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signataires, on remarque MM. Odilon Barrot, Duvergier de Hauranne, Dupont (de l'Eure), L. de Malleville, Garnier Pagès, Crémieux, etc.

A six heures seulement, le rappel destiné à rassembler la garde nationale est battu dans les divers quartiers. Un petit nombre de gardes nationaux répond à cet appel. Dans la 2° légion, sur 8,000 hommes, 554 seulement se sont rendus à la mairie; la proportion a été la même dans la 1 et dans la 3o légion.

Vers huit heures, une colonne composée de plus de deux mille personnes, mal armées, se porte sur le quartier du Marais. Sur la route, des hommes frappent aux portes des maisons, s'y introduisent et s'emparent des armes qui s'y trouvent. Ils se répandent dans les rues qui aboutissent à la rue Saint-Louis, et des barricades sont élevées. Les troupes cernent bientôt ce quartier de tous côtés.

Quelques engagements ont lieu pendant la nuit sur divers points. Des canons sont amenés de Vincennes et mis en batterie sur la place du Carrousel, sur la place de la Concorde, sur les quais, dans la rue des Coquilles, près de l'Hôtel deVille et dans la rue de la Verrerie.

De son côté, le peuple n'est pas resté inactif; partout s'élevent des barricades.

A sept heures, le rappel est battu dans tous les quartiers; la garde nationale s'empresse de se réunir. La foule se porte aux Champs-Élysées ; à neuf heures, des rassemblements se sont formés sur les boulevards Bonne Nouvelle, Saint-Denis, du Temple et dans les rues adjacentes. D'autres rassemblements partis du Panthéon se dirigent vers la rue Saint-Martin. Le peuple s'empare des postes de la rue Geoffroy-L'Angevin et de la rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie; il se procure ainsi des armes, et le combat s'engage. Pendant une partie de la journée, le peuple, retranché derrière les barricades, répond au feu des troupes.

Ici commence véritablement le rôle de la garde nationale;

son attitude va diminuer, du moins pour un moment, les dangers de la situation; les citoyens, tout en insistant sur la nécessité des réformes, vont s'interposer entre le peuple et la force armée.

La 2o légion s'est réunie en assez grand nombre; aux exhortations de son colonel,'elle répond par la promesse de maintenir l'ordre, mais aussi par une énergique protestation contre la politique du ministère et par le cri de Vive la réforme ! Ces manifestations engagent le lieutenant-colonel, M. Baignères, à se rendre auprès du duc de Nemours; cet officier fait connaître au duc les dispositions de sa légion, et lui dit qu'il ne peut plus en répondre, si les concessions demandées par l'opinion publique ne sont pas obtenues.

La 3o légion est également assez nombreuse; elle s'est réunie de bonne heure sur la place des Petits-Pères, où est située la mairie du troisième arrondissement. Chaque nouveau pelo. ton signale son arrivée par les cris de Vive la réforme! à bas les ministres! A onze heures, un groupe nombreux, mais inoffensif, s'était formé sur la place; un peloton de garde municipale s'avançait au pas de course par la rue des Petits-Pères; le dévouement d'un officier de la garde nationale, M. Degousée, empécha l'effusion du sang. Cet officier écarta les baïonnettes au péril de ses jours; les gardes municipaux exaspérés refusaient de l'entendre. Deux baïonnettes menaçaient sa poitrine; les gardes nationaux accoururent et parvinrent à le dégager. Enfin, cédant à leurs prières, l'officier de la garde municipale fit rentrer ses soldats dans leur caserne. Le colonel de la 3o légion, M. Besson, pair de France, se rendit auprès de M. le général Jacqueminot, et lui fit part des vœux émis par la garde nationale. Le général en chef promit de se faire l'interprète de la 3o légion auprès du roi.

Des patrouilles de gardes nationaux, suivies par la foule, parcouraient ce quartier en criant A bas les ministres! vive la réforme! A deux heures et demie un général d'état-major de la

garde nationale annonça officiellement la démission du mi

nistère.

Sur d'autres points, l'intervention de la garde nationale a préservé des citoyens inoffensifs. Rue des Jeûneurs, à onze heures, deux compagnies de la ligne, qui venaient d'enlever une barricade au coin de la rue de Cléry et de la rue Poissonnière, se précipitaient, la baïonnette au bout du fusil, sur les groupes sans défense. Un homme venait d'être renversé et foulé aux pieds. Sur les instances de M. Perrée, capitaine de la 2o légion, le capitaine a arrêté sa compagnie, et lui a fait mettre l'arme au bras. La foule a pu se dissiper sans danger.

Vers trois heures et demie, quatre à cinq cents gardes nationaux de la 4 légion, parmi lesquels on comptait vingt-cinq officiers, se sont présentés, sans armes, chez M. Crémieux. Une foule immense les accompagnait; cette manifestation s'est faite avec beaucoup de calme; M. Crémieux était à la chambre les gardes nationaux s'y sont rendus; mais, arrêtés sur le pont de la Concorde par un détachement de la 10° légion, ils ont dû envoyer leurs pétitions à M. Crémieux; ce dernier, accompagné de MM. Marie et Beaumont (de la Somme), a quitté la séance pour répondre aux pétitionnaires. Il les a harangués sur le pont, pour les exhorter à empêcher l'effusion du sang, et leur a promis de présenter les pétitions à la chambre. Sur l'invitation de M, Marie, les gardes nationaux se sont retirés avec beaucoup d'ordre.

