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LETTRE V.

Du 16 juillet 1772.

Je vous remercie, chère cousine, des bonnes nouvelles que vous m'avez données de la maman. J'avois espéré le bon effet du changement d'air, et je n'en attends pas moins des eaux, et surtout du régime austère prescrit durant leur usage. Je suis touché du souvenir de cette bonne amie, et je vous prie de l'en remercier pour moi. Mais je ne veux pas absolument qu'elle m'écrive durant son séjour en Suisse; et, si elle veut me donner directement de ses nouvelles, elle a près d'elle un bon secrétaire (*) qui s'en acquittera fort bien. Je suis plus charmé que surpris qu'elle réussisse en Suisse indépendamment des grâces de son âge, et de sa gaîté vive et caressante, elle a dans le caractère un fond de douceur et d'égalité dont je l'ai vue donner quelquefois à la grand’maman l'exemple charmant qu'elle a reçu de vous. Si votre sœur s'établit en Suisse, vous perdrez l'une et l'autre une grande douceur dans la vie, et elle surtout des avantages difficiles à remplacer. Mais votre pauvre maman qui, porte à porte, sentoit pourtant si cruelle ment sa séparation d'avec vous, comment supportera-t-elle la sienne à une si grande distance? C'est de vous encore qu'elle tiendra ses dédommagemens et ses ressources. Vous lui en mé

nagez une bien précieuse en assouplissant dans vos douces mains la bonne et forte étoffe de votre favorite, qui, je n'en doute point, deviendra par vos soins aussi pleine de grandes qualités que de charmes. Ah! cousine, l'heureuse mère que la vôtre !

Savez-vous que je commence à être en peine du petit herbier? Je n'en ai d'aucune part aucune nouvelle, quoique j'en aie eu de M. G. depuis son retour, par sa femme, qui ne me dit pas de sa part un seul mot sur cet herbier. Je lui en ai demandé des nouvelles ; j'attends sa réponse. J'ai grand'peur que, ne passant pas à Lyon, il n'ait confié le paquet à quelque quidam qui, sachant que c'étoient des herbes sèches, aura pris tout cela pour du foin. Cependant, si, comme je l'espère encore, il parvient

(*) La sœur de madame Delessert, que Rousseau appeloit tante Julie. G. P.

enfin à votre sœur Julie ou à vous, vous trouverez que je n'ai pas laissé d'y prendre quelque soin. C'est une perte qui, quoique petite, ne me seroit pas facile à réparer promptement, surtout à cause du catalogue, accompagné de champ, et dont je n'ai gardé aucun double. divers petits éclaircissemens, écrits sur-le

Consolez-vous, bonne cousine, de n'avoir pas vu les glandes des crucifères. De grands botanistes très-bien oculés ne les ont pas mieux vues. Tournefort lui-même n'en fait aucune mention. Elles sont bien claires dans peu de genres, quoiqu'on en trouve des vestiges presque dans tous, et c'est à force d'analyser des fleurs en croix, et d'y voir toujours des inégalités au réceptacle, qu'en les examinant en particulier on a trouvé que ces glandes appartenoient au plus grand nombre des genres, et même où on ne les distingue pas. qu'on les suppose, par analogie, dans ceux

tant de peine sans apprendre les noms des Je comprends qu'on est fàché de prendre plantes qu'on examine. Mais je vous avoue de bonne foi qu'il n'est pas entré dans mon plan de vous épargner ce petit chagrin. On prétend que la botanique n'est qu'une science de mots qui n'exerce que la mémoire, et n'apprend qu'à nommer des plantes : pour moi, je ne connois point d'étude raisonnable qui ne soit qu'une science de mots; et auquel des deux, je vous prie, accorderai-je le nom de botaniste, de celui qui sait cracher un nom ou une phrase à l'aspect d'une plante, sans rien connoître à sa structure, ou de celui qui, connoissant trèsbien cette structure, ignore néanmoins le nom très-arbitraire qu'on donne à cette plante en tel ou en tel pays? Si nous ne donnons à vos enfans qu'une occupation amusante, nous manquons la meilleure moitié de notre but, qui est, en les amusant, d'exercer leur intelligence, et de les accoutumer à l'attention. Avant de leur apprendre à nommer ce qu'ils voient, commençons par leur apprendre à le voir. Cette science, oubliée dans toutes les éducations, doit faire la plus importante partie de la leur. Je ne le redirai jamais assez; apprenez-leur à ne jamais se payer de mots, et à croire ne rien savoir de ce qui n'est entré que dans leur mémoire.

