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conclure que j'ai rejeté les miracles. Non, monsieur, je ne les ai rejetés ni ne les rejette : si j'ai dit des raisons pour en douter, je n'ai point dissimulé les raisons d'y croire. Il y a une grande différence entre nier une chose et ne la pas affirmer, entre la rejeter et ne pas l'admettre; et j'ai si peu décidé ce point, que je defie qu'on trouve un seul endroit dans tous mes écrits où je sois affirmatif contre les mira

cles.

Eh! comment l'aurois-je été malgré mes pro, res doutes, puisque partout où je suis, quant à moi, le plus décidé, je n'affirme rien encore? Voyez quelles affirmations peut faire un homme qui parle ainsi dès sa préface (*).

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A légard de ce qu'on appellera la partie systématique, qui n'est autre chose ici que la » marche de la nature, c'est là ce qui derou» tera le plus les lecteurs; c'est aussi par là qu'on m'attaquera sans doute, et peut-être › n'aura-t-on pas tort. On croira moins lire un > traité d'éducation que les rêveries d'un › visionnaire sur l'éducation. Qu'y faire? Ce › n'est pas sur les idées d'autrui que j'écris, › c'est sur les miennes. Je ne vois point comme › les autres hommes ; il y a long-temps qu'on me › l'a reproché. Mais dépend-il de moi de me don› ner d'autres yeux, et de m'affecter d'autres > idées? Non; il dépend de moi de ne point ⚫ abonder dans mon sens, de ne point croire › être seul plus sage que tout le monde; il dépend de moi non de changer de sentiment, › mais de me defier du mien: voilà tout ce que › je puis faire, et ce que je fais. Que si je prends › quelquefois le ton affirmatif, ce n'est point » pour en imposer au lecteur; c'est pour lui › parler comme je pense. Pourquoi propose» rois-je par forme de doute ce dont, quant à > moi, je ne doute point? Je dis exactement ce » qui se passe dans mon esprit.

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> En exposant avec liberté mon sentiment, j'entends si peu qu'il fasse autorité, que j'y > joins toujours mes raisons, afin qu'on les pèse, › et qu'on me juge. Mais quoique je ne veuille › point m'obstiner à defendre mes idées, je ne › me crois pas moins obligé de les proposer; › car les maximes sur lesquelles je suis d'un > avis contraire à celui des autres ne sont point!

(*) Préface d'Émile. (Tome 2, page 397.)

» indifférentes : ce sont de celles dont la vérité » ou la fausseté importe à connoître, et qui font » le bonheur ou le malheur du genre humain. »

Un auteur qui ne sait lui-même s'il n'est point dans l'erreur, qui craint que tout ce qu'il dit ne soit un tissu de rêveries, qui, ne pouvant changer de sentimens, se défie du sien, qui ne prend point le ton affirmatif pour le donner, mais pour parler comme il pense; qui, ne voulant point faire autorité, dit toujours ses raisons afin qu'on le juge, et qui même ne veut point s'obstiner à defendre ses idées; un auteur qui parle ainsi à la tête de son livre, y veut-il prononcer des oracles? veut il donner des décisions? et, par cette déclaration préliminaire, ne met-il pas au nombre des doutes ses plus fortes assertions?

Et qu'on ne dise point que je manque à mes engagemens en m'obstinant à défendre ici mes idees; ce seroit le comble de l'injustice. Ce ne sont point mes idées que je défends, c'est ma personne. Si l'on n'eût attaqué que mes livres, j'aurois constamment gardé le silence, c'étoit un point résolu. Depuis ma déclaration, faite en 1755, m'a-t-on vu répondre à quelqu'un, ou me taisois-je faute d'agresseurs? Mais quand on me poursuit, quand on me décrète, quand on me déshonore pour avoir dit ce que je n'ai pas dit, il faut bien, pour me défendre, montrer que je ne l'ai pas dit. Ce sont mes ennemis qui, malgré moi, me remettent la plume à la main. Eh! qu'ils me laissent en repos, et j'y laisserai le public; j'en donne de bon cœur ma parole.

