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flétrissure d'un livre n'en détruit par les argumens, et peut même leur donner une publicité plus grande, ajoute: A cet égard, je retrouve › assez mes maximes dans celles des represen› tations. Mais ces maximes ne sont pas celles

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leur sont imposés. Ainsi les assassins doivent être punis de mort; les voleurs, de la perte de leur bien, ou, s'ils n'en ont pas, de celle de leur liberté, qui est alors le seul bien qui leur reste. De même, dans les délits qui sont uniquement contre la religion, les peines doivent En resserrant et liant tous ces passages, je être tirées uniquement de la religion; telle est, leur trouve à peu près le sens qui suit :

› de nos lois (page 22). ›

Quoique la philosophie, la politique et la raison, puissent soutenir la liberté de tout écrire, on doil, dans notre état, punir cette liberté, parce que nos lois la réprouvent. Mais il ne faut pourtant pas suivre nos lois à la lettre, parce qu'alors on ne puniroit pas cette liberté.

A parler vrai, j'entrevois là je ne sais quel galimatias qui me choque; et pourtant l'auteur me paroît homme d'esprit : ainsi, dans ce résumé, je penche à croire que je me trompe, sans qu'il me soit possible de voir en quoi. Comparez donc vous-même les pages 14, 22, 30, et vous verrez si j'ai tort ou raison.

Quoi qu'il en soit, en attendant que l'auteur nous montre ces autres lois où les préceptes de la philosophie et de la politique sont réprouvés, reprenons l'examen de ses objections contre celle-ci.

Premièrement, loin que, de peur de laisser un délit impuni, il soit permis dans une république au magistrat d'aggraver la loi, il ne lui est pas même permis de l'étendre aux délits sur lesquels elle n'est pas formelle; et l'on sait combien de coupables échappent en Angleterre, à la faveur de la moindre distinction subtile dans les termes de la loi. Quiconque est plus sévère que les lois, dit Vauvenargues, est un tyran ('). Mais voyons si la conséquence de l'impunité, dans l'espèce dont il s'agit, est si terrible que l'a faite l'auteur des Lettres.

Il faut, pour bien juger de l'esprit de la loi, se rappeler ce grand principe, que les meilleures lois criminelles sont toujours celles qui tirent de la nature des crimes les châtimens qui

(1) Comme il n'y a point à Genève de lois pénales proprement dites, le magistrat inflige arbitrairement la peine des crimes, ce qui est assurément un grand défaut dans la législation,

par exemple, la privation de la preuve par serment en choses qui l'exigent; telle est encore l'excommunication, prescrite ici comme la peine la plus grande de quiconque a dogmatisé contre la religion, sauf ensuite le renvoi au magistrat, pour la peine civile due au délit civil, s'il y en a.

Or il faut se ressouvenir que l'ordonnance, l'auteur des Lettres, et moi, ne parlons ici que d'un délit simple contre la religion. Si le délit étoit complexe, comme si, par exemple, j'avois imprimé mon livre dans l'état sans permission, il est incontestable que, pour être absous devant le consistoire, je ne le serois pas devant le magistrat.

Cette distinction faite, je reviens, et je dis: Il y a cette différence entre les délits contre la religion et les délits civils, que les derniers font aux hommes ou aux lois un tort, un mal réel, pour lequel la sûreté publique exige nécessairement réparation et punition; mais les autres sont seulement des offenses contre la Divinité, à qui nul ne peut nuire, et qui pardonne au repentir. Quand la Divinité est apaisée, il n'y a plus de délit à punir, sauf le scandale, et le scandale se répare en donnant au repentir la même publicité qu'a eue la faute. La charité chrétienne imite alors la clémence divine : et ce seroit une inconséquence absurde de venger la religion par une rigueur que la religion réprouve. La justice humaine n'a et ne doit avoir nul égard au repentir, je l'avoue; mais voilà précisément pourquoi, dans une espèce de délit que le repentir peut réparer, l'ordonnance a pris des mesures pour que le tribunal civil n'en prit pas d'abord connoissance.