Au reste, pour ne pas trop faire le méchant, je vous nomme pourtant des plantes sur les

quelles, en vous les faisant montrer, vous pouvez aisément vérifier mes descriptions. Vous n'aviez pas, je le suppose, sous vos yeux une ortie blanche en lisant l'analyse des labiées; mais vous n'aviez qu'à envoyer chez l'herboriste du coin chercher de l'ortie blanche fraîchement cueillie, vous appliquiez à sa fleur ma description, et ensuite, examinant les autres parties de la plante de la manière dont nous traiterons ci-après, vous connoissiez l'ortie blanche infiniment mieux que l'herboriste qui la fournit ne la connoîtra de ses jours; encore trouveronsnous dans peu le moyen de nous passer d'herboriste mais il faut premièrement achever l'examen de nos familles; ainsi je viens à la cinquième, qui, dans ce moment, est en pleine fructification.

Représentez-vous une longue tige assez droite, garnie alternativement de feuilles pour l'ordinaire découpées assez menu, lesquelles embrassent par leur base des branches qui sortent de leurs aisselles. De l'extrémité supérieure de cette tige partent, comme d'un centre, plusieurs pédicules ou rayons, qui, s'écartant circulairement et régulièrement comme les côtes d'un parasol, couronnent cette tige en forme d'un vase plus ou moins ouvert. Quelquefois ces rayons laissent un espace vide dans leur milieu, et représentent alors plus exactement le creux du vase; quelquefois aussi ce milieu est fourni d'autres rayons plus courts, qui, montant moins obliquement, garnissent le vase, et forment, conjointement avec les premiers, la figure à peu près d'un demi-globe, dont la partie convexe est tournée en dessus.

Chacun de ces rayons ou pédicules est terminé à son extrémité non pas encore par une fleur, mais par un autre ordre de rayons plus petits qui couronnent chacun des premiers, précisément comme ces premiers couronnent la tige.

Ainsi, voilà deux ordres pareils et successifs; l'un, de grands rayons qui terminent la tige; l'autre, de petits rayons semblables qui terminent chacun des grands.

gure que je viens de vous décrire, vous aurez celle de la disposition des fleurs dans la famille des ombellifères ou porte-parasols, car le mot latin umbella signifie un parasol.

Quoique cette disposition régulière de la fructification soit frappante et assez constante dans toutes les ombellifères, ce n'est pourtant pas elle qui constitue le caractère de la famille : ce caractère se tire de la structure même de la fleur, qu'il faut maintenant vous décrire.

Mais il convient, pour plus de clarté, de vous donner ici une distinction générale sur la disposition relative de la fleur et du fruit dans toutes les plantes; distinction qui facilite extrêmement leur arrangement méthodique, quelque système qu'on veuille choisir pour cela.

Il y a des plantes, et c'est le plus grand nombre, par exemple l'œillet, dont l'ovaire est évidemment renfermé dans la corolle. Nous donnerons à celles-là le nom de fleurs infères, parce que les pétales embrassant l'ovaire prennent leur naissance au-dessous de lui.

Dans d'autres plantes en assez grand nombre, l'ovaire se trouve placé, non dans les pétales, mais au-dessous d'eux ce que vous pouvez voir dans la rose; car le gratte-cul, qui en est le fruit, est ce corps vert et renflé que vous voyez au-dessous du calice, par conséquent aussi au-dessous de la corolle, qui, de cette manière, couronne cet ovaire et ne l'enveloppe pas. J'appellerai celles-ci fleurs supères, parce que la corolle est au-dessus du fruit. On pourroit faire des mots plus francisés, mais il me paroît avantageux de vous tenir toujours le plus près qu'il se pourra des termes admis dans la botanique, afin que, sans avoir besoin d'apprendre ni le latin ni le grec, vous puissiez néanmoins entendre passablement le vocabulaire de cette science, pédantesquement tiré de ces deux langues, comme si pour connoître les plantes, il falloit commencer par être un savant grammairien.

Tournefort exprimoit la même distinction en d'autres termes : dans le cas de la fleur infère, il disoit que le pistil devenoit fruit; dans le cas Les rayons des petits parasols ne se subdi- de la fleur supère, il disoit que le calice devevisent plus, mais chacun d'eux est le pédicule noit fruit. Cette manière de s'exprimer pouvoit d'une petite fleur dont nous parlerons tout à être aussi claire, mais elle n'étoit certainement l'heure. pas aussi juste. Quoi qu'il en soit, voici une Si vous pouvez vous former l'idée de la fi- occasion d'exercer, quand il en sera temps,

vos jeunes élèves à savoir démêler les mêmes idées, rendues par des termes tout différens.