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Ceci sert déjà de réponse à l'objection rétorsive que j'ai prévenue, de vouloir faire moimême le réformateur en bravant les opinions de tout mon siècle; car rien n'a moins l'air de bravade qu'un pareil langage, et ce n'est pas assurément prendre un ton de prophète que d parler avec tant de circonspection. J'ai regardé comme un devoir de dire mon sentiment en choses importantes et utiles; mais ai-je dit un mot, ai-je fait un pas pour le faire adopter à d'autres? quelqu'un a-t-il vu dans ma conduite l'air d'un homme qui cherchoit à se faire des sectateurs?

En transcrivant l'écrit particulier qui fait tant d'imprévus zélateurs de la foi, j'avertis encore le lecteur qu'il doit se défier de mes jugemens;

que c'est à lui de voir s'il peut tirer de cet écrit quelques réflexions utiles; que je ne lui propose ni le sentiment d'autrui ni le mien pour règle, que je le lui présente à examiner.

Et lorsque je reprends la parole, voici ce que j'ajoute encore à la fin :

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J'ai transcrit cet écrit, non comme une règle des sentimens qu'on doit suivre en matière de religion, mais comme un exemple de › la manière dont on peut raisonner avec son › élève, pour ne point s'écarter de la méthode › que j'ai tâché d'établir. Tant qu'on ne donne rien à l'autorité des hommes ni aux préjugés › des pays où l'on est né, les seules lumières › de la raison ne peuvent, dans l'institution de › la nature, nous mener plus loin que la religion naturelle, et c'est à quoi je me borne avec mon Émile. S'il en doit avoir une autre, je n'ai plus en cela le droit d'être son guide; c'est à lui seul de la choisir (*). ›

Quel est après cela l'homme assez impudent pour m'oser taxer d'avoir nié les miracles, qui ne sont pas même niés dans cet écrit? je n'en ai pas parlé ailleurs (').

Quoi! parce que l'auteur d'un écrit publié par un autre, y introduit un raisonneur qu'il désapprouve (**), et qui, dans une dispute, rejette les miracles, il s'ensuit de là que non-seulement l'auteur de cet écrit, mais l'éditeur, rejette aussi les miracles? Quel tissu de témérités! Qu'on se permette de telles présomptions dans la chaleur d'une querelle littéraire, cela est très-blamable et trop commun: mais les prendre pour des preuves dans les tribunaux; voilà une jurisprudence à faire trembler l'homme le plus juste et le plus ferme, qui a le malheur de vivre sous de pareils magistrats.

L'auteur de la Profession de foi fait des objections tant sur l'utilité que sur la réalité des miracles, mais ces objections ne sont point des négations. Voici là-dessus ce qu'il dit de plus fort: C'est l'ordre inaltérable de la nature qui › montre le mieux l'Etre suprême. S'il arrivoit beaucoup d'exceptions, je ne saurois plus qu'en penser; et pour moi je crois trop en

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(*) Émile, livre IV. (Tome 2, page 602.)

(1) J'en ai parlé depuis dans ma lettre à M. de Beaumont; mais outre qu'on n'a rien dit sur cette Lettre, ce n'est pas sur ce qu'elle contient qu'on peut fonder les procédures faites avant qu'elle ait paru.

(**) Émile, livre IV. (Tome 2, page 594.)

• Dieu pour croire à tant de miracles si peu ⚫ dignes de lui (*). »

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Or, je vous prie, qu'est-ce que cela dit? Qu'une trop grande multitude de miracles les rendroit suspects à l'auteur; qu'il n'admet point indistinctement toute sorte de miracles, et que sa foi en Dieu lui fait rejeter tous ceux qui ne sont pas dignes de Dieu. Quoi donc! celui qui n'admet pas tous les miracles, rejette-t-il tous les miracles? et faut-il croire à tous ceux de la légende, pour croire l'ascension de Christ?

Pour comble, loin que les doutes contenus dans cette seconde partie de la Profession de foi puissent être pris pour des négations, les négations, au contraire, qu'elle peut contenir ne doivent être prises que pour des doutes. C'est la déclaration de l'auteur en la commençant, sur les sentimens qu'il va combattre : Ne donnez, dit-il, à mes discours que l'autorité de la raison. J'ignore si je suis dans l'erreur. Il est difficile, quand on discute, de ne pas prendre quelquefois le ton affirmatif; mais souvenezvous qu'ici toutes mes affirmations ne sont que des raisons de douter (*). Peut-on parler plus positivement?