L'inconvénient terrible que l'auteur trouve à laisser impunis civilement les délits contre la et un abus énorme dans un état libre. Mais cette autorité du religion, n'a donc pas la réalité qu'il lui donne ;

magistrat ne s'étend qu'aux crimes contre la loi naturelle, et reconnus tels dans toute société, ou aux choses spécialement défendues par la loi positive; elle ne va pas jusqu'à forger un délit imaginaire où il n'y en a point, ni, sur quelque délit que ce puisse être, jusqu'à renverser, de peur qu'un coupable n'échappe, l'ordre de la procédure fixé par la loi.

et la conséquence qu'il en tire pour prouver que tel n'est pas l'esprit de la loi, n'est point juste, contre les termes formels de la loi.

Ainsi, quel qu'ait été le délit contre la reli

gion, ajoute-t-il, l'accusé, en faisant semblant | propos, et qu'elle ne pourvoie à rien pour qu'il de se ranger, pourra toujours échapper. L'or- ne soit pas brûlé mal à propos ; qu'elle craigne donnance ne dit pas s'il fait semblant de se ransi fort la rigueur des ministres, et si peu celle ger; elle dit, s'il se range; et il y a des règles des juges! C'étoit bien fait assurément de aussi certaines qu'on en puisse avoir en tout compter pour beaucoup la communion des fiautre cas pour distinguer ici la réalité de la dèles; mais ce n'étoit pas bien fait de compter fausse apparence, surtout quant aux effets ex- pour si peu leur sûreté, leur liberté, leur vie ; térieurs, seuls compris sous ce mot, s'il se et cette même religion qui prescrivoit tant d'inrange. dulgence à ses gardiens, ne devoit pas donner tant de barbarie à ses vengeurs.

Si le délinquant, s'étant rangé, retombe, il commet un nouveau délit plus grave, et qui mérite un traitement plus rigoureux. Il est relaps, et les voies de le ramener à son devoir sont plus sévères. Le Conseil a là-dessus pour modèle les formes judiciaires de l'inquisition (') et si l'auteur des Lettres n'approuve pas qu'il soit aussi doux qu'elle, il doit au moins lui laisser toujours la distinction des cas; car il n'est pas permis, de peur qu'un délinquant ne retombe, de le traiter d'avance comme s'il étoit déjà retombé.

C'est pourtant sur ces fausses conséquences que cet auteur s'appuie pour affirmer que l'édit, dans cet article, n'a pas eu pour objet de régler la procédure, et de fixer la compétence des tribunaux. Qu'a donc voulu l'édit, selon lui? Le voici.

Il a voulu empêcher que le consistoire ne sévit contre des gens auxquels on imputeroit ce qu'ils n'auroient peut-être point dit, ou dont on auroit exagéré les écarts; qu'il ne sévit, dis-je, contre ces gens-là sans en avoir conféré avec eux, sans avoir essayé de les gagner.

Mais qu'est-ce que sévir, de la part du consistoire? C'est excommunier, et déférer au Conseil. Ainsi, de peur que le consistoire ne défère trop légèrement un coupable au Conseil, l'édit le livre tout d'un coup au Conseil. C'est une précaution d'une espèce toute nouvelle. Cela est admirable que, dans le même cas, la loi prenne tant de mesures pour empêcher le consistoire de sévir précipitamment, et qu'elle n'en prenne aucune pour empêcher le Conseil de sévir précipitamment; qu'elle porte une attention si scrupuleuse à prévenir la diffamation, et qu'elle n'en donne aucune à prévenir le supplice; qu'elle pourvoie à tant de choses pour qu'un homme ne soit pas excommunié mal à

() Voyez le Manuel des Inquisiteurs.

Voilà toutefois, selon notre auteur, la solide raison pourquoi l'ordonnance n'a pas voulu dire ce qu'elle dit. Je crois que l'exposer c'est assez y répondre. Passons maintenant à l'application; nous ne la trouverons pas moins curieuse que l'interprétation.

