond Boissier, étant allé herboriser au col de Tende, entre Coni et Nice, recueillit en grand nombre des coquilles qu'il remit à de Charpentier. Parmi ces coquilles se trouvaient des Helix cingulata Studer, au test léger, provenant de Saorgio. Puis d'autres Helix de la même espèce, mais au test beaucoup plus solide et au péristome moins réfléchi, provenant de niveaux plus élevés. Enfin quelques individus, recueillis sur les bautes sommités, ressemblaient tellement à l'Helix frigida, que de Charpentier les classa sous ce nom dans sa collection et les plaça près des véritables frigida provenant de la Grigna. Mais à côté de ces individus bien caractérisés s'en trouvaient d'autres intermédiaires qui servaient de transition entre le type frigida et le type cingulata: deux types qui pourtant, au premier abord, paraissent bien distincts et fort éloignés l'un de l'autre. A la vue de tous ces échantillons, il n'est resté dans mon esprit aucun doute sur la transformation de l'une de ces espèces en l'autre par suite des influences atmosphériques provenant surtout de la différence d'altitude.

Cela expliquerait la localisation si singulière et si restreinte de l'H. frigida au sommet de la Grigna. Ce serait une transformation frigidienne, si je puis m'exprimer ainsi, de l'Helix Preslii Schmidt, une des formes de l'H. cingulata qui se trouve en abondance dans les

On doit conclure de tout ce qui précède que malaco-parties inférieures de la Grigna. logiquement la Savoie se lie très intimément à la France, et se sépare, au contraire. de la Suisse, même pour ce qui concerne les provinces les plus voisines, le Chablais et le Faucigny.

J'ai parlé précédemment du Pupa Bigorriensis, espèce des Pyrénées qui forme une colonie dans le Faucigny. Ce fait très curieux est loin d'être unique. On le voit se renouveler pour beaucoup d'autres espèces, surtout pour les Pupa.

Le vrai type du Pupa megacheilos Jan se trouve abondamment répandu dans toute la chaîne des Pyrénées et dans les Alpes du Tessin et de la Lombardie. Entre deux c'est à peine si l'on cite quelques stations isolées, comme les environs de Grasse, département du Var.

Le Pupa (Turbo) quinquedentata Born, Pupa cinerea de Draparnaud, se trouve en abondance contre les murs et les rochers de Suse, au pied du Mont-Cenis. Cette espèce pourtant ne se rencontre ni en Piémont, ni en Savoie, ni dans la vallée d'Oulx qui met Suse en communication, par le mont Genèvre, avec Briançon et la vallée de la Durance.

Le Pupa granum Drapanacd se trouve à Sion, dans le Valais, complètement isolé de tous ces autres lieux d'habitation.

Pour les Helix, j'ai cité l'Helix frigida, confinée sur un seul point, le sommet du mont Grigna septentrional,

Cela expliquerait la localisation également restreinte et singulière de l'H. phalerata sur le sommet du Baldo, à 2,100 mètres, car l'H. cingulata, très répandue dans le Véronais, se trouve en grand nombre au pied du mont Baldo et s'élève, d'après Edouard de Betta (1), jusqu'à 1,200 mètres sur la base de cette montagne.

On vient de voir que les escargots, plus habiles que les diplomates, ont résolu depuis longtemps les questions de nationalité sur lesquelles la pauvre race humaine est encore à se disputer et à se battre. Je vais maintenant montrer que l'homme, avec toute son intelligence, dont il est si fier, n'a, dans sa dispersion sur la terre, fait que suivre les traces de ces mêmes escargots!... Je me contenterai de parcourir les frontières actuelles de la France.

Les mollusques français comme Helix lapicida, sylvatica, zonata, edentula, etc., franchissent les Alpes, descendent dans les premières vallées italiennes et les occupent à l'exclusion des mollusques italiens. De même dans ces vallées, vallée de Pignerol, vallée d'Oulx, audessus de Suse, vallée d'Aoste, la population est exclusivement de langue française.

Les mollusques allemands, Clausilia plicatula Drap., Clausilia similis Charp., Helix unidentata Drap., qui manquent à la Suisse française, passent en Alsace,

(4) Catalogo dei molluschi viventi sul monte Baldo.

pays occupé par une population de langue allemande.

On voit par-là que l'homme, dans sa distribution géographique, a subi l'influence des mêmes lois générales que les autres animaux.

Enfin, en terminant, je ferai une observation sur l'Helix unidentata. Presque tous les auteurs l'indiquent de la Grande-Chartreuse; je puis à peu près certifier qu'elle ne s'y trouve pas. C'était aussi l'opinion d'Albin Gras, qui s'est spécialement occupé des mollusques du Dauphiné. Je doute aussi très fort qu'on l'ait jamais trouvée dans la Bresse. Il est curieux de voir combien les erreurs de distribution géographique à propos des mollusques terrestres de la France se perpétuent même dans les meilleurs ouvrages. Ainsi, pour expulser définitivement de la faune française l'Helix cincta Muller, espèce italienne, qui s'étend en Istrie et en Dalmatie, presque aussi grosse que l'Helix pomatia, par conséquent facile à trouver, il a fallu plus de temps que pour ruiner la monarchie de juillet et démolir une douzaine de ministères !...