A la chambre, M. Vavin demandait l'autorisation d'interpeller le ministère sur la situation de la capitale. L'honorable député s'est plaint de la convocation tardive de la garde nationale; il a demandé si l'ordre de la réunir n'avait pas été donné le lundi matin, et s'il était vrai que dans la nuit du lundi au mardi cet ordre eût été rapporté. M. Guizot a répondu qu'il ne jugeait pas à propos d'entrer dans aucun débat sur ces interpellations; il a annoncé que le Roi avait fait appeler M. Molé pour le charger de former un nouveau cabinet. La chambre, vivement émue, a maintenu à

Fordre du jour des bureaux l'examen des propositions dé posées contre les ministres, malgré les observations de M. Dupin, qui a insisté sur la nécessité de rétablir l'ordre, et sur les dangers d'une discussion aussi irritante. M. Odilon-Barrot s'était soumis d'avance au vote de la majorité. La séance a été levée au milieu d'une vive agitation. A la chambre des pairs, MM. de Boissy et d'Alton-Shée ont voulu interpeller les ministres: la chambre ne les a pás écoutés.

A quatre heures la chute du ministère était connue de tout le monde; cette nouvelle mit fin à la lutte. Cependant à sept heures et demie du soir, un combat avait encore lieu rue Bourgl'Abbé, entre le peuple et cent cinquante gardes municipaux. Cernés par la garde nationale, ils lui ont remis leurs armes.

A quatre heures et demie, la 5 légion avait fait cesser un engagement du même genre, dans la rue du Faubourg

Saint-Martin;

Sur tous les autres points les troupes avaient disparu; à cinq heures et demie, on circulait librement dans les rues de la capitale. Le calme paraissait renaître; l'heureuse nouvelle était répétée dans tous les groupes. Plus de barricades. Le peuple était mêlé aux gardes nationaux. A huit heures, les fenêtres étaient illuminées. Paris avait un air de fête. Les personnes, que les événements de la journée avaient confinées dans leurs demeures, sortaient pour jouir de ce coup-d'œil. Il avait eu à la Bourse une hausse de 40 centimes sur la rente.

A neuf heures, un rassemblement se porte sur la place Vendôme, sous les fenêtres de M. Hébert, ministre de la justice. Plus de huit mille personnes prennent part à cette démonstration; on crie: A bas Hébert! A bas l'inventeur de la complicité morale ! On demande que toutes les fenêtres soient illuminées.

A dix heures, tout change d'aspect. Le bruit de la fusillade se fait entendre, et tout le monde est saisi d'effroi. Un attroupement, venant des boulevards, s'est présenté au ministère des affaires étrangères; on ne veut pas lui livrer passage; la

troupe de ligne tire à bout portant sur la foule, qui fuit dans toutes les directions; plus de quarante personnes restent sur le pavé, et quand leurs cadavres auront été enlevés, une mare de sang attestera leur passage.

Les cris de Vengeance! Aux armes! retentissent aussitôt. Le peuple place les morts dans des tombereaux, et les promène dans toute la ville à la lueur des torches. L'exaspération des esprits est à son comble. Les barricades semblent sortir de dessous terre. Dans toutes les maisons, le peuple demande des armes, tout lui semblera bon. Les arbres des boulevards sont tombés sous la hache, et le matin dix-huit barricades ont été élevées depuis la Madelaine jusqu'à la Bastille. Quelques-unes ont douze pieds de haut. Le peuple n'a pas rencontré d'obstacle.

A neuf heures les troupes de ligne reçoivent l'ordre de se retirer dans leurs casernes. M. Molé n'accepte plus la mission qui lui était confiée; MM. Thiers et Odilon-Barrot sont appelés auprès du Roi. Une proclamation préparée par eux était imprimée à la hâte, affichée et déchirée aussitôt,

M. Emile de Girardin avait préparé une autre proclamation: abdication du roi, régence de Me la duchesse d'Orléans, dissolution de la chambre, amnistie générale. Le peuple combattait.

Vers sept heures du matin, un feu de peloton s'était fait entendre sur le boulevard, à la hauteur du faubourg Mont

martre.

A huit heures, des engagements meurtriers avaient lieu sur le boulevard Saint-Denis. Les troupes casernées au haut du faubourg Poissonnière ont été désarmées par le peuple. La garde nationale est avec lui.

Les derniers efforts du peuple se concentrent sur les Tuileries et le Palais-Royal. A une heure de l'après-midi, łe roi sort à pied de son Palais; il s'appuie sur le bras de la reine; il est entouré de gardes nationaux à cheval, d'aides de camp et d'officiers de service. Ce cortége est arrêté par les mouvements de la foule. Une petite voiture basse attelée d'un cheval reçoit

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