L'article LXXXVIII n'a pour objet que celui qui dogmatise, qui enseigne, qui instruit. Il ne parle point d'un simple auteur, d'un homme qui ne fait que publier un livre, et qui, au surplus, se tient en repos. A dire la vérité, cette distinction me paroît un peu subtile; car, comme disent très-bien les représentans, on dogmatise par écrit tout comme de vive voix. Mais admettons cette subtilité; nous y trouverons une distinction de faveur pour adoucir la loi, non de rigueur pour l'aggraver.

Dans tous les états du monde, la police veille avec le plus grand soin sur ceux qui intruisent, qui enseignent, qui dogmatisent: elle ne permet ces sortes de fonctions qu'à gens autorisés; il n'est pas même permis de précher la bonne doctrine, si l'on n'est reçu prédicateur. Le peuple aveugle est facile à séduire; un homme qui dogmatise attroupe; et bientôt il peut ameuter. La moindre entreprise en ce point est toujours regardée comme un attentat punissable à cause des conséquences qui peuvent en résulter.

Il n'en est pas de même de l'auteur d'un livre ; s'il enseigne, au moins il n'attroupe point, il n'ameute point: il ne force personne à l'écouter, à le lire; il ne vous recherche point, il ne vient que quand vous le recherchez vousmême ; il vous laisse réfléchir sur ce qu'il vous dit, il ne dispute point avec vous, ne s'anime point, ne s'obstine point, ne lève point vos doutes, ne résout point vos objections, ne vous poursuit point: voulez-vous le quitter, il vous quitte; et, ce qui est ici l'article important, il ne parle pas au peuple.

Aussi jamais la publication d'un livre ne fut-point celle de l'auteur des Lettres. Il en tire elle regardée par aucun gouvernement du même une toute contraire. Il faut l'écouter lui-même : œil que les pratiques d'un dogmatiseur. Il y a vous ne m'en croiriez pas si je vous parlois même des pays où la liberté de la presse est en- d'après lui. tière; mais il n'y en a aucun où il soit permis à tout le monde de dogmatiser indifféremment. Dans les pays où il est défendu d'imprimer des livres sans permission, ceux qui désobéissent sont punis quelquefois pour avoir désobéi; mais la preuve qu'on ne regarde pas au fond ce que dit un livre comme une chose importante, est la facilité avec laquelle on laisse entrer dans l'état ces mêmes livres que, pour n'en pas paroître approuver les maximes, on n'y laisse pas imprimer.

Tout ceci est vrai, surtout des livres qui ne sont point écrits pour le peuple, tels qu'ont toujours été les miens. Je sais que votre Conseil affirme dans ses réponses que, selon l'intention de l'auteur, l'Émile doit servir de guide aux pères et aux mères ('): mais cette assertion n'est pas excusable, puisque j'ai manifesté dans la préface, et plusieurs fois dans le livre, une intention toute différente. Il s'agit d'un nouveau système d'éducation, dont j'offre le plan à l'examen des sages, et non pas d'une méthode pour les pères et mères, à laquelle je n'ai jamais songé. Si quelquefois, par une figure assez commune, je parois leur adresser la parole, c'est, ou pour me faire mieux entendre, ou pour m'exprimer en moins de mots. Il est vrai que j'entrepris mon livre à la sollicitation d'une mère mais cette mère, toute jeune et tout aimable qu'elle est, a de la philosophie, et connoît le cœur humain; elle est par la figure un ornement de son sexe, et par le génie une exception. C'est pour les esprits de la trempe du sien que j'ai pris la plume, non pour des messieurs tel ou tel, ni pour d'autres messieurs de pareille étoffe, qui me lisent sans m'entendre, et qui m'outragent sans me fâcher.

Il résulte de la distinction supposée, que si la procédure prescrite par l'ordonnance contre un homme qui dogmatise, n'est pas applicable à l'auteur d'un livre, c'est qu'elle est trop sévère pour ce dernier. Cette conséquence si naturelle, cette conséquence que vous et tous mes lecteurs tirez sûrement ainsi que moi, n'est

(') Pages 22 et 23 des représentations imprimées.