Je vous dirai maintenant que les plantes ombellifères ont la fleur supère, ou posée sur le fruit. La corolle de cette fleur est à cinq pétales appelés réguliers; quoique souvent les deux pétales, qui sont tournés en dehors dans les fleurs qui bordent l'ombelle, soient plus grands que les trois autres.

La figure de ces pétales varie selon les genres, mais le plus communément elle est en cœur ; l'onglet qui porte sur l'ovaire est fort mince; la lame va en s'élargissant; son bord est émarginé (légèrement échancré), ou bien il se termine en une pointe qui, se repliant en dessus, donne encore au pétale l'air d'être émarginé, quoiqu'on le vit pointu s'il étoit déplie.

Entre chaque pétale est une étamine dont l'anthère, débordant ordinairement la corolle, rend les cinq étamines plus visibles que les cinq pétales. Je ne fais pas ici mention du calice, parce que les ombelliferes n'en ont aucun bien distinct.

Du centre de la fleur partent deux styles garnis chacun de leur stigmate, et assez apparens aussi, lesquels, après la chute des pétales et des étamines, restent pour couronner le fruit.

La figure la plus commune de ce fruit est un ovale un peu allongé, qui, dans sa maturité, s'ouvre par la moitié, et se partage en deux semences nues attachées au pédicule, lequel, par un art admirable, se divise en deux, ainsi que le fruit, et tient les graines séparément suspendues, jusqu'à leur chute.

Toutes ces proportions varient selon les genres, mais en voilà l'ordre le plus commun. I faut, je l'avoue, avoir l'œil très-attentif pour bien distinguer sans loupe de si petits objets; mais ils sont si dignes d'attention, qu'on n'a pas regret à sa peine.

Voici donc le caractère propre de la famille des ombellifères. Corolle supère à cinq pétales, cinq étamines, deux styles portés sur un fruit nu disperme, c'est-à-dire composé de deux graines accolées.

Toutes les fois que vous trouverez ces caractères réunis dans une fructification, comptez que la plante est une ombellifère, quand même elle n'auroit d'ailleurs, dans son arrangement,

rien de l'ordre ci-devant marqué. Et quand vous trouveriez tout cet ordre de parasols conforme à ma description, comptez qu'il vous trompe, s'il est démenti par l'examen de la fleur.

S'il arrivoit, par exemple, qu'en sortant de lire ma lettre vous trouvassiez, en vous promenant, un sureau encore en fleur, je suis presque assuré qu'au premier aspect vous diriez, voilà une ombellifère. En y regardant, vous trouveriez grande ombelle, petite ombelle, petites fleurs blanches, corolle supère, cinq étamines: c'est une ombellifère assurément ; mais voyons encore: je prends une fleur.

D'abord, au lieu de cinq pétales, je trouve une corolle à cinq divisions, il est vrai, mais néanmoins d'une seule pièce: or, les fleurs des ombelliferes ne sont pas monopétales. Voilà bien cinq étamines; mais je ne vois point de styles, et je vois plus souvent trois stigmates que deux; plus souvent trois graines que deux: or, les ombellifères n'ont jamais ni plus ni moins de deux stigmates, ni plus ni moins de deux graines pour chaque fleur. Enfin, le fruit du sureau est une baie molle, et celui des ombellifères est sec et nu. Le sureau n'est donc pas une ombellifère.

Si vous revenez maintenant sur vos pas en regardant de plus près à la disposition des fleurs, vous verrez que cette disposition n'est qu'en apparence celle des ombellifères. Les grands rayons, au lieu de partir exactement du même centre, prennent leur naissance les uns plus haut, les autres plus bas; les petits naissent encore moins régulièrement tout cela n'a point l'ordre invariable des ombellifères. L'arrangement des fleurs du sureau est en corymbe, ou bouquet, plutôt qu'en ombelles. Voilà comment, en nous trompant quelquefois, nous finissons par apprendre à mieux voir.

Le chardon-roland, au contraire, n'a guère le port d'une ombellifère, et néanmoins c'en est une, puisqu'il en a tous les caractères dans sa fructification. Où trouver, me direz-vous, le chardon-roland? par toute la campagne; tous les grands chemins en sont tapissés à droite et à gauche : le premier paysan peut vous le montrer, et vous le connoîtriez presque vous-même à la hauteur bleuâtre ou vert-de-mer de ses feuilles, à leurs durs piquans, et à leur consis

tance lisse et coriace comme du parchemin. | Telles sont la carotte, le cerfeuil, le persil, la ciguë, l'angélique, la berce, la berle, la boucage, le chervis ou girole, la percepierre, etc.