:

Quant à moi, je vois des faits attestés dans les saintes écritures cela suffit pour arrêter sur ce point mon jugement. S'ils étoient ailleurs, je rejetterois ces faits, ou je leur ôterois le nom de miracles; mais parce qu'ils sont dans l'Écriture, je ne les rejette point. Je ne les admets pas non plus, parce que ma raison s'y refuse, et que ma décision sur cet article n'intéresse point mon salut. Nul chrétien judicieux ne peut croire que tout soit inspiré dans la Bible, jusqu'aux mots et aux erreurs. Ce qu'on doit croire inspiré est tout ce qui tient à nos devoirs; car pourquoi Dieu auroit-il inspiré le reste? Or, la doctrine des miracles n'y tient nullement; c'est ce que je viens de prouver. Ainsi le sentiment qu'on peut avoir en cela n'a nul trait au respect qu'on doit aux livres sacrés.

D'ailleurs, il est impossible aux hommes de s'assurer que quelque fait que ce puisse être est un miracle (1); c'est encore ce que j'ai prouvé.

(*) Émile, livre IV. (Tome 2, page 590.) (**) Émile, livre IV. (Tome 2, page 587.)

(1) Si ces messieurs disent que cela est décidé dans l'Écriture, et que je dois reconnoître pour miracle ce qu'elle me donne pour tel; je réponds que c'est ce qui est en question, et j'ajoute que ce raisonnement de leur part est un cercle vicieux. Car

Donc, en admettant tous les faits contenus dans la Bible, on peut rejeter les miracles sans impiété, et même sans inconséquence. Je n'ai pas été jusque-là.

Voilà comment vos messieurs tirent des miracles, qui ne sont pas certains, qui ne sont pas nécessaires, qui ne prouvent rien, et que je n'ai pas rejetés, la preuve évidente que je renverse les fondemens du christianisme, et que je ne suis pas chrétien.

L'ennui vous empêcheroit de me suivre si j'entrois dans le même détail sur les autres accusations qu'ils entassent pour tâcher de couvrir par le nombre l'injustice de chacune en particulier. Ils m'accusent, par exemple, de rejeter la prière. Voyez le livre, et vous trouverez une prière dans l'endroit même dont il s'agit. L'homme pieux qui parle (1) ne croit pas, il est vrai, qu'il soit absolument nécessaire de demander à Dieu telle ou telle chose en particulier (2); il ne désapprouve point qu'on le fasse. Quant à moi, dit-il, je ne le fais pas, persuadé que Dieu est un bon père, qui sait mieux que ses enfans ce qui leur convient. Mais ne peuton lui rendre aucun autre culte aussi digne de lui? Les hommages d'un cœur plein de zèle, les adorations, les louanges, la contemplation de sa grandeur, l'aveu de notre néant, la résignation à sa volonté, la soumission à ses lois, une vie pure et sainte, tout cela ne vaut-il pas

puisqu'ils veulent que le miracle serve de preu e à la révélation, ils ne doivent pas employer l'autorité de la révélation pour constater le miracle.

(1) Un ministre de Genève, difficile assurément en christianisme, dans les jugemens qu'il porte du mien, affirme que j'ai dit, moi J. J. Rousseau, que je ne priois pas Dieu : il l'assure en tout autant de termes, cinq ou six fois de suite, et toujours en me nommant. Je veux porter respect à l'Église; mais oserois-je lui demander où j'ai dit cela? Il est permis à tout barbouilleur de papier de déraisonner et bavarder tant qu'il veut ; mais il n'est pas permis à un bon chrétien d'être un calomniateur public.