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« Il ne faut que lire cet article de l'ordon›nance, pour voir évidemment qu'elle n'a en vue que cet ordre de personnes qui répan› dent par leurs discours des principes estimés dangereux. Si ces personnes se rangent, y > est-il dit, qu'on les supporte sans diffame. › Pourquoi? c'est qu'alors on a une sûreté ⚫ raisonnable qu'elles ne répandront plus cette > ivraie, c'est qu'elles ne sont plus à craindre. Mais qu'importe la rétractation vraie ou simu› lée de celui qui, par la voie de l'impression, a imbu tout le monde de ses opinions? Le » délit est consommé, il subsistera toujours, > et ce délit, aux yeux de la loi, est de la même espèce que tous les autres, où le repentir est inutile dès que la justice en a pris connois

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› sance. »

Il y a là de quoi s'émouvoir; mais calmonsnous et raisonnons. Tant qu'un homme dogmatise, il fait du mal continuellement; jusqu'à ce qu'il se soit rangé, cet homme est à craindre; sa liberté même est un mal, parce qu'il en use pour nuire, pour continuer de dogmatiser. Que s'il se range à la fin, n'importe; les enseignemens qu'il a donnés sont toujours donnés, et le délit à cet égard est autant consommé qu'il peut l'être. Au contraire, aussitôt qu'un livre est publié, l'auteur ne fait plus de mal, c'est le livre seul qui en fait. Que l'auteur soit libre ou arrêté, le livre va toujours son train. La détention de l'auteur peut être un châtiment que la loi prononce; mais elle n'est jamais un remède au mal qu'il a fait, ni une précaution pour en arrêter le progrès.

Ainsi les remèdes à ces deux maux ne sont pas les mêmes. Pour tarir la source du mal que fait le dogmatiseur, il n'y a nul moyen prompt et sûr que de l'arrêter : mais arrêter l'auteur, c'est ne remédier à rien du tout; c'est, au contraire, augmenter la publicité du livre, et par conséquent empirer le mal, comme le dit très-bien ailleurs l'auteur des Lettres. Ce n'est donc pas là un préliminaire à la procédure, ce n'est pas une précaution convenable à la chose; c'est une peine qui ne doit être infligée que par jugement, et qui n'a d'utilité que

le châtiment du coupable. A moins donc que son délit ne soit un délit civil, il faut commencer par raisonner avec lui, l'admonester, le convaincre, l'exhorter à réparer le mal qu'il a fait, à donner une rétractation publique, à la donner librement afin qu'elle fasse son effet, et à la motiver si bien que ses derniers sentimens ramènent ceux qu'ont égarés les premiers. Si, loin de se ranger, il s'obstine, alors seulement on doit sévir contre lui. Telle est certainement la marche pour aller au bien de la chose; tel est le but de la loi; tel sera celui | d'un sage gouvernement qui doit bien moins se proposer de punir l'auteur, que d'empêcher l'effet de l'ouvrage (page 25).

Comment ne le seroit-ce pas pour l'auteur d'un livre, puisque l'ordonnance, qui suit en tout les voies convenables à l'esprit du christianisme, ne veut pas même qu'on arrête le dogmatiseur, avant d'avoir épuisé tous les moyens possibles pour le ramener au devoir? Elle aime mieux courir les risques du mal qu'il peut continuer de faire, que de manquer à la charité. Cherchez, de grâce, comment de cela seul on peut conclure que la même ordonnance veut qu'on débute contre l'auteur par un décret de prise de corps.

Cependant l'auteur des Lettres, après avoir déclaré qu'il retrouvoit assez ses maximes sur cet article dans celles des représentans, ajoute, Mais ces maximes ne sont pas celles de nos lois; et un moment après il ajoute encore, que ceux qui inclinent à une pleine tolérance pourroient tout au plus critiquer le Conseil de n'avoir pas, dans ce cas, fait taire une loi dont l'exercice ne leur paroît pas convenable (page 25). Cette conclusion doit surprendre, après tant d'efforts pour prouver que la seule loi qui paroît s'appliquer à mon délit, ne s'y applique pas nécessairement. Ce qu'on reproche au Conseil n'est point de n'avoir pas fait taire une loi qui existe, c'est d'en avoir fait parler une qui n'existe pas.