Mais on peut laisser une plante aussi intraitable; elle n'a pas assez de beauté pour dédommager des blessures qu'on se fait en l'examinant : et fùt-elle cent fois plus jolie, ma petite cousine, avec ses petits doigts sensibles, seroit bientôt rebutée de caresser une plante de si mauvaise humeur.

La famille des ombellifères est nombreuse, et si naturelle, que ses genres sont très-difficiles à distinguer: ce sont des frères que la grande ressemblance fait souvent prendre l'un pour l'autre. Pour aider à s'y reconnoître, on a imaginé des distinctions principales qui sont quelquefois utiles, mais sur lesquelles il ne faut pas non plus trop compter. Le foyer d'où partent les rayons, tant de la grande que de la petite ombelle, n'est pas toujours nu; il est quelquefois entouré de folioles, comme d'une manchette. On donne à ces folioles le nom d'involucre (enveloppe). Quand la grande ombelle a une manchette, on donne à cette manchette le nom de grand involucre: on appelle petits involucres ceux qui entourent quelquefois les petites ombelles. Cela donne lieu à trois sections des ombellifères.

1o Celles qui ont grand involucre et petits involucres;

2° Celles qui n'ont que les petits involucres seulement;

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Quelques-unes, comme le fenouil, l'anet, le panais, sont à fleurs jaunes : il y en a peu à fleurs rougeâtres, et point d'aucune autre couleur.

Voilà, me direz-vous, une belle notion générale des ombellifères: mais comment tout ce vague savoir me garantira-t-il de confondre la ciguë avec le cerfeuil et le persil, que vous venez de nommer avec elle? La moindre cuisinière en saura là-dessus plus que nous avec toute notre doctrine. Vous avez raison. Mais cependant, si nous commençons par les observations de details, bientôt, accablés par le nombre, la mémoire nous abandonnera, et nous nous perdrons dès le premier pas dans ce règne immense au lieu que, si nous commençons par bien reconnoître les grandes routes, nous nous égarerons rarement dans les sentiers, et nous nous retrouverons partout sans beaucoup de peines. Donnons cependant quelque exception à l'utilité de l'objet, et ne nous exposons pas, tout en analysant le règne végétal, à manger par ignorance une omelette à la ciguë.

La petite ciguë des jardins est une ombellifère, ainsi que le persil et le cerfeuil. Elle a la fleur comme l'un et l'autre ('); elle est avec le dernier, dans la section qui a la petite enve

3o Celles qui n'ont ni grand ni petits invo- loppe et qui n'a pas la grande; elle leur reslucres. semble assez par son feuillage, pour qu'il ne soit pas aisé de vous en marquer par écrit les différences. Mais voici des caractères suffisans pour ne vous y pas tromper.

Il sembleroit manquer une quatrième division de celles qui ont un grand involucre et point de petits; mais on ne connoît aucun genre qui soit constamment dans ce cas.

Vos étonnans progrès, chère cousine, et votre patience m'ont tellement enhardi que, comptant pour rien votre peine, j'ai osé vous décrire la famille des ombellifères sans fixer vos yeux sur aucun modèle; ce qui a rendu nécessairement votre attention beaucoup plus fatigante. Cependant j'ose douter, lisant comme vous savez faire, qu'après une ou deux lectures de ma lettre, une ombellifère en fleurs échappe à votre esprit en frappant vos yeux; et dans cette saison, vous ne pouvez manquer d'en trouver plusieurs dans les jardins et dans la campagne.

Elles ont, la plupart, les fleurs blanches.

Il faut commencer par voir en fleurs ces diverses plantes; car c'est en cet état que la ciguë a son caractère propre. C'est d'avoir sous chaque petite ombelle un petit involucre composé de trois petites folioles pointues, assez longues, et toutes trois tournées en dehors; au lieu que les folioles des petites ombelles du cerfeuil l'enveloppent tout autour, et sont tournées également de tous les côtés. A l'égard du persil, à peine a-t-il quelques courtes folioles, fines comme des cheveux, et distribuées indifféremment, tant dans la grande ombelle que

(1) La fleur du persil est un peu jauná.re; mais plusieurs fleurs d'ombellifères paroissent jaunes, à cause de l'ovaire et des anthères, et ne laissent pas d'avoir les pétales blancs.

dans les petites, qui toutes sont claires et maigres.