(2) Quand vous prierez, dit Jésus, priez ainsi. Quand on prie avec des paroles, c'est bien fait de préférer celles-là; mais je ne vois point ici l'ordre de prier avec des paroles. Une autre prière est préférable, c'est d'être disposé à tout ce que Dieu vent. Me voici, Seigneur, pour faire ta volonté. De toutes les formules, l'oraison dominicale est, sans contredit, la plus par.

faite; mais ce qui est plus parfait encore est l'entière résignation aux volontés de Dieu. Non point ce que je veux, mais ce que tu veux. Que dis-je? c'est l'oraison dominicale elle-même. Elle est tout entière dans ces paroles: Que ta volonté soit faite. Toute autre prière est superflue, et ne fait que contrarier celle-là. Que celui qui pense ainsi se trompe, cela peut être. Mais celui qui publiquement l'accuse à cause de cela de détruire la morale chrétienne, et de n'être pas chrétien, est-il un fort bon chrétien lui-même ?

bien des vœux intéressés et mercenaires? Près d'un Dieu juste, la meilleure manière de demander est de mériter d'obtenir. Les anges qui le louent autour de son trône, le prient-ils? Qu'auroient-ils à lui demander? Ce mot de prière est souvent employé dans l'Écriture pour hommage, adoration; et qui fait le plus est quitte du moins. Pour moi, je ne rejette aucune des manières d'honorer Dieu ; j'ai toujours approuvé qu'on se joignît à l'Église qui le prie : je le fais ; le prêtre savoyard le faisoit lui-même. L'écrit si violemment attaqué est plein de tout cela. N'importe : je rejette, dit-on, la prière ; je suis un impie à brûler. Me voilà jugé.

Ils disent encore que j'accuse la morale chrétienne de rendre tous nos devoirs impraticables en les outrant. La morale chrétienne est celle de l'Évangile; je n'en reconnois point d'autre, et c'est en ce sens aussi que l'entend mon accusateur, puisque c'est des imputations où celle-là se trouve comprise qu'il conclut, quelques lignes après, que c'est par dérision que j'appelle l'Évangile divin (').

Or voyez si l'on peut avancer une fausseté plus noire, et montrer une mauvaise foi plus marquée, puisque, dans le passage de mon livre où ceci se rapporte, il n'est pas même possible que j'aie voulu parler de l'Évangile.

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Voici, monsieur, ce passage; il est dans le second tome d'Émile (page 644). En n'asservissant les honnêtes femmes qu'à de tristes devoirs, on a banni du mariage tout ce qui › pouvoit le rendre agréable aux hommes. Faut-il s'étonner si la taciturnité qu'ils voient régner chez eux les en chasse, ou s'ils sont peu tentés d'embrasser un état si déplaisant? A force d'outrer tous les devoirs, le christia› nisme les rend impraticables et vains : à force ⚫ d'interdire aux femmes le chant, la danse, et tous les amusemens du monde, il les rend > maussades, grondeuses, insupportables dans » leurs maisons. »

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Mais où est-ce que l'Évangile interdit aux femmes le chant et la danse? où est-ce qu'il les asservit à de tristes devoirs? Tout au contraire, il y est parlé des devoirs des maris, mais il n'y est pas dit un mot de ceux des femmes. Donc on a tort de me faire dire de l'Évangile ce que

1 (V) Lettres écrites de la campagne, page 11.

je n'ai dit que des jansénistes, des méthodis-: les, et d'autres dévots d'aujourd'hui, qui font du christianisme une religion aussi terrible et déplaisante ('), qu'elle est agréable et douce sous la véritable loi de Jésus-Christ.

