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Tous les jours on découvroit quelque nouvelle | qui il appartient de juger, et surtout en pre

trame en faveur de la maison de Savoie, ou des évêques, sous prétexte de religion. Voilà sur quoi tombent clairement les mots de pratiques et de machinations, qui, depuis que la langue françoise existe, n'ont sûrement jamais été employés pour les sentiments généraux qu'un homme publie dans un livre où il se nomme, sans projet, sans vue particulière, et sans trait à aucun gouvernement. Cette accusation paroît si peu sérieuse à l'auteur même qui l'ose faire, qu'il me reconnoît fidèle aux devoirs du citoyen (page 8). Or, comment pourrois-je l'être, si j'avois enfreint mon serment de bourgeois?

Il n'est donc pas vrai que j'aie enfreint ce serment. J'ajoute que, quand cela seroit vrai, rien ne seroit plus inouï dans Genève en choses de cette espèce, que la procédure faite contre moi. Il n'y a peut-être pas de bourgeois qui n'enfreigne ce serment en quelque article (1), sans qu'on s'avise pour cela de lui chercher querelle, et bien moins de le décréter.

On ne peut pas dire, non plus, que j'attaque la morale dans un livre où j'établis de tout mon pouvoir la préférence du bien général sur le bien particulier, et où je rapporte nos devoirs envers les hommes à nos devoirs envers Dieu, seul principe sur lequel la morale puisse ètre fondée, pour être réelle et passer l'apparence. On ne peut pas dire que ce livre tende en aucune sorte à troubler le culte établi ni l'ordre public, puisqu'au contraire j'y insiste sur le respect qu'on doit aux formes établies, sur l'obéissance aux lois en toute chose, même en matière de religion, et puisque c'est de cette obéissance prescrite qu'un prêtre de Genève m'a le plus aigrement repris.

Ce délit si terrible, et dont on fait tant de bruit, se réduit donc, en l'admettant pour réel, à quelque erreur sur la foi, qui, si elle n'est avantageuse à la société, lui est du moins trèsindifférente, le grand mal qui en résulte étant la tolérance pour les sentimens d'autrui, par conséquent la paix dans l'état et dans le monde sur les matières de religion.

Mais je vous demande, à vous, monsieur, qui connoissez votre gouvernement et vos lois, à

() Par exemple, de ne point sortir de la ville pour aller habiter a lleurs sans permission. Qui est-ce qui demande cette permission?

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mière instance, des erreurs sur la foi que peut commettre un particulier : est-ce au Conseil? est-ce au consistoire? Voilà le noeud de la question.

Il falloit d'abord réduire le délit à son espèce. A présent qu'elle est connue, il faut comparer la procédure à la loi.

Vos édits ne fixent pas la peine due à celui qui erre en matière de foi, et qui publie son erreur. Mais, par l'article 88 de l'ordonnance ecclésiastique, au chapitre du consistoire, ils règlent l'ordre de la procédure contre celui qui dogmatise. Cet article est couché en ces termes:

S'il y a quelqu'un qui dogmatise contre la doctrine reçue, qu'il soit appelé pour conférer avec lui: s'il se range, qu'on le supporte sans scandale ni diffame; s'il est opiniâtre, qu'on l'admoneste par quelques fois pour essayer à le réduire. Si on voit enfin qu'il soit besoin de plus grande sévérité, qu'on lui interdise la sainte cène, et qu'on avertisse le magistral, afin d'y pourvoir.

On voit par là, 1o que la première inquisition de cette espèce de délit appartient au consistoire;

2o Que le législateur n'entend point qu'un tel délit soit irrémissible, si celui qui l'a commis se repent et se range;

5° Qu'il prescrit les voies qu'on doit suivre pour ramener le coupable à son devoir :

4° Que ces voies sont pleines de douceur, d'égards, de commisération, tel qu'il convient à des chrétiens d'en user, à l'exemple de leur maître, dans les fautes qui ne troublent point la société civile, et n'intéressent que la religion;

5° Qu'enfin la dernière et plus grande peine qu'il prescrit est tirée de la nature du délit, comme cela devroit toujours être, en privant le coupable de la sainte cène et de la communion de l'Église, qu'il a offensée, et qu'il veut continuer d'offenser.