La logique employée ici par l'auteur me paroît toujours nouvelle. Qu'en pensez-vous, monsieur? connoissez-vous beaucoup d'argumens dans la forme de celui-ci?

La loi force le Conseil à sévir contre l'auteur du livre.

Et où est-elle cette loi qui force le Conseil à sévir contre l'auteur du livre?

Elle n'existe pas, à la vérité; mais il en existe une autre qui, ordonnant de traiter avec douceur celui qui dogmatise, ordonne par conséquent de traiter avec rigueur l'auteur dont elle ne parle point.

Ce raisonnement devient plus étrange encore pour qui sait que ce fut comme auteur et non comme dogmatiseur que Morelli fut poursuivi il avoit aussi fait un livre, et ce fut pour ce livre seul qu'il fut accusé. Le corps du délit, selon la maxime de notre auteur, étoit dans le livre même; l'auteur n'avoit pas besoin d'être entendu ; cependant il le fut; et non-seulement on l'entendit, mais on suivit de point en point toute la procédure prescrite par ce même article de l'ordonnance, qu'on nous dit ne regarder ni les livres ni les auteurs. On ne brûla même le livre qu'après la retraite de l'auteur; jamais il ne fut décrété, l'on ne parla pas du bourreau ('); enfin tout cela se fit sous les yeux du législateur, par les rédacteurs de l'ordonnance, au moment qu'elle venoit de passer, dans le temps même où régnoit cet esprit de sévérité qui, selon notre anonyme, l'avoit dictée, et qu'il allègue en justification très-claire de la rigueur exercée aujourd'hui contre moi.

Or écoutez là-dessus la distinction qu'il fait. Après avoir exposé toutes les voies de douceur dont on usa envers Morelli, le temps qu'on lui donna pour se ranger, la procédure lente et régulière qu'on suivit avant que son livre fût brûlé, il ajoute : Toute cette marche est très»sage. Mais en faut-il conclure que, dans tous les cas, et dans des cas très-différens, il en faille absolument tenir une semblable? Doit> on procéder contre un homme absent qui attaque la religion, de la même manière qu'on procéderoit contre un homme présent qui

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(1) Ajoutez la circonspection du magistrat dans toute cette affaire, sa marche lente et graduelle dans la procédure, le rapport du consistoire, l'appareil du jugement. Les syndics montent sur leur tribunal public, ils invoquent le nom de Dieu, ils ont sous leurs yeux la sainte Écriture; après une mûre délibé-, ration, après avoir pris conseil des citoyens, ils prononcent leur jugement devant le peuple, afin qu'il eu sache les causes; ils le font imprimer et publier, et tout cela pour la simple condamnation d'un livre, sans flétrissure, sans décret contre l'auteur, opiniâtre et contumax. Ces messieurs, depuis lors, ont appris à disposer moins cérémonieusement de l'honneur et de la liberté des hommes, et surtout des citoyens; car il est à remarquer que Morelli ne l'étoit pas.

> censure la discipline (page 17)? C'est-àdire en d'autres termes, doit-on procéder contre un homme qui n'attaque point les lois, et qui vit hors de leur jurisdiction, avec autant de douceur que contre un homme qui vit sous leur jurisdiction, et qui les attaque? Il ne sembleroit pas en effet que cela dût faire une question. Voici, j'en suis sûr, la première fois qu'il a passé par l'esprit humain d'aggraver la peine d'un coupable, uniquement parce que le crime n'a pas été commis dans l'état.