Je ne voudrois pas prendre le ton du père Berruyer, que je n'aime guère, et que je trouve thème de très-mauvais goût; mais je ne puis! m'empêcher de dire qu'une des choses qui me charment dans le caractère de Jesus n'est pas seulement la douceur des mœurs, la simplicité, mais la facilité, la grâce, et même l'élégance. Il ne fuyoit ni les plaisirs ni les fêtes, il alloit aux noces, il voyoit les femmes, il jouoit avec les enfans, il aimoit les parfums, il mangeoit chez les financiers. Ses disciples ne jeûnoient point; son austérité n'étoit point fâcheuse. I etoit à la fois indulgent et juste, doux aux foibles, et terrible aux méchans. Sa morale avoit quelque chose d'attrayant, de caressant, de tendre; il avoit le cœur sensible, il étoit homme de bonne société. Quand il n'eût pas été le plus sage des mortels, il en eût été le plus aimable. ! Certains passages de saint Paul, outrés ou mal entendus, ont fait bien des fanatiques, et ces fanatiques ont souvent defiguré et déshonoré le christianisme. Si l'on s'en fût tenu à l'esprit du maitre, cela ne seroit pas arrivé. Qu'on m'accuse de n'être pas toujours de l'avis de saint Paul; on peut me réduire à prouver que j'ai quelquefois raison de n'en pas être; mais il ne s'ensuivra jamais de là que ce soit par dérision que je trouve l'Évangile divin. Voilà pour tant comment raisonnent mes persécuteurs.

Pardon, monsieur; je vous excède avec ces longs détails, je le sens, et je les termine je n'en ai déjà que trop dit pour ma défense, et je m'ennuie moi-même de répondre toujours par des raisons à des accusations sans raison.

LETTRE IV.

L'auteur se suppose coupable; il compare la procédure à la loi.

Je vous ai fait voir, monsieur, que les imputations tirées de mes livres en preuve que j'attaquois la religion étable par les lois, étoient fausses. C'est cependant sur ces imputations que j'ai été jugé coupable, et traité comme tel. et voyons en cet état la punition qui m'étoit Supposons m intenant que je le fusse en effet, due.

Ainsi que la vertu le vice a ses degrés.

Pour être coupable d'un crime, on ne l'est pas de tous. La justice consiste à mesurer exactement la peine à la faute; et l'extrême justice elle-même est une injure, lorsqu'e'le n'a nul égard aux considérations raisonnables qui doivent tempérer la rigueur de la loi.

Le délit supposé réel, il nous reste à chercher quelle est sa nature, et quelle procédure est prescrite en pareil cas par vos lois.

Si j'ai violé mon serment de bourgeois comme on m'en accuse, j'ai commis un crime d'état, et la connoissance de ce crime appartient directement au Conseil ; cela est incontestable.

Mais si tout mon crime consiste en erreur

sur la doctrine, cette erreur fût-elle même une impiété, c'est autre chose. Selon vos édits, il appartient à un autre tribunal d'en connoître en premier ressort.

Et quand même mon crime seroit un crime d'état; si, pour le déclarer tel, il faut préalablement une décision sur la doctrine, ce n'est pas au Conseil de la donner. C'est bien à lui de punir le crime, mais non pas de le constater. Cela est formel par vos edits, comme nous verrons ci-après.

Il s'agit d'abord de savoir si j'ai violé mon serment de bourgeois; c'est-à-dire le serment qu'ont prêté mes ancêtres quand ils ont été admis à la bourgeoisie; car pour moi, n'ayant pas habité la ville, et n'ayant fait aucune foncclaire que c'étoit pécher que d'aller à la noce plus joyeusement tion de citoyen, je n'en ai point prété le ser

(') Les premiers réformés donnèrent d'abord dans cet excès avec une dureté qui fit bien des hypocrites; et les premiers jansénistes ne manquèrent pas de les imiter en cela. Un prédi cateur de Genève, appelé Henri de La Marre, soutenoit en

que Jésus-Christ n'étoit allé à la mort. Un curé janséniste soutenoit de même que les festins des noces étoient une invention du diable. Quelqu'un lui objecta là-dessus que Jésus-Christ y avoit pourtant assisté, et qu'il avoit meme daigné y faire son premier miracle pour prolonger la gaité du festiu. Le curé, un

ment. Mais passons.

Dans la formule de ce serment, il n'y a que deux articles qui pussent regarder mon delit.

peu embarrassé, répondit en grondant: Ce n'est pas ce qu'il On promet, par le premier, de vivre selon la fil de mieux.

réformation du saint Évangile, et par le dernier, de ne faire, ne souffrir aucunes pratiques.

machinations ou entreprises contre la réformation du saint Évangile.