Après tout cela, le consistoire le dénonce au magistrat, qui doit alors y pourvoir; parce que la loi ne souffrant dans l'état qu'une seule religion, celui qui s'obstine à vouloir en professer et enseigner une autre, doit être retranché de l'état.

On voit l'application de toutes les parties de

cette loi dans la forme de procédure suivie en 1563 contre Jean Morelli.

Jean Morelli, habitant de Genève, avoit fait et publié un livre, dans lequel il attaquoit la discipline ecclésiastique, et qui fut censuré au synode d'Orléans. L'auteur se plaignant beaucoup de cette censure, et ayant été, pour ce même livre, appelé au consistoire de Genève, n'y voulut point comparoître, et s'enfuit: puis étant revenu, avec la permission du magistrat, pour se réconcilier avec les ministres, il ne tint compte de leur parler ni de se rendre au consistoire, jusqu'à ce qu'y étant cité de nouveau, il comparut enfin; et après de longues disputes, ayant refusé toute espèce de satisfaction, il fut déféré et cité au Conseil, où, au lieu de comparoître, il fit présenter par sa femme une excuse par écrit, et s'enfuit derechef de la ville.

Il fut donc enfin procédé contre lui, c'est-àdire contre son livre; et comme la sentence rendue en cette occasion est importante, même quant aux termes, et peu connue, je vais vous la transcrire ici tout entière; elle peut avoir son utilité.

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(1) Nous syndiques, juges des causes crimi› nelles de cette cité, ayant entendu le rapport › du vénérable consistoire de cette église des procédures tenues envers Jean Morelli, habi> tant de cette cité: d'autant que maintenant, › pour la seconde fois, il a abandonné cette » cité, et, au lieu de comparoître devant nous ⚫ et notre Conseil, quand il y étoit renvoyé, » s'est montré désobéissant: à ces causes et au» tres justes à ce nous mouvantes, séans pour > tribunal au lieu de nos ancêtres, selon nos an›ciennes coutumes, après bonne participation › de conseil avec nos citoyens, ayant Dieu et ses › saintes Écritures devant nos yeux, et invoqué son saint nom pour faire droit jugement, > disant : Au nom du Père, du Fils et du SaintEsprit, Amen. Par cette nostre définitive sen› tence, laquelle donnons ici par écrit, avons › avisé par meure délibération de procéder plus > outre, comme en cas de contumace dudit Mo› relli : surtout afin d'avertir tous ceux qu'il → appartiendra de se donner garde du livre, afin de n'y être point abusés. Estant donc duement › informés des resveries et erreurs lesquelles y

() Extrait des procédures faites et tenues contre Jean Morelli. Imprimé à Genève, chez François Perrin, 1565, pag. 10.

› sont contenues, et surtout que ledit livre tend » à faire schismes et troubles dans l'Église d'une > façon séditieuse, l'avons condamné et condam› nons comme un livre nuisible et pernicieux; › et, pour donner exemple, ordonné et or> donnons que l'un d'iceux soit présentement » bruslé défendant à tous libraires d'en tenir > ni exposer en vente, et à tous citoyens, bourgeois et habitans de cette ville, de quelque › qualité qu'ils soient, d'en acheter ni avoir » pour y lire: commandant à tous ceux qui en > auroient, de nous les apporter, et ceux qui › sauroient où il en a, de le nous révéler dans vingt-quatre heures, sous peine d'être rigou› reusement punis.

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Et à vous, nostre lieutenant, commandons » que faciez mettre nostre présente sentence à

> due et entière exécution.