Cette espèce, indiquée à tort par Michaud, en 1831, dans le Complément à Draparnaud, comme se trouvant aux environs de Tonnerre, Yonne, est encore décrite et figurée dans Dupuy, en 1848, Histoire des mollusques terrestres et d'eau douce de la France. Ce ne fut qu'en 1851, que Ray et Drouet, Catalogue des mollusques vivants de la Champagne méridionale, établirent que cette espèce n'existait pas à Tonnerre et était étrangère à la faune française, ce qui a ensuite été confirmé par Cotteau. GABRIEL DE MORTILLET.

ARCHÉOLOGIE

VOIES ROMAINES

(Suite)

ne se sont pas écartées de la voie romaine. Albanis-Baumont, en s'appuyant sur Simler et Delisle, n'a fait qu'augmenter les erreurs. Du reste son compagnon de voyage, M. de Reydet, est en perpétuelle contradiction avec lui. Il y a effectivement des aperçus nouveaux et exacts dans les manuscrits de ce dernier. Mais celui qui a le plus embrouillé la question des voies romaines, en Savoie, c'est le baron Walkenaër, dans sa Géographie ancienne historique et comparée des Gaules cisalpine et transalpine.

Ne tenant aucun compte des détours si nombreux que les routes doivent faire dans les montagnes, à cause des escarpements, des rocs abrupts, des dégâts occasionnés chaque année par les torrents rapides, la fonte des neiges, les avalanches, il se contenta de mesurer avec un compas sur des cartes plus ou moins détaillées, et ne pouvant trouver son compte, il se mit sans façon à corriger, à transposer les chiffres des distances donnés par les itinéraires anciens, à supposer des villages pour justifier ses étymologies, sans s'inquiéter de ceux qui pouvaient donner la clef de l'énigme. Désappointé encore, car l'itinéraire romain était toujours plus long que la ligne droite entre les deux pointes de son compas, il imagina de supposer qu'il y avait double voie en partant du sommet de l'Alpe grecque pour se diriger vers Darentasia, c'est-à-dire depuis le Petit Saint-Bernard jusqu'à Moûtiers; l'une tenant la droite, l'autre la gauche du torrent du Reclus et de la rivière d'Isère. Mais, ô faiblesse humaine! sur les six tableaux confectionnés à grands frais de corrections, d'omissions, de déplacements, les n° 31, 32, les deux 33, les deux 37, il n'y en a pas un qui soit conforme à l'autre, qui parte du même principe, qui soit le résultat d'un même système. Ils se détruisent réciproquement les uns les autres.

Il y a certainement une grande érudition, beaucoup de travail et de recherches dans l'ouvrage de Walkenaër; mais l'examen de la partie dans laquelle il a traité de la voie des Alpes graies diminue bien la confiance qu'on aurait cru lui donner en dehors des départements dont il a été préfet, et dans lesquels ses investigations auront été de la plus grande exactitude. Quant à la partie purement géographique de son ou vrage, elle est assurément bien plus estimable que celle des itinéraires.

Nous avons encore plusieurs de ces itinéraires, entr'autres celui qui porte, à tort ou à raison, le nom d'Antonin, et la carte théodosienne ou carte de Peutinger qui l'a découverte et copiée au XVe siècle. Les noms de plusieurs anciennes stations subsistent encore aujourd'hui en Savoie, avec les modifications orthographiques propres au génie de la langue française; ils peuvent servir de départ aux recherches. C'est ainsi que d'Anville avait rétabli la vérité sur Bergintrum en remontant d'Axima (Aixme) vers le Bourg-Saint-Maurice. M. Pillet avait indiqué la station de Mantala en partant de Lemencum (Lémenc), et en remontant la vallée d'Isère. Abauzit avait fixé Bautas en partant de Genava. Devignet, à l'aide d'une charte, indiquée par Menabréa dans le cartulaire de Saint-Hugues, a déter-âge. Le tracé romain est grandiose, audacieux ; il a une miné aux Echelles la position si longtemps débattue de Lovisco entre Lemencum et Augustum, position que de récentes recherches vont peut-être déplacer pour la reporter à Lépin, Lapisco, si les mesures viennent en aide.

Mais quant aux autres stations, ils n'ont rien laissé de précis, et leurs observations superficielles, déduites d'étymologies plus ou moins incertaines, ne sont fondées sur aucune mesure locale opérée sur des vestiges d'anciennes routes. M. Pillet le premier a recouru aux mesures des routes actuelles, et il n'est arrivé à quelques résultats satisfaisants que lorsque les routes modernes

En général, dans ces sortes d'études, on ne tient pas assez compte de la nature et de la solidité du terrain, de l'exposition des coteaux, de la pente des routes carrossables, des lacets que cette destination exige; on peut aussi se laisser égarer par les vestiges de chemins étroits et tortueux, qui convergeaient vers les monastėres et les châteaux, centres de toute activité au moyen

allure libre, dégagée, mais droite, lorsque la localité s'y prête. Il serait difficile de trouver le caractère romain dans les débris de la plupart de nos vieux castels; ils sont l'œuvre de l'invasion et de la féodalité; il n'en faut presque pas tenir compte. On a aussi confondu quelquefois les différentes sortes de routes romaines, via, actus, iter, semita, callis, qui entr'elles forment une espèce de hiérarchie, dans laquelle les voies consulaires ou prétoriennes tiennent le même rang que les employés dont elles portaient la qualification tenaient dans les provinces de l'empire.

Mais je ne veux pas répéter ici ce que l'on peut trou

« PreviousContinue »