Or, loin d'enfreindre le premier article, je m'y suis conformé avec une fidélité et même une hardiesse qui ont peu d'exemples, professant hautement ma religion chez les catholiques, quoique j'eusse autrefois vécu dans la leur; et l'on ne peut alléguer cet écart de mon enfance comme une infraction au serment, surtout depuis ma réunion authentique à votre Église en 1754, et mon rétablissement dans mes droits de bourgeoisie, notoire à tout Genève, et dont j'ai d'ailleurs des preuves positives.

On ne sauroit dire, non plus, que j'ai enfreint ce premier article par les livres condamnés, puisque je n'ai point cessé de m'y déclarer protestant. D'ailleurs, autre chose est la conduite, autre chose sont les écrits. Vivre selon la réformation, c'est professer la réformation, quoiqu'on se puisse écarter par erreur de sa doctrine dans de blamables écrits, ou commettre d'autres péchés qui offensent Dieu, mais qui, par le seul fait, ne retranchent pas le délinquant de l'Église. Cette distinction, quand on pourroit la disputer en général, est ici dans le serment même, puisqu'on y sépare en deux articles ce qui n'en pourroit faire qu'un, si la profession de la religion étoit incompatible avec toute entreprise contre la religion. On y jure, par le premier, de vivre selon la réformation; et l'on y jure par le dernier, de ne rien entreprendre contre la réformation. Ces deux articles sont très-distincts, et même séparés par beaucoup d'autres. Dans le sens du législateur, ces deux choses sont donc séparables. Donc, quand j'aurois violé ce dernier article, il ne s'ensuit pas que j'aie violé le premier.

Mais ai-je violé ce dernier article? Voici comment l'auteur des Lettres écrites de la campagne établit l'affirmative, page 50:

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Le serment des bourgeois leur impose l'obligation de ne faire, ne souffrir être faites › aucunes pratiques, machinations ou entrepri> ses contre la sainte réformation évangélique. Il semble que c'est un peu (') pratiquer et

(1) Cet un peu, si plaisant et si différent du ton grave et décent du reste des Lettres, ayant été retranché daus la seconde édition, je m'abstiens d'aller en quête de la griffe à qui ce petit bout, non d'oreille, mais d'ongle, appartient.

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Voyez d'abord que ces messieurs sont agréables! Il leur semble entrevoir de loin un peu de pratique et de machination sur ce petit semblant éloigné d'une petite manoeuvre, ils jettent un regard sur celui qu'ils en présument l'auteur; et ce regard est un décret de prise de corps.

Il est vrai que le même auteur s'égaie à prouver ensuite que c'est par pure bonté pour moi qu'ils m'ont décrété. Le Conseil, dit-il, pouvoit ajourner personnellement M. Rousseau, il pouvoit l'assigner pour être ouï, il pouvoit le décréter... De ces trois partis, le dernier étoit incomparablement le plus doux... ce n'étoit au fond qu'un avertissement de ne pas revenir, s'il ne vouloit pas s'exposer à une procédure, ou, s'il vouloit s'y exposer, de bien préparer ses défenses (page 31).

Ainsi plaisantoit, dit Brantôme, l'exécuteur de l'infortuné don Carlos, infant d'Espagne. Comme le prince crioit et vouloit se débattre : Paix, monseigneur, lui disoit-il en l'étranglant, tout ce qu'on en fait n'est que pour votre bien.

Mais quelles sont donc ces pratiques et machinations dont on m'accuse? Pratiquer, si j'entends ma langue, c'est se ménager des intelligences secrètes; machiner, c'est faire de sourdes menées, c'est faire ce que certaines gens font contre le christianisme et contre moi. Mais je ne conçois rien de moins secret, rien de moins caché dans le monde, que de publier un livre et d'y mettre son nom. Quand j'ai dit mon sentiment sur quelque matière que ce fût, je l'ai dit hautement, à la face du public; je me suis nommé, et puis je suis demeuré tranquille dans ma retraite on me persuadera difficilement que cela ressemble à des pratiques et machinations.

Pour bien entendre l'esprit du serment et le sens des termes, il faut se transporter au temps où la formule en fut dressée, et où il s'agissoit essentiellement pour l'état de ne pas retomber sous le double joug qu'on venoit de secouer.

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