» Prononcée et exécutée le jeudi seizième jour
de septembre mil cinq cent soixante-trois.
› Ainsi signé, P. CHENELAT. »

Vous trouverez, monsieur, des observations de plus d'un genre à faire en temps et lieu sur cette pièce. Quant à présent ne perdons pas notre objet de vue. Voilà comment il fut procédé au jugement de Morelli, dont le livre ne fut brûlé qu'à la fin du procès, sans qu'il fût parlé de bourreau ni de flétrissure, et dont la personne ne fut jamais décrétée, quoiqu'il fût opiniâtre et contumax.

Au lieu de cela, chacun sait comment le Conseil a procédé contre moi dans l'instant que l'ouvrage a paru, et sans qu'il ait même été fait mention du consistoire. Recevoir le livre par la poste, le lire, l'examiner, le déférer, le brûler, me décréter, tout cela fut l'affaire de huit ou dix jours: on ne sauroit imaginer une procédure plus expéditive.

Je me suppose ici dans le cas de la loi, dans le seul cas où je puisse être punissable. Car autrement de quel droit puniroit-on des fautes qui n'attaquent personne, et sur lesquelles les lois n'ont rien prononcé?

L'édit a-t-il donc été observé dans cette affaire? Vous autres gens de bon sens, vous imagineriez, en l'examinant, qu'il a été violé comme à plaisir dans toutes ses parties. « Le › sieur Rousseau, disent les représentans, n'a point été appelé au consistoire ; mais le ma

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la pure

gnifique conseil a d'abord procédé contre | maintenir la pure religion, mais non pas de » lui il devoit être supporté sans scandale; prononcer sur ce qui est ou n'est pas : › mais ses écrits ont été traités par un juge»ment public, comme téméraires, impies, scan› daleux : il devoit être supporté sans diffame; › mais il a été flétri de la manière la plus diffa› mante, ses deux livres ayant été lacérés et brûlés par main du bourreau.

› L'édit n'a donc pas été observé, continuent ›ils, tant à l'égard de la jurisdiction qui ap› partient au consistoire, que relativement au › sieur Rousseau, qui devoit être appelé, sup› porté sans scandale ni diffame, admonesté › par quelques fois, et qui ne pouvoit être jugé » qu'en cas d'opiniâtreté obstinée. »

Voilà sans doute qui vous paroît plus clair que le jour, et à moi aussi. Hé bien! non vous allez voir comment ces gens, qui savent montrer le soleil à minuit, savent le cacher à midi.

religion. Le souverain les a bien chargés de maintenir la pure religion, mais il ne les a pas faits pour cela juges de la doctrine. C'est un autre corps qu'il a chargé de ce soin, et c'est ce corps qu'ils doivent consulter sur toutes les matières de religion, comme ils ont toujours fait depuis que votre gouvernement existe. En cas de délit en ces matières, deux tribunaux sont établis, l'un pour le constater, et l'autre pour le punir; cela est évident par les termes de l'ordonnance : nous y reviendrons ci-après.

Suivent les imputations ci-devant examinées, et que par cette raison je ne répéterai pas : mais je ne puis m'abstenir de transcrire ici l'article qui les termine; il est curieux.

Il est vrai que M. Rousseau et ses partisans prétendent que ces doutes n'attaquent point réellement le christianisme, qu'à cela près il continue d'appeler divin. Mais si un livre, ca

L'adresse ordinaire aux sophistes est d'entasser force argumens pour en couvrir la foi-ractérisé comme l'Évangile l'est dans les ouvrablesse. Pour éviter des répétitions et gagner du temps, divisons ceux des Lettres écrites de la campagne; bornons-nous aux plus essentiels; laissons ceux que j'ai ci-devant réfutés; et, pour ne point altérer les autres, rapportonsles dans les termes de l'auteur.

C'est d'après nos lois, dit-il, que je dois examiner ce qui s'est fait à l'égard de M. Rousseau. Fort bien; voyons.