A la vérité, continue-t-il, on remarque dans » les représentations à l'avantage de M. Rousseau, que Morelli avoit écrit contre un point › de discipline, au lieu que les livres de . M. Rousseau, au sentiment de ses juges, at› taquent proprement la religion. Mais cette › remarque pourroit bien n'être pas géné› ralement adoptée; et ceux qui regardent la religion comme l'ouvrage de Dieu, et l'appui › de la constitution, pourront penser qu'il est › moins permis de l'attaquer que des points de discipline, qui, n'étant que l'ouvrage des › hommes, peuvent être suspects d'erreur, et > du moins susceptibles d'une infinité de formes ⚫ et de combinaisons différentes (page 18). » Ce discours, je vous l'avoue, me paroîtroit tout au plus passable dans la bouche d'un capucin; mais il me choqueroit fort sous la plume d'un magistrat. Qu'importe que la remarque des représentans ne soit pas généralement adoptée, si ceux qui la rejettent ne le font que parce qu'ils raisonnent mal?

Attaquer la religion est sans contredit un plus grand péché devant Dieu que d'attaquer la discipline. Il n'en est pas de même devant les tribunaux humains, qui sont établis pour punir les crimes, non les péchés, et qui ne sont pas les vengeurs de Dieu, mais des lois.

La religion ne peut jamais faire partie de la législation, qu'en ce qui concerne les actions des hommes. La loi ordonne de faire ou de s'abstenir; mais elle ne peut ordonner de croire. Ainsi quiconque n'attaque point la pratique de la religion, n'attaque point la loi.

Mais la discipline établie par la loi fait essentiellement partie de la législation, elle devient loi elle-même. Quiconque l'attaque attaque la loi, et ne tend pas à moins qu'à troubler la constitution de l'état. Que cette constitution fût,

avant d'étre établie, susceptible de plusieurs formes et combinaisons différentes, en est-elle moins respectable et sacrée sous une de ces formes, quand elle en est une fois revêtue à l'exclusion de toutes les autres? et dès lors la loi politique n'est-elle pas constante et fixe, ainsi que la loi divine?

Ceux donc qui n'adopteroient pas en cette affaire la remarque des représentans, auroient d'autant plus de tort que cette remarque fut faite par le Conseil même dans la sentence contre le livre de Morelli, qu'elle accuse surtout de tendre à faire schisme et trouble dans l'état, d'une manière séditieuse; imputation dont il seroit difficile de charger le mien.

Ce que les tribunaux civils ont à défendre n'est pas l'ouvrage de Dieu, c'est l'ouvrage des hommes ; ce n'est pas des âmes qu'ils sont chargés, c'est des corps ; c'est de l'état, et non de l'Église, qu'ils sont les vrais gardiens; et, lorsqu'ils se mêlent des matières de religion, ce n'est qu'autant qu'elles sont du ressort des lois, autant que ces matières importent au bon ordre et à la sûreté publique. Voilà les saines maximes de la magistrature. Ce n'est pas, si l'on veut, la doctrine de la puissance absolue, mais c'est celle de la raison. Jamais on ne s'en écartera dans les tribunaux civils, sans donner dans les plus funestes abus, sans mettre l'état en combustion, sans faire des lois et de leur autorité le plus odieux brigandage. Je suis fàché pour le peuple de Genève que le Conseil le méprise assez pour l'oser leurrer par de tels discours, dont les plus bornés et les plus superstitieux de l'Europe ne sont plus les dupes. Sur cet article, vos représentans raisonnent en hommes d'état, et vos magistrats raisonnent en moines.

Pour prouver que l'exemple de Morelli ne fait pas règle, l'auteur des Lettres oppose à la procédure faite contre lui celle qu'on fit en 1632 contre Nicolas Antoine, un pauvre fou, qu'à la sollicitation des ministres le Conseil fit brûler pour le bien de son âme. Ces auto-da-fé n'étoient pas rares jadis à Genève; et il paroît, par ce qui me regarde, que ces messieurs ne manquent pas de goût pour les renouveler.

Commençons toujours par transcrire fidèlement les passages, pour ne pas imiter la méthode de mes persécuteurs.

Qu'on voie le procès de Nicolas Antoine.

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