Quand vous vous serez bien assurée de la ciguë en fleurs, vous vous confirmerez dans votre jugement en froissant légèrement et flairant son feuillage; car son odeur puante et vireuse ne vous la laissera pas confondre avec le persil ni avec le cerfeuil, qui, tous deux, ont des odeurs agréables. Bien sûre enfin de ne pas faire de quiproquo, vous examinerez ensemble et séparément ces trois plantes dans tous leurs états et par toutes leurs parties, surtout par le feuillage, qui les accompagne plus constamment que la fleur; et par cet examen, comparé et répété jusqu'à ce que vous ayez acquis la certitude du coup d'œil, vous parviendrez à distinguer et connoître imperturbablement la ciguë. L'étude nous mène ainsi jusqu'à la porte de la pratique; après quoi celleci fait la facilité du savoir.

Prenez haleine, chère cousine, car voilà une lettre excédante; je n'ose même vous promettre plus de discrétion dans celle qui doit la suivre, mais après cela nous n'aurons devant nous qu'un chemin bordé de fleurs. Vous en méritez une couronne pour la douceur et la constance avec laquelle vous daignez me suivre à travers ces broussailles, sans vous rebuter de leurs épines.

LETTRE VI.

Du 2 mai 1773.

Quoiqu'il vous reste, chère cousine, bien des choses à désirer dans les notions de nos cinq premières familles, et que je n'aie pas toujours su mettre mes descriptions à la portée de notre petite botanophile (amatrice de la botanique), je crois néanmoins vous en avoir donné une idée suffisante pour pouvoir, après quelque mois d'herborisation, vous familiariser avec l'idée générale du port de chaque famille en sorte qu'à l'aspect d'une plante vous puissiez conjecturer à peu près si elle appartient à quelqu'une des cinq familles, et à laquelle, sauf à vérifier ensuite, par l'analyse de la fructification, si vous vous êtes trompée ou non dans votre conjecture. Les ombellifères, par exemple, vous ont jetée dans quelque em

barras, mais dont vous pouvez sortir quand il vous plaira, au moyen des indications que j'ai jointes aux descriptions; car enfin les carottes, les panais, sont choses si communes, que rien n'est plus aisé, dans le milieu de l'été, que de se faire montrer l'une ou l'autre en fleurs dans un potager. Or, au simple aspect de l'ombelle et de la plante qui la porte, on doit prendre une idée si nette des ombellifères, qu'à la rencontre d'une plante de cette famille, on s'y trompera rarement au premier coup d'œil. Voilà tout ce que j'ai prétendu jusqu'ici, car il ne sera pas question si tôt des genres et des espèces; et, encore une fois, ce n'est pas une nomenclature de perroquet qu'il s'agit d'acquérir, mais une science réelle, et l'une des sciences les plus aimables qu'il soit possible de cultiver. Je passe donc à notre sixième famille avant de prendre une route plus méthodique : elle pourra vous embarrasser d'abord, autant et plus que les ombellifères. Mais mon but n'est, quant à présent, que de vous en donner une notion générale, d'autant plus que nous avons bien du temps encore avant celui de la pleine floraison, et que ce temps, bien employé, pourra vous aplanir des difficultés contre lesquelles il ne faut pas lutter encore.

Prenez une de ces petites fleurs qui, dans cette saison, tapissent les pâturages, et qu'on appelle ici pâquerettes, petiles marguerites ou marguerites tout court. Regardez-la bien, car, à son aspect, je suis sûr de vous surprendre en vous disant que cette fleur, si petite et si mignonne, est réellement composée de deux ou trois cents autres fleurs toutes parfaites, c'està-dire ayant chacune sa corolle, son germe, son pistil, ses étamines, sa graine, en un mot aussi parfaite en son espèce qu'une fleur de jacynthe ou de lis. Chacune de ses folioles, blanches en dessus, roses en dessous, qui forment comme une couronne autour de la marguerite, et qui ne vous paroissent tout au plus qu'autant de petits pétales, sont réellement autant de véritables fleurs; et chacun de ces petits brins jaunes que vous voyez dans le centre, et que d'abord vous n'avez peut-être pris que pour des étamines, sont encore autant de fleurs. Si vous aviez déjà les doigts exercés aux dissections botaniques, que vous vous armassiez d'une bonne loupe et de beaucoup de

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