Le premier article du serment des bourgeois les oblige à vivre selon la réformation du saint Évangile. Or, je le demande, est-ce vivre selon l'Évangile, que d'écrire contre l'Évangile.

Premier sophisme. Pour voir claiement si c'est là mon cas, remettez dans la mineure de cet argument le mot réformation, que l'auteur en ôte, et qui est nécessaire pour que son raisonnement soit concluant.

Second sophisme. Il ne s'agit pas, dans cet article du serment, d'écrire selon la réformation, mais de vivre selon la réformation. Ces deux choses, comme on l'a vu ci-devant, sont distinguées dans le serment même; et l'on a vu encore s'il est vrai que j'aie écrit ni contre la réformation ni contre l'Evangile.

ges de M. Rousseau, peut encore être appelé divin, qu'on me dise quel est donc le nouveau sens attaché à ce terme. En vérité, si c'est une contradiction, elle est choquante; si c'est une plaisanterie, convenez qu'elle est bien déplacée dans un pareil sujet (page 11).

J'entends. Le culte spirituel, la pureté du cœur, les œuvres de miséricorde, la confiance, l'humilité, la résignation, la tolérance, l'oubli des injures, le pardon des ennemis, l'amour du prochain, la fraternité universelle, et l'union du genre humain par la charité, sont autant

d'inventions du diable. Seroit-ce là le sentiment de l'auteur et de ses amis? On le diroit à leurs raisonnemens et surtout à leurs œuvres. En vérité, si c'est une contradiction, elle est choquante; si c'est une plaisanterie, convenez qu'elle est bien déplacée dans un pareil sujet.

Ajoutez que la plaisanterie sur un pareil sujet est si fort du goût de ces messieurs, que, selon leurs propres maximes, elle eût dû, si je l'avois faite, me faire trouver grâce devant eux (page 23).

Après l'exposition de mes crimes, écoutez les raisons pour lesquelles on a si cruellement Le premier devoir des syndics et Conseil est renchéri sur la rigueur de la loi dans la pour

de maintenir la pure religion.

Troisième sophisme. Leur devoir est bien de

suite du criminel.

Ces deux livres paroissent sous le nom d'un

citoyen de Genève. L'Europe en témoigne son scandale. Le premier parlement d'un royaume voisin poursuit Émile et son auteur. Que fera le gouvernement de Genève?

Arretons un moment; je crois apercevoir ici quelque mensonge.

Selon notre auteur, le scandale de l'Europe força le conseil de Genève de sévir contre le livre et l'auteur d'Emile, à l'exemple du parlement de Paris: mais, au contraire, ce furent les décrets de ces deux tribunaux qui causèrent le scandale de l'Europe. Il y avoit peu de jours que le livre étoit public à Paris, lorsque le parlement le condamna ('); il ne paroissoit encore en nul autre pays, pas même en Hollande où il étoit imprimé; et il n'y eut, entre le decret du parlement de Paris et celui du conseil de Genève, que neuf jours d'intervalle (2); le temps à peu près qu'il falloit pour avoir avis de ce qui se passoit à Paris. Le vacarme affreux qui fut fait en Suisse sur cette affaire, mon expulsion de chez mon ami, les tentatives faites à Neufchâtel, et mème à la cour, pour m'ôter mon dernier asile, tout cela viat de Genève et des environs, après le décret. On sait quels furent les instigateurs, on sait quels furent les émissaires, leur activité fut sans exemple, il ne tnt pas à eux qu'on ne m'ôtât le feu et l'eau dans l'Europe entière, qu'il ne me restàt pas une terre pour lit, pas une pierre pour chevet. Ne transposons donc point ainsi les choses, et ne donnons point, pour motif du décret de Genève, le scandale qui en fut l'effet.

Le premier parlement d'un royaume voisin poursuit Émile et son auteur. Que fera le gou

vernement de Genève?

La réponse est simple. Il ne fera rien; il ne doit rien faire, ou plutôt il doit ne rien faire. Il renverseroit tout ordre judiciaire, il braveroit le parlement de Paris, il lui disputeroit la compétence en l'imitant. C'étoit précisément parce que j'étois decrété à Paris que je ne pouvois l'étre à Genève. Le délit d'un criminel a certainement un lieu, et un lieu unique; il ne peut pas plus être coupable à la fois du même délit en deux états, qu'il ne peut être en deux lieux dans le même temps; et, s'il veut purger les

(1) C'étoit un arrangement pris avant que le livre parût.

(2) Le décret du parlement fut donné le 9 juin, et celui du Conseil le 19.

deux décrets, comment voulez-vous qu'il se partage? En effet, avez-vous jamais ouï dire qu'on ait décrété le même homme en deux pays à la fois pour le même fait? C'en est ici le premier exemple, et probablement ce sera le dernier. J'aurai, dans mes malheurs, le triste honneur d'être à tous égards un exemple unique.

Les crimes les plus atroces, les assassinats mème, ne sont pas et ne doivent pas être poursuivis par-devant d'autres tribunaux que ceux des lieux où ils ont été commis. Si un Genevois tuoit un homme, même un autre Genevois, en pays étranger, le conseil de Genève ne pourroit s'attribuer la connoissance de ce crime: il pourroit livrer le coupable s'il étoit réclamé, il pourroit en solliciter le châtiment; mais, à moins qu'on ne lui remît volontairement le jugement avec les pièces de la procédure, il ne le jugeroit pas, parce qu'il ne lui appartient pas de connoître d'un delit commis chez un autre souverain, et qu'il ne peut pas même ordonner les informations nécessaires pour le constater. Voilà la regle, et voilà la réponse à la question: Que fera le gouvernement de Genève? Ce sont ici les plus simples notions du droit public, qu'il seroit honteux au dernier magistrat d'ignorer. Faudra-t-il toujours que j'enseigne à mes dépens les élémens de la jurisprudence à mes juges?

Il devoit, suivant les auteurs des représentations, se borner à défendre provisionnellement le débit dans la ville (page 12). C'est en effet tout ce qu'il pouvoit légitimement faire pour contenter son animosité; c'est ce qu'il avoit déjà fait pour la Nouvelle Héloïse : mais voyant que le parlement de Paris ne disoit rien, et qu'on ne faisoit nulle part une semblable défense, il en eut honte, et la retira tout doucement (1). Mais une improbation si foible n'auroit-elle pas été taxée de secrète connivence? Mais il y a long-temps que, pour d'autres écrits beaucoup moins tolérables, on taxe le conseil de Genève d'une connivence assez peu secrète, sans qu'il se mette fort en peine de ce jugement. Personne, dit-on, n'auroit pu se scandaliser de la modération dont on auroit usé.

(*) Il faut convenir que si l'Émile doit être défendu, l'Héloïse doit être tout au moins brûlée; les notes surtout en sont d'une hardiesse dont la Profession de foi du vicaire n'approche assurément pas.

Le cri public vous apprend combien on est scandalisé du contraire. De bonne foi, s'il s'étoit agi d'un homme aussi désagréable au public que monsieur Rousseau lui étoit cher, ce qu'on appelle modération n'auroit-il pas été taxé d'indifférence, de tiédeur impardonnable? Ce n'auroit pas été un si grand mal que cela, et l'on ne donne pas des noms si honnêtes à la dureté qu'on exerce envers moi pour mes écrits, ni au support que l'on prête à ceux d'un autre.

En continuant de me supposer coupable, supposons de plus que le conseil de Genève avoit droit de me punir, que la procédure eût été conforme à la loi, et que cependant, sans vouloir même censurer mes livres, il m'eût reçu paisiblement arrivant de Paris; qu'auroient dit les honnêtes gens? le voici :

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de l'hypocrisie, eussent été taxés de se jouer › de la religion, d'en faire l'arme de leur ven› geance et l'instrument de leur haine. Enfin, › par cet empressement de punir un homme > dont l'amour pour sa patrie est le plus grand › crime, ils n'eussent fait que se rendre odieux > aux gens de bien, suspects à la bourgeoisie et méprisables aux étrangers. › Voilà, monsieur, ce qu'on auroit pu dire; voilà tout le risque qu'auroit couru le conseil dans le cas supposé du délit, en s'abstenant d'en connoître.

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Quelqu'un a eu raison de dire qu'il falloit brûler l'Évangile ou les livres de M. Rousseau.

La commode méthode que suivent toujours ces messieurs contre moi! S'il leur faut des preuves, ils multiplient les assertions; et s'il leur faut des témoignages, ils font parler des quidams.

La sentence de celui-ci n'a qu'un sens qui ne soit pas extravagant, et ce sens est un blasphème.

Car quel blasphème n'est-ce pas de supposer l'Évangile et le recueil de mes livres si sembla

Ils ont fermé les yeux, ils le devoient. Que pouvoient-ils faire? User de rigueur en cette » occasion eût été barbarie, ingratitude, injustice même, puisque la véritable justice compense le mal par le bien. Le coupable a › tendrement aimé sa patrie; il en a bien mé-bles dans leurs maximes qu'ils se suppléent » rité; il l'a honorée dans l'Europe, et tandis » que ses compatriotes avoient honte du nom genevois, il en a fait gloire, il l'a réhabilité chez l'étranger. Il a donné ci-devant des conseils utiles; il vouloit le bien public; il s'est trompé, mais il étoit pardonnable. Il a fait » les plus grands éloges des magistrats, il cherchoit à leur rendre la confiance de la bourgeoisie; il a défendu la religion des minis» tres, il méritoit quelque retour de la part » de tous. Et de quel front eussent-ils osé sévir, pour quelques erreurs, contre le défen› seur de la Divinité, contre l'apologiste de la religion si généralement attaquée, tandis qu'ils › toléroient, qu'ils permettoient même les › écrits les plus odieux, les plus indécens, les plus insultans au christianisme, aux bonnes > mœurs, les plus destructifs de toute vertu, › de toute morale, ceux mêmes que Rousseau a › cru devoir réfuter? On eût cherché les motifs secrets d'une partialité si choquante; on > les eût trouvés dans le zèle de l'accusé pour › la liberté, et dans les projets des juges pour ‣ la détruire. Rousseau eût passé pour le martyr des lois de sa patrie. Ses persécuteurs, > en prenant en cette seule occasion le masque

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mutuellement, et qu'on en puisse indifféremment brûler un comme superflu, pourvu que l'on conserve l'autre? Sans doute, j'ai suivi du plus près que j'ai pu la doctrine de l'Évangile; je l'ai aimée, je l'ai adoptée, étendue, expliquée, sans m'arrêter aux obscurités, aux difficultés, aux mystères, sans me détourner de l'essentiel je m'y suis attaché avec tout le zèle de mon cœur; je me suis indigné, récrié de voir cette sainte doctrine ainsi profanée, avilie, par nos prétendus chrétiens, et surtout par ceux qui font profession de nous en instruire. J'ose même croire, et je m'en vante, qu'aucun d'eux ne parla plus dignement que moi du vrai christianisme et de son auteur. J'ai là-dessus le témoignage, l'applaudissement même de mes adversaires, non de ceux de Genève, à la vérité, mais de ceux dont la haine n'est point une rage, et à qui la passion n'a point ôté tout sentiment d'équité. Voilà ce qui est vrai; voilà ce que prouvent et ma Réponse au roi de Pologne, et ma Lettre à M. d'Alembert, et l'Héloïse, et l'Émile, et tous mes écrits, qui respirent le même amour pour l'Évangile, la même vénération pour Jésus-Christ. Mais qu'il s'ensuive de là qu'en rien je puisse approcher de

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